Europe

A l’Encontre - Royaume-Uni. Les infirmières du NHS s’engagent dans une mobilisation historique.

Novembre 2022, par Info santé sécu social

Dans la foulée se profilent les grèves des enseignant·e·s et de la fonction publique

11 novembre 2022 Grande Bretagne
Dossier par rédaction A l’Encontre fait entre autres sur la base d’articles du Guardian

Pour la première fois de leur histoire, les infirmières ont voté en faveur de grèves dans tout le Royaume-Uni [Ecosse, Pays de Galles, Irlande du Nord et Angleterre] afin d’obtenir un meilleur accord salarial [la revendication immédiate est la suivante : 5% d’augmentation au-dessus de l’inflation, autrement dit une augmentation avoisinant les 17% ; la proposition gouvernementale initiale était une augmentation de 4%] [1].

Le Royal College of Nursing (RCN) a annoncé mercredi 9 novembre que les infirmières de nombreux hôpitaux et autres lieux de soins du NHS (National Health Service, son organisme de tutelle est le ministère de la Santé) entameraient une grève avant Noël et pourraient la poursuivre jusqu’en mai prochain. [La grève sera lancée dans les centres de santé où le scrutin a répondu aux contraintes légales imposées par les gouvernements conservateurs pour permettre une grève.]

Les grèves imminentes sont susceptibles d’être les premières d’une série d’actions potentiellement prolongées au cours de l’hiver et au printemps par d’autres groupes de travailleurs de la santé, notamment les médecins en formation et le personnel ambulancier.

Ce mouvement intervient dans un contexte d’action croissante des salarié·e·s du secteur public. Le personnel ferroviaire a mené des grèves régulières au cours des cinq derniers mois dans le cadre de leur conflit salarial, tout comme le personnel de Royal Mail, tandis que 70 000 membres de l’University and Colleges Union ont décidé mardi de mener des actions syndicales, toutes liées aux salaires [2]. Le syndicat des services publics et commerciaux (Public and Commercial Services union-PCS) a annoncé jeudi que les fonctionnaires se joindront à la vague croissante d’actions [3].

C’est la première fois, en 106 ans d’histoire, que le RCN (Royal College of Nursing) organise un vote statutaire de ses membres dans tout le Royaume-Uni à propos d’une grève.

« La colère s’est transformée en action. Nos membres disent que ça suffit », a déclaré Pat Cullen, secrétaire générale et directrice du syndicat [élue à ce poste en juillet 2021]. « Nos membres ne toléreront plus un casse-tête financier à la maison et un traitement brutal au travail. » [Le RCN doit annoncer les résultats du scrutin et les centres de soins concernés dans les jours à venir.] Le vote reflète la colère généralisée des infirmières face au refus du gouvernement d’augmenter l’offre faite en juillet d’une augmentation salariale annuelle d’au moins 1400 £ [4] à environ un million de personnes travaillant dans les services de santé en Angleterre [ce qui équivaut, selon le RCN, à une adaptation se situant entre 4 et 5% selon la position dans l’échelle des salaires], à l’exception des médecins et des dentistes.

Pat Cullen a demandé au chancelier de l’Echiquier, Jeremy Hunt, d’élaborer son budget, qui sera présenté le 17 novembre, pour trouver des fonds supplémentaires afin d’accorder aux infirmières une augmentation beaucoup plus importante et ainsi éviter la perspective d’un conflit de longue durée. « Les ministres doivent se regarder dans le miroir et se demander combien de temps ils vont faire subir cette situation au personnel infirmier. Pendant que nous planifions notre action de grève, le budget de la semaine prochaine est l’occasion pour le gouvernement britannique d’indiquer une nouvelle orientation avec des investissements substantiels », a-t-elle déclaré.

Mais Steve Barclay, le secrétaire à la Santé, a déclaré que les ministres « regrettent profondément que certains membres du syndicat aient voté pour une action de grève ». Des sources du ministère de la Santé et des Soins sociaux ont affirmé que le RCN cherchait à obtenir une augmentation de salaire de 17,6% qui, si elle était appliquée à l’ensemble du personnel du NHS, à l’exception des médecins et des dentistes, coûterait 9 milliards de livres.

Les syndicats de la santé ont condamné l’offre de 1400 £ [voir note 4], la qualifiant d’« insulte » et de « dérisoire » et la considérant comme une réduction réelle des salaires du personnel, étant donné que l’inflation est de 10,1%. Ils ont fait pression pour que les augmentations correspondent au moins à l’inflation, tandis que le RCN a demandé une augmentation de 5% au-dessus de l’inflation.

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Les services devront être réduits dans de nombreux hôpitaux britanniques où les infirmières ont voté la grève. Cependant, d’autres hôpitaux ne seront pas affectés, car soit au moins 50% des membres n’ont pas participé au vote sur le lieu de travail, soit au moins 50% des votant·e·s n’ont pas soutenu la grève, deux obstacles juridiques que les syndicats doivent surmonter avant de pouvoir faire grève.

