Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - A Mayotte et en Moselle, le variant sud-africain fulgurant et dominant

Février 2021, par Info santé sécu social

25 FÉVRIER 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Emmanuel Macron a choisi de laisser filer l’épidémie et les nouveaux variants du Covid-19, plus transmissibles, gagnent du terrain. À Mayotte d’abord, puis en Moselle, le sud-africain est devenu dominant. Il inquiète, car il menace l’immunité acquise naturellement ou par le vaccin.

Le président de la République a décidé, seul, de parier sur une circulation forte du virus, maintenu sur un haut plateau par un confinement partiel de l’économie, tout juste supportable pour le système de santé. Le pari est risqué, mais le président et sa majorité n’hésitent pas à partager leur satisfaction. « Un jour, il pourra briguer l’agrégation d’immunologie », a affirmé au Parisien, à propos d’Emmanuel Macron, le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand.

« En toute humilité », les vrais immunologues, épidémiologistes et modélisateurs du conseil scientifique ont rendu, le 29 janvier, une note au gouvernement préconisant un « confinement strict » de quatre semaines pendant les vacances d’hiver, afin de ramener la circulation à 5 000 cas par jour, et de ralentir la pénétration des nouveaux variants. Cette note a été seulement rendue publique mercredi 24 février. Cette stratégie aurait permis de « gagner du temps », écrit le conseil scientifique, pour construire une stratégie de dépistage plus efficace, notamment avec les tests salivaires, dans l’attente de l’efficacité de la campagne vaccinale.

Le président de la République a décidé de laisser filer l’épidémie, qui se maintient sur un plateau, un temps légèrement descendant, désormais ascendant. Il n’y a pas là matière à fanfaronner : le Covid fait un peu plus de 400 morts par jour, « autant de victimes en une semaine que les accidents de la route en une année », a souligné le ministre de la santé Olivier Véran, lors de sa dernière conférence de presse, jeudi 18 février.

La France est sur une ligne de crête, une arête très fine. Déjà, certains départements basculent : Nice est désormais reconfinée le week-end, les sorties non essentielles de nouveau limitées à une heure dans un rayon de cinq kilomètres, comme Dunkerque (lire ici l’interview du maire, Patrice Vergriete).

D’autres « mesures rapides et fortes » vont être annoncées jeudi par le premier ministre Jean Castex, pour « une dizaine de départements dans une situation préoccupante », selon le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal. Dans le rouge, se trouvent l’Île-de-France, les Hauts-de-France et Provence-Alpes-Côte-d’Azur.

Le système hospitalier n’a aucune marge de manœuvre, car « nous ne sommes jamais sortis de la deuxième vague », a rappelé Olivier Véran. Plus de 25 000 personnes sont actuellement hospitalisées pour un Covid, 3 435 en réanimation.

En Île-de-France, où l’on observe une légère augmentation des cas de Covid, l’agence régionale de santé a prévenu les hospitaliers qu’allait déclencher « le seuil maximal du palier 2 », juste avant le palier 3, soit le plan blanc, qui comprend des déprogrammations en masse pour libérer des lits. Les lits de « réanimation éphémère », pour augmenter les capacités d’accueil, rouvrent. En Seine-Saint-Denis, mercredi, le taux d’occupation des lits de réanimation par des malades du Covid était déjà de 100 %.

« On a l’impression d’une dissociation entre les discussions dans les médias, dans la rue, et ce qui se trame à l’hôpital, explique Jean-Michel Constantin, professeur de réanimation à la Pitié-Salpêtrière, à Paris. On reste sur ce faux plat, mais est-ce qu’on peut le tenir ? Depuis ce week-end, on observe une montée en puissance des admissions. En réunion mardi, les épidémiologistes de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris nous ont dit qu’ils voyaient se dessiner un nouveau pic. »

Ce sont les nouveaux variants préoccupants qui peuvent faire basculer la France, comme l’a expliqué Vittoria Colizza, la modélisatrice de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie, présente aux côtés d’Olivier Véran jeudi dernier : « S’il n’y avait que le variant historique qui circulait aujourd’hui », les mesures actuelles « permettraient de faire reculer l’épidémie », a-t-elle expliqué. « Mais le variant britannique, selon nos modélisations, provoque une augmentation » du nombre de cas et des admissions à l’hôpital.

L’équilibre entre le variant historique et le nouveau variant explique le plateau actuel, très précaire. Mais les projections de l’Institut pour les prochaines semaines dessinent un pic très net des admissions à l’hôpital, plus fort encore que celui de la deuxième vague, si les conditions de vie des Français ne changent pas.

