Complementaires santé

Alternative économique - Complémentaires santé : un pognon de dingue !

Novembre 2022, par Info santé sécu social

LE 28/10/2022

Nicolas Da Silva
Chercheur au Centre d’économie de l’Université Paris 13

Contrairement à ce qu’on entend trop souvent dans le débat public, il n’y a aucune raison de dramatiser la situation des comptes de la Sécurité sociale pour légitimer des réformes de réduction d’accès aux droits. Mais ce n’est pas parce que la Sécurité sociale est en excellente santé financière que l’on ne peut pas chercher à réaliser des économies là où il existe du gaspillage. Par exemple, comment explique-t-on le silence assourdissant du gouvernement sur les complémentaires santé, alors qu’elles nous coûtent « un pognon de dingue » ?

Chaque année les rapports de la Drees, le service statistique du ministère de la Santé, confirment une réalité extrêmement simple : les coûts de gestion des complémentaires santé sont beaucoup plus élevés que ceux de la Sécurité sociale.

En 2021, les frais de gestion du système de santé dans son ensemble représentaient 15,4 milliards d’euros. Plus de 50 % étaient le fait des complémentaires santé (7,711 milliards) contre à peine moins de 50 % pour le « pôle public » (Sécurité sociale et Etat représentant 7,690 milliards). Le scandale apparaît dans toute son ampleur en comparant les frais de gestion au niveau des prestations.

Les complémentaires santé consomment autant de frais de gestion que le pôle public, alors qu’elles remboursent huit fois moins de soins de santé ! Elles financent 12 % de la dépense courante de santé (36,9 milliards), frais de gestion compris, contre 78,5 % pour le pôle public (241,6 milliards d’euros).

Sur les 307,8 milliards d’euros de dépense courante de santé en 2021, les complémentaires santé prennent 7,7 milliards d’euros pour financer 29,2 milliards d’euros de soins, alors que le pôle public rembourse 233,9 milliards d’euros de prestations pour le même prix.

Des complémentaires chères

Toutes les formes de complémentaires sont chères : les frais de gestion des sociétés d’assurances (à but lucratif) s’élèvent à 22 % des cotisations perçues, mais ceux des mutuelles et des institutions de prévoyance (sans but lucratif) sont respectivement de 19,9 % et 14,1 %.

Les frais de gestion sont définis par la statistique publique comme la somme des frais d’administration, des frais de gestion de sinistre et des frais d’acquisition. En moyenne, les frais d’acquisition de la clientèle (publicité, commerciaux, etc.) s’élèvent à 8,1 % pour les complémentaires contre 0 pour le pôle public. Autrement dit, la concurrence coûte très cher à l’assuré : sur 100 euros cotisés hors taxes, 8 servent au marketing !

Si les complémentaires sont intrinsèquement plus chères que le monopole public, ce qui coûte cher est aussi la double assurance. Pour le même soin, une consultation gynécologique par exemple, tout est doublé puisqu’une proportion est remboursée par la Sécurité sociale et l’autre par la complémentaire de l’assuré. Tout le monde travaille deux fois, là où on pourrait ne travailler qu’une fois. C’est d’ailleurs pour cela que l’on parle de « complémentaire » santé : elles sont le complément indispensable – et désormais obligatoire – pour le financement de tous les soins ou presque.

Dans d’autres pays, comme au Royaume-Uni ou en Espagne, l’assurance santé privée est « supplémentaire » : le public finance à 100 % ce qu’il décide de financer et le privé finance d’autres soins. La complémentarité à la française est une servitude héritée du passé qui nous place parmi les pays aux frais de gestion les plus chers du monde.

Ce constat est très largement partagé depuis de nombreuses années par une grande partie du monde académique et par de plus en plus de hauts fonctionnaires qui n’hésitent plus à intervenir dans le débat public. Au début de cette année, une nouvelle étape a été franchie avec la publication d’un rapport explosif par le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM). Ce rapport, commandé à l’initiative d’Olivier Véran dans le cadre du débat portant sur la grande Sécu, démontre qu’en généralisant la Sécurité sociale en remplacement des complémentaires santé, il serait possible d’économiser 5,4 milliards d’euros par an.

L’hypothèse d’un remboursement à 100 %
Le HCAAM a étudié l’hypothèse d’un remboursement à 100 % du ticket modérateur et des franchises par la Sécurité sociale. L’enjeu n’est donc pas d’étendre sans bornes la Sécurité sociale mais de rembourser à 100 % tous les tarifs administrés. Par exemple, pour une consultation de médecine générale, la Sécurité sociale rembourserait 100 % du prix administré (25 euros) contre seulement 70 %, moins 1 euro de franchise aujourd’hui (25 x 0,70 - 1 = 16,50 euros).

D’après les estimations du HCAAM réalisées par la Drees, le transfert de charge des complémentaires vers la Sécurité sociale coûterait aux finances publiques 22,5 milliards d’euros. Mais, du point de vue des ménages qui paient les complémentaires, cela se traduirait par une baisse du coût des soins de 5,4 milliards d’euros. En effet, le surplus de cotisations sociales serait plus que compensé par les économies sur les primes payées aux complémentaires. Le prélèvement obligatoire public est plus efficace que le prélèvement obligatoire privé.

Les seuls perdants de la réforme sont les complémentaires qui verraient leur marché s’effondrer de près de 70 %. Elles resteraient ce qu’elles sont actuellement pour la minorité aisée de la population : des « supplémentaires » santé, remboursant les dépenses non prises en charge par la Sécurité sociale (dépassement d’honoraires, chambres particulières, etc.).

Aussi, en fonction des scénarios de redistribution des économies réalisées, le HCAAM démontre que seuls les 20 % les plus riches de la population seraient pénalisés par la réforme. En moyenne, toutes les catégories de la population seraient bénéficiaires de la réforme (salariés, indépendants, inactifs, retraités, jeunes, seniors, etc.).

Le graphique montre ainsi que si le reste à charge après remboursement de la Sécurité sociale augmenterait pour toutes les classes d’âge, cette augmentation serait systématiquement inférieure à la baisse des primes d’assurance consécutives à l’élargissement de la sphère de la Sécurité sociale.

La hausse du reste à charge compensée par la baisse des primes d’assurance
Baisse moyenne annuelle des primes et augmentation du reste à charge (RAC) après remboursement par la Sécurité sociale (Sécu)

Que faire de ces 5,4 milliards d’euros ? La redistribution aux ménages est une possibilité mais il y en a d’autres. Rappelons que l’article 12 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, actuellement en discussion à l’Assemblée, annonce pour 2023 un déficit de la branche maladie du régime général de 6,5 milliards d’euros. De là à dire que le gouvernement préfère les complémentaires inefficaces à une Sécurité sociale qui démontre chaque jour sa supériorité, il n’y a qu’un pas.