Environnement et facteurs dégradant la santé

Allo-docteur avec AFP - Amiante : un procès pénal aura-t-il lieu ?

Juin 2017, par Info santé sécu social

Industriels, scientifiques, hauts fonctionnaires : ce sont neuf protagonistes qui ont été mis en examen entre fin 2011 et début 2012 pour homicides et blessures involontaires dans les dossiers de l’exposition à l’amiante des salariés du campus parisien de Jussieu et des chantiers navals Normed de Dunkerque.

Dans les années 30 et les années 50, des études montrent déjà que l’amiante provoque des fibroses pulmonaires et des cancers. Alors pour pouvoir continuer à utiliser ce matériau, les industriels s’organisent pour empêcher une règlementation trop stricte.

En 1982, ils créent le CPA, le Comité permanent amiante, qui regroupe des scientifiques, des syndicats et surtout des industriels. Il a influencé les pouvoirs publics et a même "anesthésié l’Etat" selon un rapport du Sénat.

Les neuf personnes concernées ont toutes été membres du Comité permanent amiante entre 1982 et 1995. Les parties civiles accusent ce comité — dissous dans les années 90 — d’avoir été le lobby des industriels et le promoteur de "l’usage contrôlé" de la fibre cancérogène pour en retarder au maximum l’interdiction, prononcée en France en janvier 1997. Le rôle de cette structure avait été épinglé dans un rapport sénatorial.

La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris s’est penchée ce 7 juin sur la validité de ces mises en examen et rendra son verdict mi-septembre, selon une source proche du dossier.

Vers un grand procès de l’amiante ?

Si les poursuites à leur encontre étaient validées, les juges d’instruction devront alors décider du renvoi des responsables devant le tribunal, comme le réclament l’Association régionale de défense des victimes de l’amiante du Nord-Pas de Calais (Ardeva) et le Comité anti-amiante Jussieu, défendus par les avocats Éric Dupond-Moretti et Antoine Vey.

"On espère beaucoup pour toutes les victimes que la cour ait entendu nos arguments qui, à ce stade, visent à permettre que l’information judiciaire se poursuive afin de pouvoir précisément discuter dans le cadre d’un procès public et contradictoire du fond de ce dossier et des conditions particulièrement scandaleuses dans lesquelles les travailleurs et usagers du service public ont été exposés à la fibre mortelle", a déclaré Antoine Vey à l’issue de l’audience du 7 juin.

Une mise en examen annulée en 2014, rétablie en 2015

Les neuf protagonistes avaient obtenu l’annulation de leur mise en examen par la Cour d’appel de Paris le 4 juillet 2014. La décision fut invalidée par la Cour de cassation le 14 avril 2015, et les dossiers renvoyés devant la chambre de l’instruction. Pour la défense des personnes mises en examen, aucune faute ne peut leur être imputée. "La règle scientifique à l’époque était l’usage contrôlé de l’amiante et il n’y avait aucune connaissance scientifique permettant de conclure que son interdiction était obligatoire", déclare Benoît Chabert, avocat de l’un des hommes mis en examen, Jean-Louis Pasquier, ancien responsable du bureau risques chimiques professionnel au ministère du Travail, entre 1977 et 1994.

Les avocats des personnes mises en examen s’appuient notamment sur une décision de la Cour de cassation qui a définitivement mis hors de cause huit personnes — dont Martine Aubry — dans le dossier de l’usine Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau (Calvados), estimant qu’aucune négligence ne pouvait leur être reprochée.

Quelques procès au civil, aucun au pénal

L’indemnisation des victimes est globalement satisfaisante — même si certains avocats ont récemment pointé du doigt certaines difficultés. Des entreprises comme Eternit ou Saint-Gobain ont été condamnées devant des juridictions civiles. En revanche, au pénal, il n’y a toujours pas eu de procès.

François Desriaux, vice-président de l’ANDEVA (Association nationale de défense des victimes de l’amiante), considère que les principales entraves à la tenue d’un procès pénal sont "l’enchevêtrement des responsabilités entre les employeurs et les industriels qui ont masqué les dangers", et "la responsabilité des pouvoirs publics qui ont laissé faire".

Les premières plaintes au pénal ont été déposées en octobre 1996 par deux ouvriers d’Eternit à Thiant, morts en 1997 et en 1998. Aujourd’hui, les juges d’instruction du pôle de santé publique ont dans leurs mains une quinzaine de procédures pénales visant essentiellement d’anciens chefs d’entreprise.

De l’amiante encore présent dans de nombreux sites en France

Le 1er janvier 1997, l’amiante était interdite en France. Mais pendant des décennies, elle a été massivement importée et utilisée un peu partout dans la construction : dans des dalles, comme revêtement de plafond ou même dans du ciment. Ce matériau non inflammable et peu cher était utilisé du sol au plafond. De ce fait, aujourd’hui il reste encore de l’amiante dans de nombreux bâtiments, de la Tour Montparnasse à Paris au CHU de Caen, en passant par le Tripode de Nantes, de nombreux bâtiments scolaires ou encore certains domiciles…

Plus ces sites vieillissent, plus ils risquent de libérer les fibres cancérigènes. Pour travailler sur un site amianté, il faut normalement porter des équipements de protection très stricts : gants, combinaison et masque filtrants. Le site doit aussi être confiné pour éviter la dispersion des fibres. Tant qu’elle n’est pas apparente, l’amiante ne pose pas de problème. Mais avec le vieillissement des bâtiments, elle commence parfois à se déliter.

"Si on avait une vraie stratégie nationale, on surveillerait les bâtiments publics, privés, les écoles, les logements… on établirait des priorités et on désamianterait progressivement, sachant qu’il faudrait trente ou quarante ans de désamiantage", confie Aline Archimbaud, sénatrice écologiste de Seine-Saint-Denis. Retirer toute l’amiante qui reste dans le pays va coûter cher dans les prochaines années. Cependant, il n’existe toujours aucune donnée chiffrée concernant le désamiantage de la France.