Les deserts médicaux

Le Monde.fr : A Digoin, touchée par la désertification...

Octobre 2017, par infosecusanté

A Digoin, touchée par la désertification médicale, « si on ne fait rien, ça va être la catastrophe »

Alors que le plan de lutte contre les déserts médicaux doit être présenté vendredi, le conseil départemental de Saône-et-Loire a pris des mesures inédites.

LE MONDE

13.10.2017

Par François Béguin (Digoin (Saône-et-Loire) envoyé spécial)

Il ne faut pas lancer Joëlle Chalmin, 65 ans, sur la question du manque de médecins. Lorsque le généraliste qui suivait sa mère a pris sa retraite en 2016, cette habitante de Digoin (Saône-et-Loire) a été obligée de faire près de trente kilomètres pour trouver un praticien qui accepte de prendre le relais. « Maintenant quand maman a une petite grippe, c’est trente-cinq minutes de voiture à l’aller et trente-cinq minutes au retour, fulmine-t-elle. C’est lamentable… »

Dans cette commune semi-rurale située à deux heures de route de Dijon, de Lyon ou de Clermont-Ferrand, la pénurie de médecins est sur toutes les langues.

Avec seulement cinq généralistes pour 14 000 habitants, et un départ à la retraite prévu fin décembre, la communauté de communes est touchée de plein fouet par la désertification médicale. « Si on ne fait rien, ça va être la catastrophe, prévient Fabien Genet, le maire (divers droite) de la ville et président de Digoin Val de Loire. Il faudrait au moins un médecin de plus, mais il y aurait de la place pour trois ou quatre… »

Ici, ces derniers mois, après les départs de deux généralistes, plusieurs indicateurs sont vite passés au rouge. Difficultés à trouver un médecin traitant, allongement à près de deux mois du délai pour obtenir un rendez-vous chez l’un des trois généralistes de la maison de santé ouverte en 2016…

Déchargés des tâches administratives

« Il y a régulièrement de l’agressivité au téléphone car les gens sont désespérés qu’il n’y ait pas de réponse immédiate », constate Catherine Dutroncy, la coordinatrice du lieu. En un an, assure la mairie, les secours à domicile opérés par les sapeurs-pompiers ont augmenté de 30 % en raison d’un moins bon suivi médical des personnes âgées.

Sans attendre de connaître l’impact du nouveau plan de lutte contre les déserts médicaux présenté vendredi 13 octobre par la ministre de la santé, Agnès Buzyn, la municipalité de Digoin a annoncé vouloir accueillir deux des trente médecins généralistes que le conseil départemental de Saône-et-Loire espère progressivement salarier et répartir dans les zones en tension du département à partir du 1er janvier 2018. Un projet – officiellement voté le 21 septembre – inédit en France par son ampleur.

Payés entre 4 000 et 6 000 euros par mois, pour 35 heures de travail, ces praticiens, d’abord embauchés pour des CDD de trois ans, exerceront dans des locaux fournis par les communes et seront déchargés des tâches administratives. Celles-ci seront réalisées par des secrétaires embauchées par le département.

« Il n’y a plus de candidats pour l’exercice en libéral, les jeunes ne veulent plus travailler comme ça, ils veulent avoir une vie équilibrée avec du temps social et familial », souligne André Accary, le président (Les Républicains) du conseil départemental et concepteur du projet. « Je leur dis : “Venez faire de la médecine chez nous, on s’occupe de tout le reste !” »

« Bouts de ficelle »

A Digoin, comme dans le reste du département, où le nombre de généralistes a diminué de 13,5 % entre 2007 et 2017, les élus locaux ne sont pourtant pas restés inactifs face à ces départs à la retraite non remplacés. Une médecin bulgare, dénichée par un cabinet de recrutement, a par exemple failli s’installer à la maison de santé mais elle est finalement repartie après seulement… une journée d’exercice. L’hôpital de Paray-le-Monial, situé à 15 kilomètres, a pour sa part mis en place une consultation de médecine générale ; elle est assurée par un médecin hospitalier, pour décharger ses urgences.

« On est obligé d’inventer des solutions avec des bouts de ficelle pour gérer la crise », résume Fabien Genet. Pour lui, le recours à des médecins salariés est comparable à « l’arrivée d’un corps d’urgence » pour venir renforcer les « derniers hussards de la médecine générale libérale qui n’ont droit à aucune aide ».

A la maison de santé de Digoin, un bâtiment moderne posé à l’une des entrées de la ville, l’arrivée de ces praticiens suscite des réactions mitigées et beaucoup d’interrogations. « Vue la pénurie, on ne va pas cracher sur l’arrivée de deux médecins, cela permettrait de pallier l’hémorragie actuelle », reconnaît le docteur Jean-Yves Micorek, 53 ans. « Même si en 35 heures par semaine, ils ne feront pas le boulot que nous faisons en 60 », ajoute-t-il aussitôt. Avec une patientèle de 1 800 personnes, il raconte des journées à rallonge, qui commencent à 7 h 30 et se terminent les lundis et jeudis à plus de 22 heures.

« C’est difficile à accepter qu’il y ait des médecins salariés », admet, elle aussi, le docteur Elisabeth Marquis, 60 ans, qui exerce également dans la maison de santé. Pour elle, « être à 35 heures, quand on est médecin, c’est quasiment mission impossible ». Elle reconnaît cependant s’être posée la question de candidater pour terminer sa carrière. « Mais je me suis dit que je préférais ma liberté de travail. »

Concurrence féroce entre collectivités

Trois mois avant l’arrivée du premier médecin salarié, son lieu d’accueil n’est toujours pas tranché. S’installera-t-il dans la maison de santé, financée par des capitaux privés et contractuellement tenue d’être ouverte de 8 heures à 20 heures du lundi au vendredi et le samedi matin ? Ou devra-t-il s’installer dans des locaux municipaux ? Fera-t-il des visites à domicile ? Sera-t-il remplacé pendant ses congés ? « C’est une belle opération en termes de communication mais en termes de réalisation, ça risque d’être difficile, il y a encore beaucoup de questions à régler », juge le docteur Gérard Montagnon, le président de l’ordre des médecins de Saône-et-Loire.

Dans son vaste bureau du conseil départemental, à Mâcon, André Accary savoure l’écho national qu’a déjà reçu son projet. « On est en train de monter une entreprise, c’est une grosse machine que je mets en route », dit-il, expliquant mettre 2 millions d’euros pour lancer le dispositif mais que celui-ci a vocation à terme à s’équilibrer financièrement.

Montrant l’encart d’une page de publicité que le département vient de payer dans Le Quotidien du médecin ou la lettre qu’il vient d’adresser à 46 000 médecins en Ile-de-France et dans les Hauts-de-France, il sait que le plus dur reste à faire : convaincre des généralistes de s’engager alors que les collectivités locales se livrent désormais une concurrence féroce dans ce domaine.

André Accary annonce avoir déjà reçu quinze candidatures fermes et deux contrats signés. « Si ça ne marche pas, je n’aurai pas d’autres armes, dit l’élu. Mais si ça marche, tous les départements vont le faire ! »