Les professionnels de santé

Alternative économique - déconventionnement des médecins libéraux : qui menace qui ?

Février 2023, par Info santé sécu social

LE 14/02/2023
Nicolas Da Silva
Chercheur au Centre d’économie de l’Université Paris 13

Les 3 et 4 mars prochains, le syndicat de médecins libéraux, nommé Union française pour une médecine libre (UFML), organisera des « Assises du déconventionnement » à la Cité internationale universitaire de Paris. Comme son nom l’indique, le déconventionnement consiste à cesser d’exercer la médecine libérale en suivant les règles établies par la Convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’Assurance maladie.

Signée périodiquement à la suite de négociations entre syndicats de médecins libéraux représentatifs et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, la convention prévoit notamment quelles sont les modalités de rémunération, les conditions d’installation, les dispositifs de suivi et de coordination des soins.

Les négociations pour la future convention (2023-2027) se sont ouvertes le 9 novembre dernier. Voilà pourquoi ces dernières semaines ont vu la multiplication d’initiatives de médecins libéraux, comme la naissance du collectif Médecins pour demain (créé en septembre 2022) et la grève à laquelle appellent aujourd’hui les syndicats de médecins libéraux et l’Ordre des médecins lui-même.

Les médecins libéraux savent depuis toujours manier le rapport de force et c’est ce qu’ils font aujourd’hui encore avec le débat sur le déconventionnement. Mais, comme avec la revendication hors-sol du tarif de la consultation de médecine générale à 50 euros, la menace du déconventionnement invite à réfléchir : qui, exactement, menace qui ?

En clair, qu’impliquerait concrètement le déconventionnement ? Que feraient les médecins déconventionnés ? Comment seraient-ils financés ? Quels seraient les effets concrets pour les patients ? Est-il crédible d’envisager un déconventionnement massif des médecins libéraux ? A priori non, pour une raison très simple : la Sécurité sociale finance la grande majorité des revenus de la profession.

En 2021, la consommation de soins s’élevait à 10,5 milliards d’euros pour la médecine généraliste et 13,9 milliards d’euros pour la médecine spécialiste. L’essentiel de cette dépense est constitué d’honoraires, mais on y trouve aussi d’autres formes de rémunération et la prise en charge par l’Assurance maladie d’une part des cotisations des médecins.

Le recours aux médecins libéraux représentent 23 milliards d’euros de dépenses
Consommation de soins de médecins généralistes et spécialistes en ville (2021, en millions d’euros)

En 2021, la Sécurité sociale finançait 79,2 % des dépenses liées aux médecins généralistes de ville et 69 % des dépenses liées aux médecins spécialistes. Le solde était versé soit par les assurances complémentaires, soit directement par les ménages.

La Sécu, premier financeur des revenus des médecins

Quitter la Sécu, c’est donc quitter le confort de revenus garantis. Ceci reste vrai que l’on parle de médecins appliquant le tarif opposable (dit secteur 1) ou de médecins appliquant des dépassements d’honoraires (dit secteur 2). En effet, la Sécurité sociale rembourse généreusement même les médecins pratiquant des dépassements d’honoraires.

D’une certaine manière, c’est l’existence de la Sécu qui permet à ces médecins de pratiquer des dépassements d’honoraires, qui constituent la plupart du temps une proportion minoritaire de leurs revenus tout en pesant lourdement sur le budget santé des ménages.

Un exemple
Prenons un exemple avec le prix d’une consultation en médecine générale.

Pour les médecins conventionnés deux options sont possibles :

Secteur 1. Le tarif opposable est de 25 euros et le médecin s’engage à l’appliquer. Le remboursement de la Sécu est de 70 % de 25 euros moins 1 euro (forfait non remboursable introduit en 2005), soit 16,50 euros. Les 7,50 euros restants sont financés par la complémentaire, le patient ou les deux.

Secteur 2. Le tarif de base de remboursement est de 23 euros et le médecin fixe les tarifs qu’il désire. L’Assurance maladie finance 70 % de 23 euros moins la franchise de 1 euro, soit 15,10 euros. Le reste, dont les dépassements d’honoraires (au-delà de 25 euros), est financé par la complémentaire, le patient ou les deux.
Pour les médecins non conventionnés, le professionnel fixe les tarifs qu’il désire mais la Sécurité sociale rembourse sur la base d’un tarif dit d’autorité, soit 0,61 euro.

