Le chômage

Alternative économique - ASSURANCE CHÔMAGE Contrats courts : la négociation impossible

Février 2019, par Info santé sécu social

SANDRINE FOULON
20/02/2019

La dernière négociation entre partenaires sociaux sur l’assurance chômage vient de se solder par un échec. Le patronat refuse d’instaurer une taxation des contrats courts.

Le scénariste qui aurait l’idée, sans doute pas très vendeuse, de faire une série sur les négociations d’assurance chômage, aurait le plus grand mal à renouveler son intrigue. Tous les trois ans, voire plus si le gouvernement rappelle les partenaires sociaux à la table des négociations, deux camps se livrent bataille autour de la taxation des contrats courts. Un ressort dramatique qui, immanquablement, finit par provoquer claquements de porte, mais surtout absence d’accord.

La dernière séance de négociation, qui devait se terminer aujourd’hui 20 février, n’a pas dérogé à la règle. L’échec est cuisant. « Cette rupture à torts partagés est d’autant plus regrettable qu’elle intervient dans une période où la nécessité de réformer le dispositif actuel est une évidence », a très vite communiqué la CPME. « Nous faisons le constat que nous ne pouvons trouver aujourd’hui suffisamment de points de convergence », a déclaré le négociateur du Medef, Hubert Mongon. « La négociation est terminée », a renchéri Denis Gravouil (CGT). Pour la CFDT, « le patronat porte une part de responsabilité dans cet échec en refusant de proposer des mesures contraignantes et généralisées de lutte contre les recours abusifs aux contrats courts ». Et les demandeurs d’emploi « ne doivent pas être les grands perdants d’une réforme qui serait guidée par la seule recherche d’économies budgétaires », poursuit la centrale qui demande l’organisation d’une réunion tripartite au ministère du Travail.

Retour à la case départ
Parmi les nombreuses propositions du patronat ces dernières semaines – renforcer le contrat à durée indéterminée (CDI) intérimaire, créer un fonds de solidarité pour les salariés précaires, introduire une prime de précarité payée par l’employeur pour les personnes qui auraient enchaîné quatre contrats à durée déterminée (CDD) dits « d’usage »... – aucune n’a donc entraîné l’adhésion des syndicats.La CFDT a ainsi rappelé que les contrats d’usage (CDDU) ne concernent que 10 % des 34 millions de contrats de moins d’un mois signés tous les ans. Sur la même ligne, Force ouvrière (FO) a considéré que l’enjeu était de mettre fin aux dérives massives de l’ensemble des contrats courts qui sont « sources de précarité grandissante dans l’emploi et le revenu, notamment pour les femmes et les jeunes ». A l’unisson, les cinq négociateurs syndicaux sont ainsi restés fermes : sans proposition patronale d’une forme de bonus-malus sur les cotisations patronales, pas de poursuite de négociation possible. Mais pour le patronat, pénaliser les entreprises est un frein à l’embauche et une entrave à la compétitivité.

Retour à la case départ ? Certes, quelques maigres avancées ont été enregistrées par le passé. En 2013, la loi de sécurisation de l’emploi avait déjà instauré une surtaxation des contrats courts, mais partielle. En échange de la création d’un CDI intérimaire, le secteur de l’intérim avait réussi à passer entre les gouttes – on compte pourtant quelque 800 000 intérimaires en 2018, contre 250 000 en 1990.

Seuls les CDD pour surcroît d’activité et les CDDU ont été visés par cette hausse des cotisations. Mais depuis la convention d’assurance chômage de 2017, il n’y a plus que les CDDU de moins de trois mois qui soient concernés par une surtaxation à hauteur de 4,55 % de la rémunération brute du salarié – pour tous les autres contrats, les cotisations patronales chômage s’élèvent à 4,05 %. Malgré cette pénalité, la grande souplesse et l’absence de régulation de ces CDDU restent attractives pour les entreprises. Spécifiques à 30 secteurs (hôtellerie-­restauration, déménagement, spectacles, sport professionnel…), ces CDD ne prévoient ni primes de fin de contrat, ni limite de renouvellement, ni délais de carence entre deux missions. Selon les estimations des économistes Eric Heyer et Bruno Coquet, auteurs d’un rapport sur le sujet présenté au Sénat, « les branches autorisées à recourir aux CDDU ont un taux d’embauche en CDD de moins d’un mois supérieur de 20 % aux autres branches ».

