Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

A l’Encontre - L’UE s’apprête à mettre à la poubelle plus de doses de vaccins qu’elle n’en a donné à l’Afrique

Février 2022, par Info santé sécu social

17 février 2022
Par Jake Johnson

Une nouvelle analyse publiée mercredi par l’Alliance populaire pour les vaccins [1] montre que, d’ici à la fin février, l’Union européenne (UE) devra détruire près de deux fois plus de doses de vaccin contre le coronavirus qu’elle n’en a donné à l’Afrique depuis le début de l’année.

Citant les données d’Airfinity [site d’information et d’analyse portant sur les problèmes de santé à l’échelle internationale], l’Alliance note que 55 millions de doses de vaccin contre le coronavirus de l’UE seront périmées d’ici la fin du mois. Depuis le début de l’année, l’Union européenne, premier exportateur mondial de vaccins contre le Covid-19, a fait don d’environ 30 millions de doses à l’Afrique, où seulement 11% de la population adulte est entièrement vaccinée deux ans après le début de la pandémie mondiale mortelle.

L’Alliance populaire pour les vaccins présente également des données montrant que 204 millions de personnes vivant dans les pays de l’UE ont reçu des rappels, alors que seulement 151 millions de personnes en Afrique ont été entièrement vaccinées.

« La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré au début de la pandémie que le vaccin devait être un bien public mondial », a souligné Joab Okanda, responsable pour l’Afrique de l’ONG Christian Aid, dans un communiqué mercredi 16 février. « Pourtant, au lieu de cela, elle s’est assurée qu’il s’agissait d’une opportunité en faveur du profit privé, accumulant des milliards pour les Big Pharma et l’UE, alors que près de neuf personnes sur dix en Afrique ne sont pas entièrement vaccinées… C’est une honte », a déclaré Joab Okanda.

La nouvelle analyse de l’Alliance populaire pour les vaccins a été publiée un jour avant le début du sixième sommet de l’Union européenne et de l’Union africaine à Bruxelles, jeudi 17 février, une réunion qui intervient alors que les dirigeants européens et africains restent enfermés dans un conflit tendu sur la question de savoir s’il faut suspendre les protections de la propriété intellectuelle pour les vaccins et les traitements contre le coronavirus [2].

L’Union africaine a exprimé son soutien à une dérogation temporaire aux brevets et aux efforts de transfert de technologie visant à permettre aux pays à faible revenu de produire des vaccins génériques contre le Covid-19 pour leurs populations. Mais depuis plus d’un an, l’Union européenne bloque la proposition d’exemption de brevet de l’Afrique du Sud et de l’Inde auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ce qui rend furieux les dirigeants africains qui affirment que l’Europe met en place un système d’« apartheid vaccinal ».

« Ils ont accumulé des vaccins, ils ont commandé plus de vaccins que ce dont leurs populations ont besoin », a déclaré le président sud-africain Cyril Ramaphosa à propos des nations européennes en décembre 2021. « La cupidité dont ils ont fait preuve était décevante, surtout quand ils disent être nos partenaires. »

L’AFP a rapporté mardi que l’Union africaine s’efforce d’imposer une demande d’exemption de brevet dans le document de conclusion du sommet de Bruxelles, mais cet effort se heurte à la résistance des principaux pays membres de l’UE, tels que l’Allemagne, où se trouve BioNTech, le partenaire de Pfizer pour le vaccin contre le coronavirus. « L’Union africaine… demande instamment à l’Union européenne de s’engager de manière constructive vers la conclusion d’une dérogation ciblée et limitée dans le temps », peut-on lire dans une proposition africaine consultée par l’AFP.

En l’absence d’une renonciation aux brevets et aux techniques de production, les pays africains ont été contraints de s’en remettre à la charité des pays riches en matière de vaccins – un arrangement qui a connu un certain nombre de problèmes graves, notamment l’arrivée de doses proches de leur date de péremption.

En novembre, le Nigeria a été contraint de se débarrasser de centaines de milliers de doses de vaccin inutilisées, arrivées d’Europe à quelques semaines de leur date de péremption.

Sani Baba Mohammed, secrétaire régional de l’Internationale des services publics [sise à Ferney-Voltaire à la frontière de Genève] pour l’Afrique et les pays arabes, a déclaré mercredi dans un communiqué qu’« il est encourageant que l’Union africaine tienne tête à l’UE et demande qu’une référence à la dérogation ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle) soit incluse dans le document final du sommet ».

« L’UE prétend promouvoir un “partenariat prospère d’égal à égal” avec l’Union africaine – alors qu’elle jette plus de doses de vaccins à la poubelle qu’elle ne nous en donne, tout en continuant à bloquer une levée des brevets sur les vaccins qui nous permettrait de produire nos propres vaccins », a déclaré Sani Baba Mohammed. « Qu’y a-t-il d’égal à cela ? »

« Cet apartheid vaccinal – perpétué par l’UE – a un coût humain brutal », poursuit Sani Baba Mohammed. « Nos moyens de subsistance continuent d’être détruits, nos économies brisées, nos travailleurs et travailleuses de la santé poussés au bord du gouffre… Nous avons besoin de la dérogation ADPIC maintenant et l’UE doit cesser de s’y opposer. » (Article publié sur le site Common Dreams, le 16 février 2022 ; traduction rédaction A l’Encontre)


[1] The People’s Vaccine Alliance regroupe quelque 100 organisations incluant African Alliance, Christian Aid, Oxfam, Public Services International et ONUSIDA. (Réd.)

[2] Selon le site AfricaNews : Joe Biden et même Emmanuel Macron avaient montré des signes d’ouverture l’an dernier mais la porte s’est très vite refermée. Pas plus tard que lundi 14 février, Franck Riester, le ministre français délégué au Commerce extérieur, a déclaré au nom des Européens qu’il n’était pas question « de remettre en cause un système de propriété intellectuelle qui permet l’innovation, qui a permis notamment d’avoir très rapidement un vaccin pour l’humanité contre le Covid-19 ». (Réd.)