Réforme retraites 2023

Alternative économique - Retraites : l’alternative est à portée de main

Mars 2023, par Info santé sécu social

LE 09/03/2023

Christophe Ramaux
Maître de conférences en économie à l’université Paris I, membre des Economistes atterrés

Existe-t-il des solutions pour préserver et même améliorer notre système de retraites1 ? En un sens, celui-ci est satisfaisant si on le compare à bien d’autres pays. Mais il demeure des défauts et situations à améliorer.

La controverse sur la « retraite minimale à 1 200 € » a mis en lumière la forfanterie du gouvernement. Elle a aussi été l’occasion de montrer que la retraite est loin du Pays de Cocagne décrit par certains. La pension n’est en moyenne que de 1 530 € nets (avec les réversions) et nombreuses sont celles inférieures à 1 200 €2. Il y a bien lieu d’améliorer le système notamment pour les petites retraites.

Une dégradation programmée
C’est d’autant plus vrai qu’avant même la nouvelle réforme, celles déjà adoptées depuis 1993 organisent déjà une nette dégradation. Avec elles, non seulement l’âge effectif moyen de départ passerait déjà de 62,5 ans à 64 ans en 2040, mais le montant futur des pensions baisserait. Pas en pouvoir d’achat certes : selon le COR, la pension nette passerait de 1 530 € à 1 672 € en 2050 (soit une hausse de 9 % en euros constants) et à 1 795 € en 2070 (soit une hausse totale de 17 %)3.

Les jeunes d’aujourd’hui auront à l’avenir une pension plus élevée que les retraités actuels : la retraite c’est aussi « pour eux », ils en bénéficieront, contrairement à ce que la plupart ont en tête, à la grande satisfaction des fonds de pension (pour qui ces jeunes seront d’autant plus sensibles demain à leurs « produits financiers »).

Mais ce qui intéresse un retraité n’est pas tant son niveau de vie par rapport à ses grands ou arrière-grands-parents disparus. On se compare avec ceux avec qui on vit et non avec ses ancêtres. L’important est donc d’abord le rapport entre le niveau des retraites et celui des actifs.

Or, à ce niveau, c’est bien un décrochage qui pointe : les revenus nets d’activité (salaires essentiellement) augmenteraient beaucoup plus rapidement (+29 % en 2050 et +57 % en 2070) que celui des retraites. De ce fait, le rapport entre la pension nette et le revenu net d’activité aujourd’hui de 61 % en moyenne passerait à 52 % en 2050 et 45 % en 2070.

À l’avenir, la hausse du taux de pauvreté (calculée justement de façon relative, ici en deçà de 60 % du niveau de vie médian de la population) chez les retraités augmenterait. Un avenir déjà engagé puisque ce taux a augmenté sensiblement entre 2014 (son point bas à 7,2 %) et 2019 (à 9,5 %).

Notons que les années 2014-2015, marque sur ce registre comme sur bien d’autres un tournant : celui où les « réformes » accumulées auparavant produisent pleinement leurs effets avec une dégradation effective du montant des pensions.

Mieux ça ira pour l’économie, moins ça ira pour les retraités
Ce faisant, c’est la singularité du système français de retraite qui est remise en cause.

Celle-ci repose sur deux volets étroitement liés. D’une part, la retraite est largement socialisée et ne repose quasiment pas sur la capitalisation. D’autre part, elle assure un niveau de vie similaire au reste de la population et même un revenu minimum supérieur, de sorte que le taux de pauvreté chez les retraités est bien plus faible dans l’Hexagone que dans la plupart des autres pays (près de deux fois moindre que la moyenne de l’Union européenne par exemple).

Ce taux de pauvreté réduit chez les retraités n’a, notons-le, pas toujours prévalu. En 1970, à la fin des Trente Glorieuses, il était de l’ordre de 35 %, bien au-dessus de la moyenne de la population (22 %). Preuve que certains progrès sociaux ont tout de même été enregistrés depuis lors, c’est à partir des années 1970 qu’il a sensiblement baissé, avec une chute jusqu’au début des années 1980 (11 % en 1984), puis une lente décrue poursuivie jusqu’en 2014.

Comment cela a-t-il été possible alors même que le nombre de retraités par rapport aux cotisants a doublé (de 3 retraités en 1970 à 6 aujourd’hui pour 10 actifs) ? On est au cœur de notre sujet : c’est en consacrant aux retraites une plus grande part de la richesse produite chaque année (le PIB) que ce progrès a été réalisé. Cette part est ainsi passée de 7 % en 1970 à près de 14 %.

C’est le choix exactement inverse que promeuvent les réformes néolibérales. Selon le COR, cette part – avant même la nouvelle « réforme » – n’augmentera pas et même baissera à l’avenir dans deux scénarios sur les quatre qu’il a élaborés4, alors même qu’on comptera plus de retraités (7 pour dix actifs en 2050 et 8 en 2070).

D’où la baisse du niveau de vie relatif des retraités. Une baisse qui sera d’autant plus importante que l’économie sera dynamique, de sorte – preuve de l’absurdité des réformes déployées – que « mieux ça ira pour l’économie, moins ça ira pour les retraités »5.