Les infirmières ont voté en faveur de la grève dans de nombreux grands hôpitaux, tels que l’hôpital St Thomas à Londres – en face des Chambres du Parlement – ainsi que l’Edinburgh Royal Infirmary, l’University Hospital Wales à Cardiff et l’hôpital Royal Victoria à Belfast. En revanche, les infirmières des hôpitaux gérés par le Manchester University Acute Foundation Trust [structure mise en place en 2017 et réunissant 10 hôpitaux du Grand Manchester] de la ville n’ont pas voté pour la grève, mais celles de trois autres hôpitaux du Trust l’ont fait. […]

Le RCN n’a pas dit quand la première grève aura lieu. Mais il est probable qu’elle aura lieu au début ou à la mi-décembre et qu’elle se déroulera sur deux jours, peut-être un mardi et un jeudi, afin de montrer aux ministres la profondeur du mécontentement face à la situation. (Article publié par The Guardian, le 9 novembre 2022 ; traduction rédaction A l’Encontre)

Notes

[1] Des chercheurs de London Economics ont été chargés par le Royal College of Nursing (RCN) d’examiner les salaires des infirmières en Angleterre, au Pays de Galles, en Ecosse et en Irlande du Nord depuis 2010. « Ils ont constaté que le salaire d’une infirmière qualifiée avait baissé de 20% en termes réels, sur la base d’une semaine de cinq jours. Selon l’étude, les infirmières qualifiées d’Angleterre, du Pays de Galles et d’Irlande du Nord auraient besoin d’une augmentation nominale de 45% d’ici 2024-25 pour retrouver les niveaux de salaire de 2010-2011 en termes réels. » Selon cette étude, « une telle augmentation salariale permettrait au NHS d’économiser de l’argent à long terme, car elle serait moins coûteuse que le recrutement de personnel à l’étranger. Le Dr Gavan Conlon, qui a supervisé la recherche, a déclaré que faire venir du personnel de l’étranger coûte environ 16 900 livres [19 308 euros] de plus par an que de garder une infirmière, tandis que le recours à des travailleurs intérimaires coûte environ 21 300 livres [24 336 euros] de plus par an. Il a ajouté qu’environ 32 000 infirmières quittent le NHS chaque année, souvent parce que leur salaire ne suit pas l’augmentation du coût de la vie. » – Sky News, 28 octobre 2022 (Trad réd. A l’Encontre)

[2] « Au moins 70 000 membres du personnel universitaire sont sur le point de se mettre en grève. Le syndicat University and College Union (UCU) a annoncé que la grève nationale prévue aura lieu les 24, 25 et 30 novembre. Le personnel de 150 universités britanniques mènera une action syndicale sur les salaires, les conditions de travail et les pensions. Le syndicat a déclaré qu’environ 2,5 millions d’étudiants seraient affectés mais que “les perturbations peuvent être évitées si les employeurs agissent rapidement et font des propositions meilleures [elles étaient initialement de 5 à 9%, selon l’ancienneté des enseignants et la région concernée]. S’ils ne le font pas, les actions de grève s’intensifieront au cours de la nouvelle année, parallèlement à un boycott des notes et de l’évaluation”. » – The Guardian, 8 novembre 2022 (Trad. réd. A l’Encontre)

[3] « Les fonctionnaires sont le dernier secteur de salarié·e·s mécontents à voter la grève plutôt que d’accepter des réductions importantes de leur niveau de vie, dans ce qui semble être la plus grande vague de grèves au Royaume-Uni depuis des décennies. La toile de fond de ce dernier vote est une combinaison inquiétante de compressions salariales à long terme, de difficultés liées au travail dans des services publics débordés et de la longue empreinte de la pandémie. Bon nombre des salarié·e·s qui soutiennent la grève sont ceux qui ont assuré le fonctionnement des services publics pendant les confinements de 2020 et 2021, ce qui alimente peut-être leur ressentiment à l’égard de la perspective de diminutions salariales en termes réels. Avec une inflation à deux chiffres, la croissance des salaires dans le secteur privé a fortement augmenté ces derniers mois, dépassant les 6%, soulignant le contraste avec les budgets serrés des employeurs du secteur public. Le syndicat des services publics et commerciaux (PCS) a obtenu le soutien à l’action de la part de 100 000 sur les 150 000 salarié·e·s du public où il a pu organiser un scrutin. Toutefois, le PCS s’est félicité de ce résultat, compte tenu des contraintes juridiques strictes qui pèsent sur les grèves du secteur public. Elles exigent une participation au scrutin de 50% des salarié·e·s, sur chaque lieu de travail.

Les salarié·e·s du secteur public ont fait les frais de la réduction des dépenses au cours des 12 dernières années. George Osborne [chancelier de l’Echiquier de mai 2010 à juillet 2016, sous le gouvernement de David Cameron] – aujourd’hui de retour à Downing Street en tant que conseiller – a imposé un gel des salaires de 2011 à 2013, suivi d’un plafonnement des salaires à 1% pendant les quatre années suivantes. Ce plafond de 1% a été levé en 2018. Il a été réimposé en 2020, alors que le coût de la lutte contre la pandémie de Covid mettait les finances publiques à rude épreuve. Mais une inflation à deux chiffres signifie qu’une « adaptation » de 2% [comme proposé] représente une réduction significative en termes réels pour un secteur de salarié·e·s dont le niveau de vie a été constamment réduit depuis plus d’une décennie. » – The Guardian, 10 novembre 2022 (Trad. réd. A l’Encontre)

[4] Selon le Départment of Health and Social Care du gouvernement, le salaire annuel d’une salariée de la santé se situant dans la classe 6 de l’échelle des salaires, deuxième classe pour les infirmières diplômées, est le suivant : le salaire de base annuel des infirmières et sages-femmes travaillant à temps plein se situait à 32 306 £ (36 928 euros) l’année dernière ; avec l’adaptation annuelle de 1400 £ proposée par le gouvernement – soit 4,3% – il atteindrait 33 706 £. Ce salaire annuel est brut. Mensuellement, il s’élève à 2808,83 livres en novembre 2022. Pour obtenir le salaire net, il faut tenir compte des déductions mensuelles suivantes : 211,3 livres pour la National Insurance (éléments de sécurité sociale), 275,27 pour la retraite et 297,20 pour les impôts. Donc, le salaire net mensuel s’élève à 2025 livres (2309 euros). (Réd. A l’Encontre)

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