Le social et médico social

Alternative économique - Six contrevérités sur les aides au logement

Octobre 2017, par Info santé sécu social

Pierre Madec | 14/09/2017 |

Les aides personnelles au logement (APL) sont au cœur de l’actualité des derniers jours. Après la baisse annoncée, au cours de l’été, de cinq euros par mois touchant l’ensemble des allocataires, le gouvernement semble plancher sur une coupe bien plus massive permettant de dégager plus de 2 milliards d’euros d’économie soit 10 % de l’enveloppe budgétaire allouée aux aides personnelles. Pour justifier ce double coup de rabot inédit, il multiplie les déclarations pour la plupart erronées et/ou pleines de contradictions.

1. « Les APL ont été multipliées par deux au cours des dernières années »

La France alloue 18 milliards d’euros aux aides personnelles soit 0,8 % du PIB. Cette part est restée constante depuis… 1996. Dans le même temps, les dépenses en logement n’ont cessé de croître passant de 16,8 % à 18,6 % de la consommation en l’espace de 20 ans et le nombre d’allocataires n’a lui cessé de croître.

2. « Nous dépensons beaucoup plus que nos voisins en aide au logement… »

Selon l’OCDE, la France affecte une enveloppe de 0,8 % du PIB aux aides personnelles soit un montant identique à la Finlande. L’Allemagne ne dépense certes « que » 0,5 % de PIB mais les loyers y sont, contrairement à la France, largement encadrés et les tensions locatives y sont bien moindres. Dans le même temps, le Royaume-Uni consacre aux aides au logement plus de 1,3 % de son PIB.

3. « … pour des résultats inefficaces »

Les aides s’annulent pour une personne seule gagnant plus d’un Smic. Pour une famille avec deux enfants, ce seuil est de 1,9 Smic. La France compte 6,5 millions d’allocataires d’aides personnelles dont les trois quarts ont un niveau de vie inférieur à 1 330 euros par mois et par unité de consommation*, ces ménages concentrant à eux seuls plus de 90 % des dépenses en aides personnelles. Les APL représentent plus de 20 % du niveau de vie des ménages les plus modestes (1er décile). Ce sont en effet les prestations prenant le mieux en compte le revenu des allocataires. Elles contribuent à la réduction des inégalités de niveau de vie à hauteur de 20 %, en faisant baisser le poids du logement dans la part du revenu des ménages qui les touchent de plus de 13 %, ce qui réduit leur taux de pauvreté de près de 2 points.

4. « Les APL expliquent l’augmentation des loyers »

Premièrement, les études sur lesquelles s’appuie cet argument analysent soit des situations anciennes (entrée des étudiants dans le dispositif) soit des effets dus au zonage des aides et non aux aides elles-mêmes. Deuxièmement, une étude récente, dont les résultats provisoires ont été en partie rendus publics par la presse, tendrait à démontrer que l’effet inflationniste mesuré précédemment est largement surévalué. Troisièmement, depuis 2000, les loyers des allocataires APL ont cru deux fois plus rapidement que les loyers utilisés pour le calcul des aides. Quatrièmement, rappelons que l’ensemble des études menées sur le sujet tend à mettre en évidence l’impact extrêmement positif des APL sur la qualité du parc de logements des ménages les plus modestes, expliquant en grande partie la hausse des loyers observée. Enfin, aucune étude n’a conclu en la nécessité de réduire les APL pour faire décroître les loyers. L’exemple anglais est pour le moins criant. La baisse des aides n’a aucunement impacté les loyers et a dégradé la situation des ménages. L’appel du chef de l’Etat aux bailleurs constitue d’ailleurs en soi une preuve de son manque de confiance en l’efficience des marchés locatifs…

5. « Les allocataires APL ne seront pas impactés par la baisse car nous baisserons les loyers »

Une déclaration d’intention complexe à mettre en œuvre. Dans le parc social, contraindre les organismes HLM à réduire leurs loyers est compliqué. Si le gouvernement y parvient ce sera au travers la mise en place de systèmes de compensation. Lesquels ? Toutes les mesures visant à compenser la baisse des loyers en augmentant d’un montant similaire les aides adressées au secteur social auraient un impact budgétaire neutre et semblent donc exclues. La seule compensation n’impactant pas (directement) le budget de l’Etat est le gel ou la baisse du taux du livret A. D’une part, la mesure ne peut parvenir à compenser le manque à gagner de la baisse des loyers (2 milliards d’euros par an). D’autre part, elle fait planer un double risque : la pérennisation de la mesure et une décollecte importante des épargnants hypothéquant d’autant l’équilibre du système.

Dans le parc privé, en renonçant à élargir l’encadrement des loyers, le gouvernement s’est lié les mains et le seul appel à la solidarité des bailleurs semble dérisoire. De fait, dans l’ensemble du secteur locatif, les allocataires APL seront impactés par le coup de rabot porté par le gouvernement. Si la baisse de 50 euros par mois est confirmée pour l’ensemble des allocataires, le niveau de vie des ménages appartenant au 1er décile baisserait de 5,3 %. Celui du deuxième décile de 3,7 %. Les 20 % de ménages les plus modestes porteraient à eux seuls près des deux tiers des économies espérées, soit 2,5 milliards d’euros…

6. « Un choc d’offre comme réponse à la baisse des APL »

Si la volonté du gouvernement d’accroître la production de logements abordables est évidemment louable et doit être soutenue, il est impossible de se satisfaire de ces déclarations d’intention comme réponse à l’urgence qu’engendrerait une baisse massive des aides personnelles pour les ménages les plus modestes. Les APL solvabilisent à très court terme les ménages pour lesquelles la dépense en logement est trop importante. S’il faut évidemment construire plus et moins chers, les permis de construire d’aujourd’hui ne seront des logements que dans 3 ou 4 ans. Quid des difficultés de logement durant cette période ?

A contrario, la construction massive de logement dans les zones les plus tendues impacterait négativement les prix et les loyers et donc à terme réduirait les montants d’aides personnelles allouées. Là réside la solution de long terme. Construire plus, moins cher, dans les zones en besoin. Comment faire ? Non pas en prenant le problème à l’envers comme le fait actuellement le gouvernement. On ne lutte pas contre la cherté du logement en désolvabilisant les ménages qui souffrent de cette cherté. On ne lutte pas contre la cherté du logement en réduisant les aides à la production de logement. Pour lutter efficacement contre la cherté du logement, il convient de mettre en place une vision non pas budgétaire et court-termiste mais une volonté d’investissement et de réforme de long terme. Pour ce faire, le levier fiscal est central. Une réforme visant à réduire massivement la taxation des mutations (plus-values, droits de mutation…) et à accroître la fiscalité reposant sur la détention, voir la rétention, de foncier et de logement répond à ces enjeux. Les solutions en débat ces derniers jours ne sont clairement pas à la hauteur.

Pierre Madec est économiste à l’OFCE (retrouvez son blog sur Alternatives Economiques)