Le financement de la Sécurité sociale

Alternative économique - Qui va payer pour le Ségur de la santé ?

Septembre 2021, par Info santé sécu social

LA QUESTION
Le 29 septembre 2021

Le gouvernement mise, dans son projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022, sur la CRDS pour combler la dette Covid, mais au-delà, il compte sur la branche retraite pour financer le Ségur de la santé.

Chaque année à l’automne, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) suit le projet de budget de l’Etat (projet de loi de finances, PLF) et fait, comme à l’accoutumée, l’objet de bien moins de commentaires. Il y a pourtant matière : les dépenses des régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale s’élèvent à 564,1 milliards d’euros en 2021.

Au sein de cette enveloppe, sa principale branche, l’assurance maladie (Cnam), affiche en ces temps de pandémie des déficits historiques, à respectivement 36 et 32 milliards d’euros en 2020 et 2021. Les dépenses pour faire face au Covid (18,3 milliards en 2020 – dont 4,8 pour acheter des masques – et autant en 2021) en sont la première explication. Mais le gouvernement a dû en même temps faire face au Ségur de la santé, réponse, imparfaite, aux revendications des personnels de santé, soit 12,5 milliards d’euros1 en deux ans, alors même que les recettes (cotisations, CSG, TVA, etc.) se réduisaient du fait de la récession historique.

En d’autres temps, un tel « trou de la Sécu » aurait appelé des remèdes de cheval, comme le plan Juppé en 1995. Cette fois-ci, rien de tel, car le gouvernement s’est ménagé trois années de répit. En août 2020, le Parlement avait décidé de refiler 136 milliards d’euros de dettes de la Sécu à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), soit 92 milliards au titre des déficits 2020 à 2023 (donc 30 milliards par an) et pour faire bon poids, 20 milliards d’euros de dettes des hôpitaux accumulées pendant les quinquennats précédents.

Ainsi, en 2021, le déficit de la Sécu s’élèverait à - 34,6 milliards, mais elle n’aurait que 4,6 milliards à financer. Le « quoi qu’il en coûte » a donc un nom : la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), prélèvement de 0,5 % sur tous les revenus qui, en dix ans, devrait éponger non seulement la dette Covid, mais aussi les indispensables augmentations structurelles de rémunérations des personnels de santé et l’effort tout aussi nécessaire d’investissement du Ségur.

Laisser filer les comptes de l’assurance maladie
Mais ensuite ? A lire les documents publiés par le gouvernement à l’occasion du PLFSS 2022, le déficit de l’assurance maladie devrait tout de même s’élever à 14,8 milliards d’euros en 2024 et 2025. Et cela au sortir d’une période de grâce budgétaire, le Covid, espérons-le, n’étant plus qu’un cuisant souvenir et les recettes de la Sécu, soutenues par l’activité économique, étant revenues à des volumes « normaux ». Même l’évolution du budget de l’assurance maladie (Ondam, pour objectif national de dépenses d’assurance maladie) revenu à 2,3 %, le Ségur pèse évidemment pour une part dans ce chiffre puisque la hausse des rémunérations s’inscrit dans le temps.

Ce déficit reflète un fait politique : à quelques mois de l’élection présidentielle et des législatives, le gouvernement a renoncé pour l’heure à maîtriser les comptes de l’assurance maladie. Olivier Véran, ministre de la Santé et de la Solidarité est tout heureux de pouvoir proclamer que l’Ondam pour 2022 « n’impose plus aucune économie à l’hôpital public ». L’Ondam général « hors Covid » grimpera en 2022 de 3,8 % et de 4,1 % pour les établissements de santé. Puis, à partir de 2023, sa progression serait ramenée à environ 2,3 %, ce qui signifie que l’effort consenti pour le Ségur ne serait pas amplifié.

Certes, la déclaration du ministre est néanmoins une rupture bienvenue par rapport à l’époque précédente, quand en 2019 le gouvernement d’Edouard Philippe, avec Agnès Buzyn à la Santé, et Olivier Véran rapporteur de la LFSS, prévoyait que la caisse nationale d’assurance maladie afficherait en 2023 un excédent de 1,8 milliard d’euros, ce qui ne pouvait se concevoir qu’en affamant le système de soins.

Les retraites au secours du Ségur
Mais on ne peut pas non plus donner quitus à un gouvernement de laisser non financées des dépenses de Sécurité sociale qu’il a décidées, à l’instar du Ségur. Il dispose pourtant de solutions : la Commission nationale des comptes de la Sécurité sociale estime entre 1,2 et 2,1 milliards d’euros par an les dépenses de la Cnam qui devraient être en réalité assumées par l’assurance accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP). Cela nécessiterait d’augmenter les cotisations AT-MP des employeurs. Autre possibilité : rétablir le principe de compensation par l’Etat de toute exonération de cotisations de Sécurité sociale, par exemple la baisse de CSG sur les pensions de retraite inférieures à 2 000 euros a coûté 1,7 milliard à la Sécu en 2019.

Mais à l’heure où le Président vante les vertus des pourboires défiscalisés, autrement dit les « pourboires au noir », on n’en prend pas le chemin ! Au contraire, le PLFSS expose par avance : « aucune mesure en recettes n’étant prévue, la branche maladie resterait déficitaire de près de 15 milliards d’euros en 2025… »

S’étant liés les mains, Olivier Véran et Olivier Dussopt, ministre des Comptes publics, tentent de se défausser sur la branche vieillesse (Cnav). A terme, expliquent les ministres, il faudra faire appel « à la solidarité entre les branches (de la Sécurité sociale), notamment côté retraites ». Et de pointer du doigt les 7,6 milliards d’euros de déficit prévisionnel de la Cnav en 2025, mais qui atteindra seulement 2,5 milliards en 2022.

On connaissait les arguments développés de la majorité en 2019, injustices, déséquilibres structurels, etc., en faveur d’une réforme des retraites. L’automne 2021 voit l’apparition d’un nouvel élément de langage : il faudrait réduire les dépenses de retraites – et d’ici 2025, seul le report de l’âge de départ serait un levier efficace – pour sauver la maladie ! La sagesse populaire dispose de nombreux dictons pour évoquer ce genre d’attitude : « déshabiller Pierre pour habiller Paul » ; ou mieux encore : « c’est l’hôpital qui se moque de la charité… »

1.En réalité, le Ségur est moins onéreux qu’affiché, puisque, selon la Commission nationale des comptes de la Sécurité sociale, les augmentations de salaires génèrent 1,9 milliard d’euros de revenus supplémentaires (cotisations…) pour la protection sociale.