Les retraites

Alternatives Eco : Réforme Retraites : le problème, c’est la décote

Septembre 2019, par infosecusanté

Réforme Retraites : le problème, c’est la décote

Michaël Zemmour

28/08/2019

Repousser l’âge de la retraite ou augmenter la durée de cotisation ne change pas radicalement la philosophie de la réforme. C’est le système de décote qui peut s’avérer être le plus pénalisant pour les retraités.

Nouveau rebondissement dans le dossier retraite. Le projet de réforme présenté en juillet dernier annonçait la mise en place d’un « âge d’équilibre », fixé à 64 ans en 2025, et destiné à augmenter automatiquement (environ 65 ans pour les personnes nées au milieu des années 1970, 66 pour celles nées à la fin des années 1980). Cette proposition abandonnait la logique de durée de cotisation et a soulevé de vives critiques.

Mais voilà que le président de la République, s’exprimant sur le sujet, a remis une pièce dans la machine. Il a rappelé que ce point de l’âge pivot n’était pas décidé et qu’il était envisageable de revenir à une logique de durée. Celle-ci est sans doute, en moyenne, plus juste socialement, mais pénalise les personnes à carrières incomplètes, notamment les femmes.

Pour autant, cette déclaration ne rebat pas fondamentalement les cartes, comme on a pu l’entendre sur les plateaux télé. L’élément clé de la réforme systémique souhaitée par Emmanuel Macron demeure. Ces critères, qu’ils soient d’âge ou de durée et qui reculent automatiquement à chaque génération, deviennent de moins en moins atteignables. Cela signifie aussi des pénalités élevées pour celles et ceux qui ne les atteignent pas.

Double peine

Dans tous les systèmes de retraite, chaque période travaillée (et en partie aussi certaines périodes de chômage et de congés indemnisés comme la maternité ou la maladie…) permet de se constituer des droits à la retraite. Plus longtemps on est en emploi, plus on se constitue de droit.

A l’inverse, les personnes qui ont connu des carrières interrompues par des périodes d’inactivité, ou de chômage non indemnisé, ou les personnes ayant commencé à travailler plus tard cumulent moins de droits à la retraite. Dans le système actuel, ces personnes valident moins de trimestres ; dans la réforme proposée, ces personnes auraient moins de points. Une partie – mais une partie seulement – de ces inégalités de carrière sont amorties par des dispositifs de solidarité (bonification en fonction du nombre d’enfants par exemple, ou prise en compte des périodes de chômage, mais seulement lorsque celui-ci est indemnisé).

Mais en plus de ces mesures, le calcul de la retraite contient un mécanisme amplificateur des inégalités de pension : le système de décote/surcote. Chaque système définit un objectif à atteindre (une durée de cotisation dans le système actuel, un « âge d’équilibre » dans la réforme proposée). Remplir ces conditions donne droit à une retraite « à taux plein », c’est-à-dire que l’on touche pleinement les droits constitués au cours de sa carrière. Les personnes qui n’y sont pas parvenues subissent une « décote » de leur droit, c’est-à-dire que les droits acquis sont diminués d’un certain pourcentage. Les individus qui les dépassent sont gratifiés d’une « surcote ».

Dans le système actuel, l’horizon à atteindre pour percevoir le « taux plein » est double : il faut soit avoir validé une certaine durée de cotisation (42 années aujourd’hui, 43 pour les personnes nées après 1973) soit avoir atteint l’âge de 67 ans pour ne pas subir la décote.

Dans la formule proposée par Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire à la réforme des retraites, il faut avoir atteint un certain âge (64 ans pour les personnes nées en 1963, 66 ans pour les personnes nées à la fin des années 1980).

Travailler un an de moins s’avère donc doublement coûteux pour les personnes : elles se constituent moins de droits et elles subissent la pénalisation du système de surcote/décote. Si l’on s’en tient aux exemples donnés dans le rapport Delevoye, chaque année travaillée en moins coûte, tout compris, environ 8% du montant de la pension dans le système actuel et environ 9,5% dans le cadre de la réforme proposée, mais cela varie en fonction des situations individuelles.

