L’hôpital

Alternatives Economiques : A bout, les soignants affrontent la cinquième vague

Décembre 2021, par infosecusanté

Alternatives Economiques : A bout, les soignants affrontent la cinquième vague

Joëlle Maraschin

Le 20 décembre 2021

Malgré les fêtes, les professionnels de santé sont sur le pont pour faire face à cette nouvelle vague de l’épidémie, alors que les précédentes ont laissé des séquelles, entre stress post-traumatique et burn-out. Cette souffrance au travail s’ajoute à celle accumulée avant la crise Covid.

La cinquième vague s’installe progressivement dans les hôpitaux français. Entre la hausse des contaminations et la diffusion du variant Omicron, les établissements de santé voient les patients Covid affluer et les plans blancs se multiplier. Ces derniers permettent de libérer davantage de lits en déprogrammant les opérations non urgentes et en modifiant le planning des soignants.

Les personnels réquisitionnés voient donc leurs congés de fin d’année s’envoler. Pourtant, ils en auraient eu bien besoin. Plusieurs études ont déjà montré l’état d’épuisement dans lequel se retrouvent les soignants, après plusieurs mois de pandémie. Sans compter que l’intensité du travail ne s’est pas adoucie ces derniers mois entre l’épidémie précoce de bronchiolite et le retour en force des pathologies hivernales. Face à cette cinquième vague, ils sont à nouveau mis à rude épreuve. Combien de temps vont-ils tenir dans ces conditions ?

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Les conséquences de la pandémie sur la santé mentale des soignants font en tout cas partie des préoccupations des acteurs de la santé au travail en milieu de soins, sujet qu’ils ont évoqué lors d’une journée en ligne organisée par l’Institut Santé-Travail Paris-Est, le 18 novembre.

« Près de 60 % des soignants présentent des symptômes de stress post-traumatique », a souligné Wissam El-Hage, professeur de psychiatrie adulte au centre hospitalier universitaire (CHU) de Tours. Ce résultat est issu d’une étude menée après la première vague épidémique par le centre régional de psychotraumatologie du CHU, auprès d’un peu plus de 1 000 soignants travaillant dans des hôpitaux universitaires. Celle-ci pointe aussi l’importance des symptômes de burn-out modérés et sévères, qui concernent près de la moitié des professionnels de santé.

Une autre étude française, menée après la seconde vague auprès des soignants de réanimation, signale des taux élevés de symptômes d’anxiété (60 % des répondants), de dépression (36 %), de troubles de stress post-traumatique (28 %) et d’épuisement professionnel (45 %). Ces résultats ont conduit le Conseil scientifique à alerter les pouvoirs publics.

Pour suivre l’évolution de l’état psychologique des soignants confrontés à l’épidémie, mais aussi des personnels des établissements pour personnes âgées (Ehpad), le CHU de Tours a lancé une recherche, intitulée Hard Covid-19. Les soignants volontaires participant à l’étude pourront si besoin bénéficier d’un accompagnement médico-psychologique.

Le mal-être ne date pas de la pandémie
Cependant, la pandémie ne peut être tenue pour seule responsable du délitement de l’hôpital et de la souffrance des soignants.

« Les économies de personnels ont orienté largement les politiques publiques depuis des années. Un tiers des lits a été fermé en trente ans, la dette des hôpitaux a été multipliée par trois », rappelle Fanny Vincent, sociologue du travail et chercheure à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne.

Pour la sociologue, la logique d’industrialisation du travail à l’hôpital s’est traduite par une intensification de ce dernier, une augmentation de la productivité et une flexibilisation de la main-d’œuvre. Avec, comme conséquence, un sentiment de perte de sens et de « qualité empêchée », c’est-à-dire de ne pas pouvoir effectuer correctement son travail.

Les dernières données du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), portant sur la période de 2001 à 2019, donc avant la pandémie, montrent que les atteintes à la santé les plus fréquentes chez les soignants sont les affections dermatologiques, les troubles musculosquelettiques (TMS) et les psychopathologies.

Les troubles psychiques, en majorité des syndromes anxio-dépressifs, arrivent en tête des consultations des médecins (46 % des cas). Pour les aides-soignantes, ce sont les TMS qui représentent le motif de recours prédominant (44 % cas). Enfin, les dermatoses sont la première cause de consultation des infirmières (44 %), suivies des psychopathologies (20 %).

Une « mauvaise qualité de la relation au travail », par exemple des conflits ou un manque de soutien de la hiérarchie ou des collègues, apparaît comme la situation la plus associée aux syndromes anxio-dépressifs.

Démarches participatives
Face à ces constats plutôt décourageants, quelles sont les pistes de prévention ?

Le site internet de l’Observatoire national de la qualité de vie au travail des professionnels de santé et du médico-social (ONQVT) présente des retours d’expériences, des témoignages, guides et préconisations. Son ancien président, Philippe Colombat, reste un fervent partisan des démarches participatives. « Elles diminuent l’absentéisme et le turn-over, améliorent la QVT mais aussi la qualité des soins perçue par les patients », a-t-il plaidé lors de la journée organisée par l’Institut Santé-Travail Paris-Est.

Une circulaire du ministère de la Santé, publiée le 6 août dans le cadre du Ségur de la santé, présente ce type de démarche comme une bonne pratique. « Nous faisons depuis des années les mêmes recommandations », a ajouté Philippe Colombat, malgré tout dubitatif sur la portée de la circulaire.

Quelques exemples de démarches participatives ont été donné le 18 novembre. Marlène Cheyrouze, ergonome à l’université Toulouse-Jean-Jaurès, a ainsi montré qu’une réflexion engagée avec les acteurs des soins pouvait permettre de réorganiser le travail et d’augmenter les précieux temps de transmission entre équipes. Dans une autre expérience, des agents d’Ehpad publics dans le Loir-et-Cher ont été formés par un ergonome, afin d’observer leurs pairs, ces observations venant nourrir des échanges sur les pratiques.

La mise en place de tels espaces de régulation et discussion autour du travail réel demande de dégager du temps pour les personnels. Un effort à contre-courant des objectifs gestionnaires sur la chasse aux temps morts ayant cours dans les établissements aujourd’hui et visant à rationaliser le travail de soin.

Cet article est publié en partenariat avec Santé & Travail.