Le déconventionnement laisse la consultation presqu’entièrement à la charge du patient ou de sa mutuelle

Pour un médecin généraliste, se déconventionner implique de renoncer à entre 15,10 et 16,50 euros de financement par la Sécu par acte réalisé. Si la logique de déconventionnement consiste à permettre de pratiquer des prix plus élevés que ceux négociés avec la Sécu, cela signifie qu’il faut trouver suffisamment de patients prêts à payer bien plus, par exemple 50 euros par consultation et, surtout, acceptant de ne pas être remboursés.

Quitter la Sécu, ce serait cependant assumer la rhétorique habituelle qui veut que les médecins sont des libéraux, des petits chefs d’entreprise. La réalité quotidienne des petits chefs d’entreprise est de devoir trouver une clientèle solvable. Le restaurateur ou le coiffeur doivent être en mesure de trouver des clients qui payent de leur poche. Rien à voir donc avec les médecins conventionnés qui, lorsqu’ils s’installent, savent qu’ils ont une patientèle solvabilisée par la Sécu. Et heureusement pour l’accès aux soins !

Les syndicats de médecins sont tout à fait conscients de cela. C’est pourquoi, malgré tout le bruit fait autour du déconventionnement, cela ne semble pas être leur objectif véritable. Ainsi, sur le site Internet appelant aux assises du déconventionnement, l’UFML précise à ces membres :

« [N]ous ne vous appelons pas à vous déconventionner (…). Mais le responsable politique doit savoir que nous nous organisons, pour aller chercher ce qu’ils ne veulent pas aborder. (…) Nous ne sommes ni des salariés de l’Assurance maladie ni des agents de l’Etat, et, disons-le ici, nous ne leur devons rien ou presque, le contrat conventionnel à 25 euros l’acte est, au regard des obligations et contraintes, devenu un contrat léonin ! Si nous voulons changer les choses il va falloir exister, il va falloir peser. »

Dans son programme intitulé « un New Deal de la santé », le syndicat précise ses revendications :

« Le tarif d’autorité doit être supprimé au nom du plus élémentaire respect de la liberté. Le médecin ne peut subir une pression économique lors de son choix d’adhérer ou non au système conventionnel qui couvre un champ plus large que la seule rémunération. » (page 19)

« Le tarif de la consultation (C) est à hauteur de la moyenne européenne autour de 50 euros. » (page 8)

Quelle conception de la liberté ! Ces médecins, qui ne représentent pas l’ensemble de la profession, ne veulent pas sortir de la convention – on les comprend ! – ils veulent les remboursements de la Sécurité sociale sans aucune contrainte ! Sans contrainte de respecter un tarif opposable, sans contrainte d’installation, sans contrainte de suivi et de coordination des soins, etc. Imagine-t-on n’importe quel chef d’entreprise exiger un financement socialisé sans aucune contrainte ? Imagine-t-on un enseignant dont le salaire est socialisé exiger d’exercer à tel ou tel endroit plutôt que là où l’on a besoin de lui ?

En réalité, le déconventionnement est peut-être plus une menace entre les mains de l’Assurance maladie que dans celles des médecins. Et ce n’est pas être radical que de dire cela.

C’est sous le gouvernement de Charles de Gaulle que s’est imposé en France le conventionnement en médecine de ville. Face à des médecins libéraux qui refusaient de négocier des tarifs opposables, empêchant ainsi de développer l’accès aux soins, il a fallu attendre un décret de mai 1960 pour que soit généralisée la signature de conventions médicales. La stratégie était alors de mettre en concurrence des médecins conventionnés et les autres : en quelques années tous les médecins se sont conventionnés. Aujourd’hui, l’Assurance maladie pourrait très bien faire de même par exemple pour en finir avec les dépassements d’honoraires ou pour réguler l’installation des médecins.

Ce n’est pas parce que les études sont quasi gratuites que l’on peut demander des contraintes à l’installation – heureusement que les études sont accessibles, il faudrait qu’elles le soient plus – mais parce que la rémunération des médecins est socialisée. En ne conventionnant que les médecins qui s’installent là où ils sont nécessaires, l’Assurance maladie ne serait en rien liberticide. Rien n’a jamais empêché les médecins d’être véritablement libéraux et de s’installer hors convention. La menace de déconventionnement n’est donc pas forcément là où on le croit habituellement.

Les médecins libéraux ont beaucoup de raisons d’être insatisfaits de la politique publique. Mais comment explique-t-on que, plutôt que de s’allier avec les autres professionnels de santé et les patients contre le gouvernement, ils en soient encore à remettre en cause la Sécurité sociale elle-même ?