Le chômage

A l’encontre - France. « Un pognon de dingue » pour les chômeurs ?

Juillet 2018, par Info santé sécu social

Par Michel Husson

La tribune cosignée par Philippe Aghion, Philippe Martin et Jean Pisani-Ferry a eu un certain écho parce qu’elle exprimait une critique feutrée de l’action du président Macron, alors même que ses auteurs avaient contribué à l’élaboration de son programme. Cette tribune n’allait pas très loin et suggérait, entre autres, « d’explorer la piste d’une réduction de la durée d’allocation chômage conditionnée à l’évolution du taux de chômage ».

Jean Pisani-Ferry a tenu à faire amende honorable en publiant une nouvelle tribune. Il y reprend tous les poncifs sur les dépenses publiques excessives et inefficaces, et n’hésite pas à désigner la cible : « La France consacre ainsi autant de moyens à l’éducation (du primaire au supérieur) qu’à l’emploi (allégements de cotisations sociales compris) : 120 milliards d’euros par an. Sur vingt ans, la dépense publique pour l’éducation a stagné alors que la dépense pour l’emploi a explosé. » Bref, pour reprendre le titre de la tribune : « La stratégie de la dépense palliative a atteint ses limites ».

Réduire le chômage

Le chiffre est exact. Selon les dernières données de la Dares [1] « les dépenses en faveur de l’emploi et du marché du travail comprennent les dispositifs ciblés sur les demandeurs d’emploi et les personnes en difficulté sur le marché du travail, et les dispositifs généraux destinés à réduire le coût du travail pour certains secteurs, territoires et catégories de salariés. Elles s’élèvent à 122 milliards d’euros (Md€) en 2015, soit 5,6 points de PIB ».

Avant de dire que c’est trop (« un pognon de dingue » ? selon la formule macronienne), il faudrait y regarder de plus près et examiner ce que recouvre ce chiffre. Le service statistique du ministère du Travail donne les détails en distinguant deux grandes catégories. La première est celle des « dépenses ciblées pour les politiques du marché du travail » qui représente une grosse moitié du total (65,7 milliards). Elle comprend principalement les allocations chômage et la formation professionnelle des demandeurs d’emploi.

L’essentiel de ces dépenses (48,9 milliards) correspond donc à des « transferts aux individus » pour reprendre le regroupement opéré par la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques ). Employeurs et salariés cotisent, et ces cotisations sont reversées aux chômeurs, en tout cas à ceux qui sont indemnisés.

Est-ce trop ? Oui, certainement, parce qu’il y a trop de chômage. Les contempteurs des dépenses sociales, comme Jean Pisani-Ferry, répondent eux aussi positivement, mais ce qu’ils suggèrent de réduire, ce n’est pas le chômage, mais l’indemnisation des chômeurs.

Baisser le coût du travail, une dépense pour l’emploi ?

La seconde catégorie est celle des dépenses générales en faveur de l’emploi, qui recouvrent pour l’essentiel des mesures en faveur des employeurs qui servent, comme l’écrit la Dares, à « réduire le coût du travail » mais dont on peut penser que l’effet sur l’emploi est assez incertain. Avant de démissionner de France Stratégie [Commissariat général à la Stratégie et à la Prospective, rattaché au Premier ministre] pour rejoindre l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron, Jean Pisani-Ferry présidait le comité de suivi du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). A ce titre, il est bien placé pour connaître les conclusions du dernier rapport de ce Comité [2] : « la prise en compte de l’année 2015 dans les travaux d’évaluation ne lève pas toutes les incertitudes entourant l’effet du CICE sur l’emploi. Un effet positif mais modéré, concentré sur les entreprises les plus exposées au CICE, lui paraît le plus vraisemblable, de l’ordre de 100’000 emplois sauvegardés ou créés sur la période 2013-2015 (mais dans une fourchette large, allant de 10’000 à 200’000 emplois) ».

[1] Dares, « Les dépenses en faveur de l’emploi et du marché du travail en 2015 », novembre 2017