Le nombre d’hospitalisations par semaine en France, de la semaine 41 en 2020, projetées de la semaine 4 à la semaine 12 en 2021. En pointillé puis en noir, l’évolution des hospitalisations. En pointillé en vert, la courbe des hospitalisations dues au variant historique. En vert, la courbe des hospitalisations dues au variant anglais. Ces projections n’impliquent aucun changement dans les mesures prises.

Ces nouveaux variants remplacent très vite le variant historique. Selon la dernière enquête réalisée dans la semaine du 8 février, le variant britannique est repéré dans 37 % des tests PCR criblés (lire ici notre enquête sur le séquençage), les variants sud-africain ou brésilien dans 5 %, sans qu’il soit alors possible de les distinguer. En France, le brésilien reste anecdotique. Le sud-africain est scruté de près, il est devenu dominant en quelques semaines dans deux territoires : Mayotte et désormais la Moselle. Le conseil scientifique vient de rendre public son avis du 12 février à son sujet.

« À Mayotte, la progression du variant a été fulgurante », raconte la directrice générale de l’agence régionale de santé à Mayotte, Dominique Voynet. Sur cette île française de l’océan Indien, le variant sud-africain, repéré début janvier, circule déjà presque exclusivement sur l’île : « Dans le dernier séquençage, qui date de fin janvier, 35 prélèvements sur 37 sont du variant sud-africain ».

La fulgurance est identique en Moselle, le département français où le variant est le plus présent : « Dans notre service, 77 % des patients ont été contaminés par le variant sud-africain, 15 % par l’anglais, 8 % par le variant historique », explique Sébastien Gette, chef de la réanimation du Centre hospitalier régional universitaire de Metz.

À Mayotte, « ce ne sont plus les mêmes malades »

« Dans les premiers jours de janvier, nous avons reçu une alerte au sujet de la dégradation de la situation épidémique sur une île des Comores, raconte Dominique Voynet. La rumeur y courait au sujet d’une rencontre entre une équipe de foot locale et une équipe sud-africaine. Le consul honoraire de France, malade du Covid-19, a été évacué vers La Réunion, il s’est révélé positif au variant sud-africain. On a alors renforcé le dépistage des personnes qui revenaient des Comores, par avion, par bateau, ou par kwasssa », ces bateaux de pêche utilisés par les migrants comoriens.

En même temps que le variant a gagné l’île française, l’épidémie a pris un tour exponentiel. « On n’a pas vu venir ce pic, qui a été très rapide, pourtant nous étions sur le qui-vive », assure la docteure Sarah Permal, cheffe du pôle de médecine. « Le taux d’incidence à Mayotte est passé de moins de 100 cas pour 100 000 habitants début janvier, à 860 dans la semaine du 31 janvier », explique l’infectiologue Mohamadou Niang.

Le département ultramarin affiche aujourd’hui l’incidence la plus élevée en France, de très loin. 30 % des tests y sont positifs. Pour Dominique Voynet, ces chiffres sont même sous-évalués car, dans certaines zones reculées de l’île, l’accès au dépistage est difficile : « Quand on se rend dans des villages isolés pour proposer le dépistage, on trouve 10 % de tests positifs », assure-t-elle. Elle s’interroge même sur la possibilité que l’île « atteigne l’immunité collective ». « Mais nous ne sommes pas l’abri d’une recombinaison du virus », admet-elle, fataliste

Pour Dominique Voynet, le variant n’explique peut-être pas à lui seul le pic épidémique à Mayotte : « Il est intervenu au retour des vacances scolaires, pendant lesquelles des fêtes et des mariages ont été organisés sur les plages. Puis les écoles ont rouvert : on y a beaucoup testé et on y a trouvé beaucoup de cas. »

En Moselle, la courbe épidémique a d’abord progressé, sur une pente douce, et baisse désormais légèrement : « Seul le variant peut être en cause dans ce dérapage, estime le réanimateur messin Sébastien Gette. La population ici a une culture germanique, les règles sont respectées. Mais on peut voir les choses de manière optimiste : c’est compliqué, mais on tient le coup. Notre réanimation est occupée à 100 %, à près de 90 % par des malades du Covid, en transférant un peu vers Nancy, on ne déborde pas. »

À Mayotte, Dominique Voynet, comme les médecins de l’hôpital, est catégorique : ce « nouveau variant est plus transmissible » que l’historique. Et dans les services de l’hôpital de Mayotte, « ce ne sont plus les mêmes malades. 25 à 30 % ont moins de 40 ans. La plupart sont en surpoids », explique la docteure Sarah Permal. « On observe aussi une plus grande proportion de décompensations respiratoires qui, lorsqu’elles sont très graves, évoluent rapidement. »

À Metz, pour l’instant, « la moyenne d’âge des malades du Covid en réanimation est de 62 ans, ce n’est pas anormal, dit le réanimateur Sébastien Gette. Mais on a l’impression qu’ils arrivent plus vite en réanimation. »

La plus grande inquiétude avec le variant sud-africain est ailleurs : il présente une modification sur la protéine S, la clé d’entrée du virus dans l’organisme, qui « entraîne un échappement immunitaire significatif », explique le conseil scientifique. Plus concrètement, « de très nombreuses deuxièmes infections par le variant sud-africain ont été observées en Afrique du Sud, au cours de ces derniers mois, chez des patients ayant déjà fait un Covid », rapporte le conseil dans son avis du 12 février.

