Les retraites

Alternative économique - Retraites : le gouvernement met la réforme avant les bœufs

Septembre 2019, par Info santé sécu social

Le 13/09/2019
Hervé Nathan Journaliste

On fait rarement attention aux discours prononcés dans l’hémicycle du vénérable Conseil économique et social et environnemental (CESE). Quelquefois à tort : celui du Premier ministre Edouard Philippe sur la réforme des retraites valait bien quelques dizaines de minutes d’attention. En particulier lorsque le chef de gouvernement prend des précautions infinies pour évoquer la « convergence » des régimes spéciaux avec le « régime cible », à la veille d’une grève des agents RATP. Et de fait, pour défendre leur principal acquis social, ils mettent aujourd’hui Paris au chômage technique.

Edouard Philippe a multiplié les égards pour des catégories volontiers vilipendées par les hommes politiques, voire les médias. Evidemment, les policiers et les militaires garderont leurs statuts, c’était déjà annoncé. Mais pour les autres, il sera urgent de prendre le temps et la loi, dans l’adoption est prévue pour l’été prochain, devrait le prévoir explicitement. Tout d’un coup, ce qui semblait si simple aux commentateurs pressés devenait bien compliqué.

Longue période de transition
Devant le CESE, le Premier ministre a donc annoncé que les régimes particuliers ne rejoindront le régime universel que lorsque « le chemin » aura été tracé, ce qui devrait prendre une quinzaine d’années au moins.

On peut y voir une simple mesure dilatoire, permettant de diviser les différentes catégories contestatrices. C’est évident. Mais aussi que le président de la République et le Premier ministre paraissent s’être rangés aux arguments que Jean-Paul Delevoye distillait depuis quelques mois à bas bruit, à savoir que ramener les régimes spéciaux dans le droit commun nécessitera quelques pré-requis qui ne sont pas des détails.

Les rémunérations des enseignants, des aides-soignantes, des chercheurs sont notoirement trop basses. Il est difficile de leur dire : « On révise vos retraites, et pour la paye, on verra plus tard ! ». Pour ce volet, la majorité ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Outre qu’elle garde bien serré le frein sur les salaires des fonctionnaires, elle vient d’adopter une réforme des statuts de la fonction publique au cours de laquelle jamais ces questions n’ont été évoquées.

On comprend du coup l’ampleur de la mobilisation dans les transports parisiens et le ton humble employé par le Premier ministre, qui envisage « une période de transition plus longue » pour deux catégories au moins : les indépendants en ce qui concerne les taux de cotisation, et les « départs anticipés ». Pour eux, l’échéance pourrait dépasser 2040…

Mais l’attentisme suffit-il à résoudre les problèmes ? Le sort des salariés du privé, toujours cités en exemple au nom de l’égalité, est-il si enviable ? Edouard Philippe pourrait aussi se demander si les résistances au changement ne proviennent pas d’abord de l’exemple du secteur privé, pas forcément attractif. Les chauffeurs routiers (marchandises et voyageurs) bénéficient eux aussi d’un « congé de fin d’activité » à 57 ans, obtenu de haute lutte en 1997. Le problème, c’est qu’il n’est sécurisé que jusqu’en… 2020. Et le patronat ne cache pas sa volonté de le réduire. Pour réformer le régime des agents publics, il faudrait donc d’abord agir dans le secteur privé. Et pourquoi ne pas associer les syndicats du service public à la discussion, puisque leur sort est destiné à devenir commun ?

Métiers pénibles
De même, le traitement des métiers pénibles dans le privé ne peut être qu’un repoussoir pour leur équivalent, appelé le service actif dans le secteur public. Le cas des conducteurs de la RATP est une caricature du genre. Les agents d’exploitation1 peuvent en théorie partir entre 50 et 52 ans avec un taux de remplacement de près de 80 % actuellement, mais dans les faits peu de personnes partent aussi tôt, car il faut avoir accompli au moins 27 années de service et cumulé au total 41 annuités pour toucher une retraite à taux plein2.

A l’avenir, le projet de retraites à points leur promettrait de partir avant 60 ans à condition de « bénéficier » d’une invalidité d’au moins 20 %, comme aujourd’hui les salariés du privé (hors départ en carrières longues), mais avec une pension bien inférieure, les débats actuels montrant qu’elles pourraient s’éroder avec la valeur du désormais fameux « point ». Il suffit de savoir que le régime de retraite pour invalidité ne concerne chaque année que 3 400 personnes pour mesurer sa faible attractivité.

Conclusion : si l’on veut vraiment aboutir à une réforme des régimes spéciaux, sans en faire une sorte de slogan totémique, c’est bien par l’amélioration du sort des fonctionnaires et des salariés du privé qu’il faut commencer… Michel Rocard, dont Edouard Philippe affirme vouloir s’inspirer, disait qu’il fallait savoir donner du temps au temps… Il faut aussi savoir prendre les problèmes dans le bon ordre.

1.La réforme des retraites de 2010 fait progressivement passer l’âge de départ en retraite de 50 à 52 ans pour les agents d’exploitation (conducteurs, agents de station…), de 55 à 57 ans pour les métiers de la maintenance (train, bus) et de 60 à 62 ans pour les personnels administratifs. La Cour des comptes rappelle que les agents de la RATP ont en moyenne pris leur retraite à 55 ans en 2017.
2.Au global, en 2016, 21 % des agents de la RATP, toutes catégories confondues, sont partis en retraite avec une décote, contre 8,7 % pour le secteur privé, selon la Drees.