D’un montant trop faible et portant sur un périmètre trop réduit, la surtaxation des contrats courts en vigueur entre 2013 et 2017 n’a donc eu pour effet ni de faire reculer la précarité, ni de générer des économies pour l’assurance chômage.

Unédic : les CDD coûtent cher alors que les CDI rapportent

Bien sûr, il existe des motifs légitimes de recourir aux contrats courts. Mais les pics d’activité saisonniers ne justifient pas l’essor considérable de ces contrats. On est ainsi passé de 6,6 millions de CDD de moins d’un mois par an au début des années 2000 à plus de 17 millions aujourd’hui. Au global, 40 millions de CDD et de missions d’intérim sont signés tous les ans. Problème supplémentaire, les CDD sont de plus en plus courts. Depuis vingt ans, leur durée a été divisée par trois. Un tiers d’entre eux est désormais signé pour une journée et plus de 70 % des embauches sont des réembauches chez le même employeur. Si le CDI reste la forme majoritaire d’emploi, 87 % des embauches se font tout de même en contrats courts. Entre les cotisations reçues et les prestations versées, ces derniers représentent pour l’Unédic un déficit de 8,7 milliards d’euros par an, alors que les contrats longs génèrent un excédent de 10 milliards.

Modalités de taxation
Alors, comment résoudre cette équation ? A défaut d’accord signé entre les partenaires sociaux, l’exécutif a assuré qu’il reprendrait donc la main. L’instauration d’un bonus-­malus sur les contrats courts est une promesse de campagne du président, qu’il a réaffirmée depuis. En outre, le gouvernement n’a pas besoin de loi : il peut mettre en place un bonus-malus par décret. L’inconnue porte sur le scénario qui sera privilégié. Il existe plusieurs pistes. Le projet du gouvernement reposerait sur une modulation des cotisations des entreprises (de onze salariés et plus) selon leur consommation de contrats : CDD, CDI, intérim. En fonction d’une moyenne établie selon leur secteur d’activité, ces cotisations pourraient baisser (bonus), voire augmenter (malus).

Selon les informations du quotidien Les Echos, le gouvernement pourrait aussi laisser du temps au temps et ouvrir une concertation avec les partenaires sociaux afin d’examiner les modalités possibles. Et il en existe plusieurs : plus l’entreprise coûte cher à l’assurance chômage, plus elle paie, selon le principe du pollueur-payeur, voire un système plutôt orienté vers le bonus avec une dégressivité des cotisations en fonction du comportement vertueux de l’entreprise. C’est l’option privilégiée par la CFDT, alors que la CGT plaide plutôt en faveur du malus. FO préfère, de son côté, la mise en place d’un « taux pivot de référence », fixé par les partenaires sociaux en fonction de la taille des entreprises et de leur secteur d’activité. Celles qui se situeraient au-dessus de cette médiane verraient leurs cotisations chômage augmenter, tandis que celles qui seraient en deçà bénéficieraient d’une minoration. 83 % des entreprises y gagneraient, d’après FO.

Echec des négociations de branche
Une solution aurait également pu passer par la négociation de branche. Qui, mieux que les secteurs d’activité concernés, pourrait en effet s’accorder sur un bonus-malus adapté aux activités saisonnières ? Le gouvernement les a enjoints à négocier sur l’encadrement de leurs contrats courts. Sauf que les secteurs qui sont parvenus à signer un accord se comptent sur les doigts d’une main. Après la métallurgie et la propreté, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) a signé un accord début janvier avec trois syndicats du secteur.

Une autre porte de sortie serait que l’exécutif revoie les règles de fonctionnement de certains CDD, à commencer par les contrats dits d’usage, voire de freiner les allègements de cotisations sociales sur les bas salaires. Eric Heyer et Bruno Coquet estiment ainsi que cette dernière politique favorise la multiplication des contrats courts.

Il est néanmoins peu probable que l’exécutif s’aventure sur ce terrain. A défaut, la mise en place d’un bonus-malus semble aujourd’hui la piste la plus accessible pour, enfin, limiter l’essor des contrats courts. Dans un contexte où le gouvernement demande à l’assurance chômage de faire des économies (3,9 milliards sur trois ans), la mesure pourrait assainir les comptes de l’Unédic. Et même si l’absence d’accord fragilise la gestion paritaire de l’assurance chômage, ce serait aussi une façon de répondre aux attentes des syndicats de salariés sur le sujet. Beaucoup moins à celles du patronat. Le bonus-­malus sur les contrats courts pourrait constituer le premier bras de fer du quinquennat entre le gouvernement et les représentants des entreprises.