Cela a été souligné par ailleurs : les déficits exhibés par le gouvernement pour justifier sa réforme sont largement gonflés et aisément résorbables6.

Reste une difficulté : cela ne vaut que compte tenu de la dégradation du niveau relatif des retraites. Est-il possible d’enrayer cette dégradation ? Oui, peut-on soutenir, mais à une condition : ne pas accepter la ligne rouge retenue par l’actuelle réforme (tout comme par celle adoptée en 2020 et finalement remisée) : le refus d’augmenter les ressources pour les retraites.

Une panne de recettes planifiée
Alors même qu’on comptera demain plus de retraités, c’est même la baisse des ressources affectées à celle-ci qui est en fait planifiée. C’est vrai à court terme avec une baisse historique du « taux de prélèvement global » (les ressources des retraites en pourcentage de la masse des revenus d’activités bruts) de près d’un point entre 2021 (31,2 %) et 2027 (entre 30,2 % et 30,4 %), d’où les déficits exhibés.

S’y ajoute l’hypothèse (avec la convention dite EPR) d’économies massives par l’Etat sur les pensions dont il a la charge (Fonction publique d’Etat et certains régimes spéciaux), économies qui ne seraient pas réinjectées dans le système de retraite. Dans ce cas, le taux de prélèvement global baissera sensiblement : de 31,2 % en 2021 à 29,2 % en 2050 et 28,3 % en 20707.

Sur quel levier s’appuyer pour augmenter les ressources ? Dans le débat en cours sur les alternatives, différentes propositions ont été avancées8. Certaines sont légitimes : réduire les exonérations de cotisations sociales (au moins sur les salaires supérieurs à 2,5 Smic ou même 1,6 Smic, ainsi que sur les heures supplémentaires, la prime Macron, l’intéressement et la participation, etc.) ; faire bénéficier la branche retraite des excédents projetés de la branche chômage ; ralentir le remboursement de la dette sociale (Cades), etc.

D’autres le sont moins comme la mise à contribution des dividendes ou des patrimoines. Il y a bien lieu de taxer plus ceux-ci, mais gare à ne pas tout mélanger : il y a moult autres domaines à financer et il importe de préserver le noyau dur qui fonde la légitimité du système de retraite, celui de la cotisation, par laquelle la retraite est conçue à la fois comme un salaire socialisé (les actifs décident qu’une part de la masse salariale paie les retraites d’aujourd’hui) et un salaire différé qui appartient en propre à chaque travailleur (les cotisations de chacun ouvrant des droits pour chacun).

Dans ce qui suit, on se propose de montrer qu’il est tout à fait possible de revenir sur la dégradation relative des pensions en actionnant uniquement le levier de la hausse des cotisations.

Pour une hausse des cotisations
La démonstration est simple9. Les pensions nettes représentent aujourd’hui 61 % des revenus d’activité nets10. Les réformes accumulées, on l’a dit, réduiraient ce rapport à 52 % en 2050 et 45 % en 2070. Pour empêcher ce décrochage, il suffit d’augmenter chaque année légèrement les taux de cotisation retraites – les revenus d’activité (salaires essentiellement) augmenteraient un peu moins vite que les gains de productivité par tête –, afin que pensions et revenus d’activité augmentent au même taux.

Alors qu’avec les « réformes » la croissance du pouvoir d’achat serait, en 2050, de 29 % pour les actifs et de seulement 9 % pour les retraites et, en 2070, de respectivement 57 % et 17 %, il est possible de garantir des gains de pouvoir d’achat équivalents pour les uns et les autres (de 20 % en 2050 et de 39 % en 2070). Mais cela à une condition : celle de « cotiser dans la bonne humeur11 » un peu plus demain, comme cela a été fait avec succès hier, afin d’offrir à tous, y compris aux futurs retraités que sont les travailleurs d’aujourd’hui, une pension convenable.

Précisons que le scénario alternatif décrit ici n’a rien de radical : il est établi – afin de montrer sa faisabilité – sans même réduire le taux de marge des entreprises. Dans ce scénario, la part des retraites dans le PIB passerait de 13,7 % en 2023 à 16,7 % en 2050 (18,5 % en 2070)12. Le taux de cotisation augmenterait de l’ordre de 5 points à l’horizon 2050 (de 28 % à 33 % pour le régime général) et de 9 points à l’horizon 2070, ce qui n’est évidemment pas rien.

Même si cela est faisable, faut-il aller jusque-là13 ? Ne faut-il pas envisager des modulations : une garantie de revalorisation moindre au-delà d’un certain niveau de pension (en prenant garde que cela n’offre pas un vaste espace à la capitalisation), des taux de cotisations croissants avec le niveau de salaire, etc. ?

Il y a évidemment de nombreux arbitrages possibles et c’est toute la noblesse du politique d’avoir à les faire. Encore faut-il qu’il s’en donne les moyens en ne fermant pas l’espace des possibles.

Il y a bien une indignité inaugurale au cœur de la nouvelle « réforme » : son refus d’accroître les ressources pour les retraites, alors même que l’économie, plus riche demain, permettrait d’assurer cet horizon qui manque tant, celui d’un progrès social partagé.