Une première réinfection d’un patient a été décrite en France, à l’hôpital Louis-Mourier de Colombes (Hauts-de-Seine), et a fait l’objet d’une publication.

« Ce patient, un homme de 58 ans, s’est présenté en janvier aux urgences de l’hôpital, en insuffisance respiratoire, en expliquant qu’il avait déjà eu le Covid-19 en septembre, test PCR à l’appui, racontent les médecins réanimateurs Noémie Zucman et Fabrice Uhel. En septembre, son Covid était léger, il est resté à domicile. En janvier, il a présenté, très vite, un tableau respiratoire très sévère, qui a nécessité une réanimation et de la ventilation mécanique. Il ne présente pourtant aucun facteur de risque particulier. On a vite su qu’il avait été infecté par le variant sud-africain. On a aussi pu vérifier qu’il avait bien développé des anticorps après sa première infection par le Covid. »

À partir de ce seul cas, les deux réanimateurs ne peuvent qu’élaborer des hypothèses : « Est-ce que les réinfections sont des situations ponctuelles ? Est-ce qu’elles peuvent plus toucher des personnes qui ont une susceptibilité aux infections virales ? »

L’inquiétude la plus grande du monde scientifique est la résistance au vaccin du variant sud-africain. Les docteurs Zucman et Uhel soulignent que « la réponse immunitaire avec le vaccin est plus forte, il protège mieux qu’une infection par le Covid ».

En l’état des connaissances, qui sont encore fragiles, le variant sud-africain conserverait une « sensibilité aux vaccins à ARNm, en légère diminution de 30 % », qui ne remettrait pas en cause leur efficacité, explique le conseil scientifique. En revanche, l’efficacité du vaccin AstraZeneca sur ce variant ne serait plus que de 30 %.

Pour cette raison, à Mayotte et en Moselle, les professionnels de santé de l’hôpital ne sont vaccinés qu’avec les vaccins Pfizer et Moderna. Mayotte n’a reçu jusqu’ici que de faibles doses de vaccins, l’infectiologue Mahamadou Niang insiste sur « l’urgence de vacciner tous les hospitaliers au plus vite. Nos ressources humaines sont très limitées ».

Il y a encore une autre question en suspens, que se pose le conseil scientifique, comme la directrice générale de l’agence régionale de santé Mayotte : « Si les variants sud-africains et anglais sont en compétition sur un territoire, lequel deviendra dominant ? » La France est hélas bien placée pour pouvoir répondre assez rapidement à cette question. Le scénario le plus favorable serait évidemment que l’anglais domine, puisqu’il est sensible à tous les vaccins.

Que faire pour freiner le variant sud-africain en métropole ? Pour la Moselle, le conseil scientifique avançait deux scénarios le 12 février. Le premier visait la suppression ou la limitation de la circulation du variant sud-africain, en fermant les écoles, en limitant les entrées et les sorties des zones touchées, et en reconfinant, plus ou moins strictement.

Le deuxième, fataliste, considérait que ce variant « circule déjà sur l’ensemble du territoire national, comme le variant anglais, et que la prééminence de l’un ou de l’autre ne dépendra pas des mesures qui sont prises ». Entre les deux scénarios, le conseil scientifique n’a pas pu trancher « conscient des conséquences sociétales et économiques qui en résultent ».

Mayotte est aujourd’hui en « confinement partiel », explique Dominique Voynet. « Les écoles sont fermées, les enfants sont à la maison, mais ils sont gardés par les grands-parents, car les parents continuent à se rendre au travail. Ce n’est pas très efficace, on reste aujourd’hui sur un plateau très haut », continue-t-elle. Elle s’interroge sur l’utilité de « se calfeutrer deux semaines, pour essayer de calmer l’épidémie, plutôt que de confiner à moitié, sans grande efficacité ». Mais elle est aussi consciente des conséquences sociales, sur cette île où l’économie informelle est importante : « Pendant le 1er confinement du printemps à Mayotte, il y a eu des émeutes de la faim. »