Les professionnels de santé

Alternatives économiques - Absentéisme à l’hôpital : non, les soignants ne se dorent pas la pilule

Novembre 2022, par Info santé sécu social

LE 23/11/2022

Nicolas Da Silva
Chercheur au Centre d’économie de l’Université Paris 13

L’hôpital public subit un sous-financement chronique depuis des années. D’après un rapport de France Stratégie, en 2016, la France consacrait en 0,5 point de PIB de moins pour l’hôpital public que la moyenne d’autres pays comparables en Europe (Autriche, Pays-Bas, Royaume-Uni ou Italie). Pour les patients, cela implique une réduction de l’accès et de la qualité des soins. Pour les professionnels, cela développe de mauvaises conditions de travail et le sentiment de qualité empêchée, c’est-à-dire la sensation d’être contraint de mal faire son travail. L’une des manifestations de cette « casse du siècle » est le niveau élevé de l’absentéisme des soignants.

L’absentéisme peut être défini comme une situation dans laquelle un salarié qui devait être présent sur son lieu de travail ne l’est pas, quelle qu’en soit la justification (maladie, garde d’enfant ou de parent malade, convenance personnelle, congé maternité, etc.). Dans le débat public, l’absentéisme est souvent assimilé à de la paresse, au peu de moralité des salariés ou encore à de l’opportunisme né du remboursement par la Sécurité sociale ou les assurances privées des jours d’absence. Aussi, lutter contre l’absentéisme passerait par une politique du bâton (jour de carence) et de la carotte (prime de présence).

La littérature économique est beaucoup plus prudente sur le sujet. D’un point de vue théorique, la politique économique ne doit pas seulement lutter contre l’aléa moral afin de réduire la dépense publique, elle doit aussi prendre en compte les objectifs de santé publique en évitant que des malades renoncent à leurs droits en aggravant leur état de santé.

Une étude sur le cas français menée par Catherine Pollack a montré que les salariés du privé qui doivent attendre trois jours avant de bénéficier des indemnités journalières (environ 30 % de l’ensemble des salariés du privé) ont la même probabilité de connaître des absences que les autres. En d’autres termes, le jour de carence ne modifie pas significativement le niveau de l’absentéisme.

Plus encore, les salariés qui ne bénéficient pas du remboursement des jours de carence connaissent des absences d’une durée plus longue. Cela suggère qu’en luttant (mal) contre l’absentéisme, la politique publique crée un problème plus important : le présentéisme. Le fait de ne pas pouvoir facilement s’arrêter en cas de maladie conduirait à recourir à des arrêts plus longs, ce qui n’est bon, ni pour la santé des salariés, ni pour les entreprises que l’on croyait sauver de l’opportunisme salarial.

Un taux d’absentéisme plus élevé qu’ailleurs
A l’hôpital, l’absentéisme est beaucoup plus élevé que dans le reste de l’économie : 10 % contre 5 %. Après le mouvement social de 2019 et le confinement de 2020, il est beaucoup plus difficile d’attribuer l’absentéisme hospitalier à de l’opportunisme. C’est bien normal, car à l’hôpital comme ailleurs, l’absentéisme est un « phénomène organisationnel » qui dit beaucoup plus de choses sur l’organisation du travail que sur la moralité des salariés.

D’après une étude de la Drees, les niveaux d’absentéisme ne diffèrent pas sensiblement entre l’hôpital public et les cliniques : 10,2 jours d’arrêt par salarié par an contre 9,6 jours. La mise en place du jour de carence dans le secteur public entre 2012 et 2014 n’a pas eu d’effet sur le taux d’absentéisme qui est resté proche de celui du privé, où les conventions collectives prennent en charge les jours de carence.

Ce sont les conditions de travail qui expliquent le mieux l’absentéisme et en particulier l’écart observé entre les différents groupes professionnels dans l’hôpital. Les médecins (4 jours) et professions administratives (8 jours) sont moins absents tandis que les infirmières (10 jours), les aides-soignantes (12 jours) et les agents d’entretien sont les plus absents (18 jours).

Les conditions de travail qui sont le plus corrélées à l’absentéisme sont l’exigence émotionnelle (le rapport aux patients et à leurs proches), les contraintes physiques (rester longtemps debout, effectuer des mouvements douloureux ou fatigants) et les contraintes horaires (travail de nuit, ou travail sur de longues périodes).

Nouveau management public
Le niveau élevé de l’absentéisme hospitalier peut s’expliquer par la multiplication des réformes conduites dans l’esprit du nouveau management public. La pression à la baisse sur les budgets impose une gestion étriquée des effectifs et intensifie le travail. Dans ce climat, les absences non prévues sont nombreuses et, paradoxalement, les stratégies mises en place pour y faire face renforcent l’absentéisme.

Plutôt que de faire appel à des recrutements externes ou à des personnels dédiés au remplacement – solutions jugées trop coûteuses –, les directions hospitalières et les cadres de santé privilégient des ajustements internes. Les personnels en repos hebdomadaire ou en congés sont rappelés, d’autres sont échangés entre services, etc.

Dans une enquête menée auprès de quatre centres hospitaliers, Véronique Achmet et Nathalie Commeiras, chercheuses en sciences de la gestion, montrent comment cette gestion interne des absences favorise le présentéisme qui est la face cachée de l’absentéisme. Pour faire face aux absences de courte ou de longue durée, la sur-mobilisation des ressources internes conduit certaines infirmières à être plus présentes que ce qu’elles devraient l’être.

Or, le présentéisme n’est bon, ni pour les soignants qui se fatiguent, ni pour les cadres qui culpabilisent de leur imposer des cadences infernales, ni pour les patients qui souffrent d’une réduction de la qualité des soins. En effet, les absences sont compensées en quantité, mais non en qualité : les remplaçantes ne connaissent pas les patients et ont parfois une faible connaissance sur leur pathologie et le fonctionnement du service. Pire, les autrices suggèrent que la fatigue est susceptible d’entraîner un plus grand nombre d’incidents.

Les mythes ont la vie dure. Non, l’absentéisme hospitalier ne signifie pas que les soignants se dorent la pilule au frais du contribuable. Comme dans les autres secteurs d’activité, c’est principalement un phénomène organisationnel et non la conséquence de la moralité douteuse des salariés.

La lutte pour l’augmentation des rémunérations des soignants est un combat important et le Ségur de la Santé constitue une avancée sensible. Cependant, sans amélioration des conditions de travail et sans remise en cause de certains des aspects les plus nuisibles du nouveau management public, il est peu probable de voir chuter l’absentéisme.