Réforme retraites 2023

Alternatives Economiques - La réforme des retraites : communiquer et improviser ou négocier et planifier ?

Mars 2023, par Info santé sécu social

LE 02/03/2023
Robert Boyer
Directeur de recherche au CNRS, directeur d’études à l’EHESS et chercheur au

Après les rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR) et les multiples discussions qu’ils ont suscitées n’est-il pas abusif de parler d’improvisation ? C’est pourtant l’hypothèse qui s’impose pour rendre compte de la stratégie des gouvernements depuis le premier mandat d’Emmanuel Macron.

Déjà, la réforme de 2019…
Déjà, la réforme de la retraite à points avait été présentée comme indispensable, productrice de justice sociale et seule solution pour éviter la crise du système par répartition. Au fil des discussions que cette réforme structurelle impliquait, il est apparu que le nombre des catégories sociales qui étaient pénalisées appelait des mesures compensatrices d’une complexité et d’un volume tels que l’efficacité de la proposition devenait problématique. Par chance, l’irruption du Covid autorise l’abandon du projet.

Celui soumis à la discussion du Parlement est aux antipodes du premier puisqu’il consiste en un simple ajustement paramétrique portant sur une seule variable, l’âge légal du départ à la retraite. Ce projet fait porter le poids de la réforme essentiellement sur la fraction de la population déjà la plus désavantagée par rapport à l’espérance de vie à l’âge de la retraite effective. Sa présentation à l’opinion publique manifeste les mêmes erreurs et approximations.

Dans un premier temps, il est annoncé que le but est de promouvoir la justice sociale avant que les porte-parole du gouvernement reconnaissent que les femmes et les salariés aux carrières longues seraient en fait pénalisés. Ceci suscite des amendements en vue de corriger ces défauts, selon le même processus qui avait détricoté la retraite à points.

Dans un second temps, la réforme a été présentée comme seule solution pour éviter le creusement des déficits, alors que les derniers scénarios du COR montrent que l’urgence est toute relative et que bien d’autres solutions existent, dès lors que le gouvernement accepterait de jouer sur tous les paramètres que sont le niveau et le nombre d’années de cotisation et le niveau de vie relatif des retraités par rapport aux actifs.

Le choix de l’inégalité
Il est une logique à cette restriction concernant les paramètres de la réforme. Un des fils directeurs de la présidence d’Emmanuel Macron concerne la réduction de la fiscalité et des charges sociales pesant sur les entreprises, afin de stimuler l’attractivité du territoire français et relancer ainsi la croissance et l’emploi. Par ailleurs, de fait, les retraités sont nombreux parmi l’électorat du centre et de la droite.

Pour autant, la réforme actuelle est-elle viable et habile ? Pas du tout ! En effet, le déploiement d’une logique comptable entre en conflit ouvert avec les transformations du travail et les attentes des citoyens. Il ne suffit pas d’annoncer un allongement des carrières salariales pour que les entreprises décident de mieux former leurs salariés afin qu’ils continuent à être efficaces à des âges avancés. En effet, les métiers les plus pénibles ont plus de chances de déboucher sur une situation d’handicap et où l’obsolescence des compétences n’a pas été compensée par une formation tout au long de la vie, de sorte que menace le chômage des seniors.

La réforme bute sur une seconde source d’inégalité : l’accès à l’éducation puis à la formation professionnelle. Au demeurant, la vigueur des manifestations vient rappeler au gouvernement que l’usure au travail est un phénomène majeur qui s’est accentué avec la déréglementation, ce qui rend d’autant plus précieuse la période de la retraite. Le système de répartition et l’âge légal de départ à la retraite font partie d’un pacte social fondateur. Cette perception l’emporte sur la froide logique de l’évolution du ratio entre retraités et actifs.

Les trois chemins pour sortir de l’impasse
Comment sortir de l’impasse ? Par la reconnaissance d’un triple impératif. D’abord, il est illusoire de déclarer une urgence pour des phénomènes démographiques et économiques qui se déroulent dans le temps long : devrait prévaloir le principe d’anticipation. Ensuite, il est totalement contreproductif d’affirmer qu’une réforme est la seule possible : le mot d’ordre « il n’y a pas d’alternative » s’est avéré conduire à des crises majeures et il doit être remplacé par le principe de délibération entre toutes les parties prenantes impliquées (les représentants des salariés, des entreprises, du système éducatif et de la formation, les spécialistes de l’organisation de la santé au travail, les chercheurs travaillant sur le processus de vieillissement et les maladies chroniques, etc.).

N’était-ce pas le grand mérite, aujourd’hui bien oublié, de la planification à la française ? De fait, elle permettait de construire un pacte social, fut-il implicite, à partir duquel ordonner les priorités de toutes les politiques publiques, coordonnées par un objectif commun : faire émerger un autre mode de développement. Au demeurant, cette instance pourrait aussi avoir la charge de la planification écologique, horizon dans lequel il faut inscrire la question des retraites.