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Alternatives Economiques : La Sécu paiera la dette du Covid-19

Juin 2020, par infosecusanté

Alternatives Economiques : La Sécu paiera la dette du Covid-19

08/06/2020

CHRONIQUE Hervé Nathan Journaliste

Le gouvernement jouait jusqu’à présent les cigales pour soutenir l’activité. Au dernier décompte, il aurait injecté plus de 400 milliards d’euros en dispositifs de toutes sortes, reports et exonérations de cotisations et d’impôts, garanties de prêts, subventions… pour tenter d’empêcher l’économie française de sombrer dans la pire récession depuis l’aube des statistiques. Ce lundi 8 juin, il se fera d’un coup fourmi, à l’occasion des projets de loi « relatifs à la dette sociale et à l’autonomie », examinés en commission spéciale à l’Assemblée nationale.

Car le paquet que soutiendra le ministre des Solidarités Olivier Véran et son collègue des Comptes publics Gérald Darmanin, n’est pas mince : il s’agit de refiler pas moins de 136 milliards d’euros de dette passées et à venir à la Cades, la caisse d’amortissement de la dette sociale. Les médias s’en sont peu fait l’écho, et c’est bien dommage : dans un pays qui serait, paraît-il, traumatisé par la dette publique, le sujet mérite qu’on s’y arrête un moment.

La Cades reprend du service

D’abord parce que la composition du « paquet » cadeau que le gouvernement demande aux parlementaires d’adopter est surprenant : on commence par éponger 31 milliards d’euros de déficits cumulés des différentes branches de la Sécurité sociale (maladie, vieillesse, fonds de solidarité vieillesse, MSA…). Puis 13 milliards de dettes des hôpitaux, soit le tiers de celle-ci, conformément à l’engagement de l’exécutif en réponse à la mobilisation des soignants. Puis encore 92 milliards d’euros de déficits prévisionnels de la Sécu pour les trois prochaines années, dont une bonne partie est due à des décisions prises pendant la crise du Covid-19. Pour emballer ce très gros poisson, le dernier article du projet de loi prévoit un premier financement (2 milliards) d’une future éventuelle 5ème branche de la Sécu consacrée à la dépendance.

En conséquence, la Cades qui arrivait en fin de vie en 2024, après avoir amorti plus de 260 milliards d’euros de dette, reprendra du service pour neuf ans. Il en va de même pour la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) qui perçoit 0,5% de tous les revenus sans exception.

Ceux qui se souviennent qu’il y a seulement quelques mois à l’occasion du débat sur les retraites, le Premier ministre Edouard Philippe avait érigé la suppression des déficits (les fameux « 70 milliards à l’horizon 2025 ») en condition sine qua non de toute réforme, seront donc surpris de la facilité avec laquelle le chef du gouvernement accepte maintenant de refiler le bébé aux générations futures ! Mais la Cades ayant été créée en 1996 par le parrain politique d’Edouard Philippe, à savoir Alain Juppé, il ne faut y voir qu’un retour aux sources. C’est d’ailleurs une spécialité de la droite qui se proclame volontiers l’ennemie de la dette et des déficits que de prolonger la vie de la Cades, quand ça l’arrange, comme en 2004 et en 2010…

Car contrairement à une sorte d’évidence, pourquoi faire autrement, puisque ça marche comme ça depuis 25 ans…, il existe une alternative : cette dette, ou du moins la plus grande partie d’entre elle résultant des mesures prises par le gouvernement pour juguler la récession, pourrait, voire devrait, être prise en charge par le budget de l’Etat, comme l’explique l’économiste Michaël Zemmour dans une tribune publiée par Le Monde et sur son blog d’Alternatives économiques. Il nous rappelle la grande différence entre la dette de l’Etat et celle de la Cades : quand la seconde rembourse intérêt et capital en dix ans, ce qui coûte une dizaine de milliards par an, l’Etat, lui ne fait face qu’aux intérêts, soit dix fois moins !

Mais ce choix en apparence budgétaire est en fait très politique à au moins deux titres. Le premier est que le gouvernement préempte la seule ressource éventuellement disponible pour une réforme des régimes de protection sociale. L’ex ministre du Budget Christian Eckert avait ainsi rappelé l’année dernière que la dette de la Sécu étant éteinte en 2025, le flux annuel de la CRDS, soit environ 24 milliards, serait disponible. « On pouvait penser disposer de 12 milliards pour les retraites et de 12 autres pour la dépendance. Et bien c’est fini, envolé ! », commente Henri Sterdyniak des Economistes Atterrés. Faute de financement, il y a fort à parier que les prochains débats en matière de protection sociale porteront sur la manière de réduire les dépenses, c’est-à-dire les droits des assurés, en commençant par les plus importantes : retraites, santé (et donc hôpitaux), famille, chômage. Le jour d’après ressemblera donc aux jours d’avant… l’an 2000 !

Le second porte sur le devenir de la dette publique post-Covid. Pour aider les Etat et les entreprises, la Banque centrale européenne a acquis depuis mars près de 750 milliards d’euros d’obligations publiques et privées, et pourrait en acquérir 600 milliards de plus dans les mois à venir, et jusqu’en 2022, rémunérées à un taux proche de 0%. Le débat n’est pas tranché pour savoir si elle pourrait les conserver indéfiniment dans ses comptes. Mais quoiqu’il en soit, ce ne sera pas le cas des 136 milliards d’obligations qui seront émises par la Cades qui, elle, remboursera : « foi d’animal, intérêt et principal », près du quart de la dette publique française consécutive à la crise économique, évaluée pour l’instant à 400 milliards d’euros… La Sécu paiera donc, c’est un dogme, comme si l’argent des dépenses sociales portait des péchés à expier par principe. Là encore, on en revient au monde d’avant, celui où « il n’y a pas d’argent magique ». Mais c’est faute d’imagination et de volonté.