Un mécanisme de pénalisation/incitation efficace
Officiellement, ce système est mis en place pour inciter les personnes à partir au « bon âge ». Et de fait, cela marche en partie, puisqu’un grand nombre de personnes partent exactement l’année où elles ont atteint l’objectif qui leur permet d’avoir une retraite « à taux plein ». Comme le rappelle une note récente de l’Institut des politiques publiques, ce comportement est moins dû aux incitations et à des calculs précis des individus sur le montant de leur retraite, qu’à une conformation à la norme d’âge définie politiquement et socialement.

La deuxième raison pour laquelle ces dispositifs sont ainsi pensés est financière : ce système de décote est réglé pour que les dépenses de retraites ne varient pas ou peu, quel que soit l’âge auquel les individus prennent leur retraite. Lorsque les individus partent plus tôt, les caisses de retraite leur versent moins, non seulement parce qu’ils ont moins cotisé, mais surtout parce qu’on suppose qu’ils ou elles toucheront leur retraite plus longtemps.

Age ou durée, le problème c’est d’abord la décote

On sait par ailleurs que l’espérance de vie est bien plus élevée pour les professions supérieures que pour les employés et ouvriers et plus encore pour certains métiers particulièrement pénibles, mais le système (avec ou sans réforme) n’en tient pas compte directement. Toutefois, la logique de durée permet de mieux prendre en compte ces inégalités sociales que la logique d’âge. Sachant que les ouvriers et employés commencent en principe à travailler plus tôt que les cadres, fixer une durée comme objectif permet de faire partir les ouvriers plus tôt et les cadres plus tard.

Ce raisonnement colle à peu près, mais seulement pour les personnes à carrière complète (particulièrement les hommes). En revanche, les personnes non diplômées qui ont connu une longue période de chômage étant jeunes, les personnes à carrière hachée, et notamment les femmes qui ont passé une partie de leur vie adulte en dehors de l’emploi, ou dans des travaux non rémunérés (conjointes de travailleurs indépendants), sont particulièrement pénalisées par la logique de durée.

Mais ce mécanisme d’incitation/pénalisation de la décote a aussi un coût social élevé. En effet, il conduit à pénaliser des personnes qui n’ont pas atteint l’objectif fixé alors qu’elles ne l’ont pas choisi. A commencer par les personnes qui ne peuvent plus travailler et souhaitent toucher leur retraite dès 62 ans comme la loi le permet parce qu’elles n’ont pas d’autres ressources. Mais elles peuvent alors toucher une pension très fortement diminuée.

Second effet pervers, ce système de décote conduit à allonger la période de précarité entre la fin de la carrière et la retraite : plus de la moitié des personnes qui liquident leur retraite n’ont pas travaillé dans les mois précédents. Il y a donc de plus en plus de personnes qui ont atteint l’âge de la retraite, ne travaillent plus, mais attendent pour toucher leur retraite pour que celle-ci ne soit pas trop diminuée. D’autres personnes et c’est particulièrement le cas des femmes dont la carrière est très incomplète, attendent jusqu’à 67 ans (en emploi, avec un « petit boulot », ou hors de l’emploi), âge auquel la décote est annulée.

Enfin les personnes (il y en a), qui peuvent et souhaitent travailler plus tard quoi qu’il arrive, et qui généralement ont des métiers moins pénibles et mieux rémunérés, peuvent se voir gratifiées, cerise sur le gâteau, d’une « surcote » sur leur retraite.

Aussi serait-il certainement plus juste, à la fois socialement, mais aussi en terme de genre, de diminuer ou supprimer la décote, de permettre son annulation beaucoup plus tôt (67 ans aujourd’hui), et de supprimer ou de réduire la surcote.

Comment alors faire en sorte que les gens ne prennent pas leur retraite trop tôt ? D’abord, l’incitation existe déjà, du simple fait de baisse de revenu : le passage à la retraite est l’occasion d’une chute de revenu de 25% à 50% ; c’est suffisant pour que celles et ceux qui peuvent et souhaitent continuer à rester en emploi soient incités à le faire. Ensuite, en réfléchissant aux conditions de travail : si une majorité de Françaises et Français ne se voit pas rester en emploi au-delà de 60 ans, le problème n’est sans doute pas à régler du côté de la retraite, mais du travail.

Par ailleurs pourquoi fixer des objectifs aussi élevés (64 ans par exemple) en maintenant l’âge légal de la retraite à 62 ans, alors qu’on sait que la moitié des personnes n’est plus en emploi au-delà de 60 ans ? Si on souhaite améliorer l’emploi des seniors, un premier objectif ne doit-il pas être de tout mettre en œuvre pour que chacun puisse travailler, dans de bonnes conditions, jusqu’à l’âge de la retraite ?

Des critères pour diminuer les pensions

Le principal problème n’est pas nécessairement la nature de l’objectif, mais de fixer des objectifs de moins en moins atteignables et de les déplacer de plus en plus vite. C’est un moyen à la fois relativement discret, mais aussi injuste, de diminuer les pensions. Quel que soit le critère retenu (durée de cotisation, âge pivot), déplacer l’objectif a pour effet de diminuer les droits à pensions en termes de montant pour celles et ceux qui ne se conforment pas au nouvel objectif et partent au même âge qu’avant la réforme. Cela revient également à baisser la pension de celles et ceux qui, avant la réforme, allaient au-delà de l’objectif et perdent désormais leur « surcote ». Cela diminue enfin la durée de retraite pour les personnes qui suivent exactement les objectifs d’âge ou de durée fixés.

Pour le dire autrement, tout le monde n’est pas concerné directement par la décote. Aujourd’hui, 9% des personnes partent à la retraite avec une décote – chiffre en augmentation – et 15% des personnes atteignent le taux plein par l’âge. Mais chaque fois que la durée de cotisation (ou l’âge d’équilibre) augmente, cela diminue les droits de tous les assurés et renforce les pénalités des personnes concernées par la décote.

Depuis 1993, la durée de cotisation requise a augmenté de 4 ans et demi, ce qui est beaucoup, d’autant que la période d’étude s’allonge et que l’emploi des jeunes se dégrade. Et les réformes plus récentes ont repoussé l’âge de départ « sans décote » à 67 ans (alors que l’espérance de vie en bonne santé est de l’ordre de 63 ans).

Un changement marginal pour l’économie de la réforme

Il est peu étonnant que le président de la République se montre ouvert à une logique de durée plutôt qu’à la fixation d’un âge d’équilibre : c’est le seul point de la réforme qui peut être modifié sans dépenser un centime de plus pour les retraites. Logique d’âge ou logique de durée, le fonctionnement est le même : on fixe un objectif et on pénalise lourdement celles et ceux qui ne l’atteignent pas. Ce qui change entre les deux ce sont les personnes qui seront pénalisées.

Car l’élément central de la réforme proposée par le gouvernement n’est pas le choix du critère (âge ou durée). L’élément central est de rendre à l’avenir ces réformes « automatiques » : l’âge (ou la durée) augmenteraient ainsi continûment à mesure que l’espérance de vie s’élève. De cette façon, la hausse du nombre de retraités serait complètement amortie, à la fois par l’allongement de l’activité, mais aussi par la baisse des pensions. Une autre solution serait de relever légèrement le taux de cotisation, pour maintenir l’âge et le niveau des retraites à un âge raisonnable, mais la réforme proposée exclut cette solution.

Michaël Zemmour est enseignant chercheur à l’Université Paris 1 et chercheur associé au Liepp (Sciences Po). Retrouvez le blog de l’auteur sur Alter&Co, la plate-forme de blogs d’Alternatives Economiques.