L’hôpital

Alternatives économiques : COVID-19 La France manque toujours autant de lits de réanimation

Mars 2021, par infosecusanté

Alternatives économiques : COVID-19 La France manque toujours autant de lits de réanimation

SABINE GERMAIN

23/03/2021

Un an après la première vague de Covid-19 et huit mois après un Ségur de la santé censé réarmer notre système de soins, les hôpitaux manquent toujours de lits de réanimation et les personnels de santé s’épuisent.

« Où sont les 12 000 lits de réanimation dont nous a parlé Olivier Véran cet été ? », fait mine de s’interroger Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI CFE-CGC). Les acteurs de la santé ont vite compris que ce chiffre était virtuel : le ministère de la Santé a bel et bien recensé 12 515 lits « mobilisables » en cas de besoin sur l’ensemble du territoire. Mais pour les faire fonctionner, il faudrait embaucher des milliers de personnels de santé : douze infirmiers spécialisés, six aides-soignants, trois médecins et presque autant d’internes sont en effet nécessaires pour faire « tourner » une douzaine de lits.

A ce jour, 5 080 lits de réanimation sont actifs sur l’ensemble du territoire, dont 1 425 en Ile-de-France, où « il faudrait au moins 500 lits de plus pour faire face à la troisième vague de Covid et continuer à s’occuper correctement des patients non Covid », estime Anne Gervais-Hasenknopf, gastro-entérologue et hépatologue au service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat - Claude-Bernard à Paris. Il faudrait donc être capables de recruter très rapidement 500 infirmiers spécialisés alors même que « plus de 30 000 postes sont vacants dans les hôpitaux publics », estime Thierry Amouroux.

A ce jour, 5 080 lits de réanimation sont actifs sur l’ensemble du territoire, dont 1 425 en Ile-de-France Twitter
Les hôpitaux privés sont confrontés à la même pénurie : leur fédération professionnelle, la FHP, estime leur capacité d’accueil en réanimation à 2 000 lits après l’autorisation temporaire accordée à 90 services totalisant 1 000 lits. « Mais il nous faut des bras ! », s’époumone la FHP. « Nous manquons de médecins et d’infirmiers spécialisés en réanimation. La situation devient éreintante pour le personnel, trop peu nombreux. »

Au plus fort de la première vague de Covid-19, mi-avril 2020, on a recensé jusqu’à 10 707 lits de réanimation. Ce chiffre est rapidement retombé à 10 133 lits le 15 mai, 8 320 le 15 juin et 5 800 en juillet. Il est ensuite resté à son niveau moyen : autour de 5 000 lits, ce qui est déjà insuffisant hors pandémie, observe la Cour des comptes dans un rapport cinglant publié le 18 mars.

Critiques de la Cour des comptes
Entre 2013 et 2019, le nombre de lits d’hospitalisation complète a baissé de 5,6 % pour passer sous la barre des 400 000 (précisément 392 262). Quant au nombre de lits de réanimation, il a très légèrement augmenté (+ 56 unités en six ans, soit + 0,17 % par an) pour atteindre 5 080 lits au 31 décembre 2019.

Mais c’est loin d’être suffisant au regard du vieillissement de la population : les deux tiers de ces lits sont occupés par des personnes âgées de plus de 65 ans, dont le nombre a augmenté de 1,7 % entre 2013 et 2019. Autrement dit, le nombre de lits de réanimation a augmenté dix fois moins vite que celui des personnes de plus de 65 ans.

La Cour des comptes pointe les effets pervers du système de tarification à l’activité (T2A) qui régit les finances des hôpitaux depuis 2005 : « Compte tenu des règles en vigueur, l’ouverture d’un lit en réanimation médicale génère un déficit moyen estimé à 115 000 euros par an. » Cela « n’est pas de nature à inciter les établissements à adapter leurs capacités d’hospitalisation à aux besoins constatés. » Doux euphémisme…

Problème chronique
La première vague du printemps 2020 a donné lieu à une mobilisation exceptionnelle des Français, qui se sont très strictement confinés, et des personnels soignants, dont l’activité a été entièrement tournée vers le Covid : c’est grâce à la chute de l’accidentologie et aux déprogrammations d’interventions que le nombre de lits de réanimation a pu être multiplié par deux.

Mais « on ne peut pas continuer à déprogrammer trop longtemps », estime Renaud Piarroux, spécialiste des maladies tropicales et infectieuses qui a relaté son expérience du printemps 2020 dans La vague, l’épidémie vue du terrain1. « En période de crise, les équipes peuvent gérer les pics d’activité. Mais à la longue, elles s’épuisent. Or, le Covid-19 n’est plus une crise : c’est un problème chronique. »

Sur l’épuisement général viennent aujourd’hui se greffer les désillusions politiques et le sentiment de ne pas être entendus Twitter
Autre grande différence entre la première vague et les suivantes : au printemps 2020, « tous les efforts ont convergé vers les régions Grand Est et Ile-de-France, se souvient Renaud Piarroux, mais aujourd’hui, l’ensemble du territoire est touché », avec des taux d’occupation en réanimation très élevés dans les deux tiers Nord-Est du territoire français, le long d’une ligne Normandie, Centre-Val-de-Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, avec des taux de 116,4 % dans les Hauts-de-France, 109,8 % en Paca et 104,7 % en Ile-de-France. Il n’est donc plus question de transférer des équipes d’une région à l’autre.

Sur l’épuisement général viennent aujourd’hui se greffer les désillusions politiques et le sentiment de ne pas être entendus : « Nous sommes le seul pays au monde à avoir continué à fermer des lits en pleine pandémie, explique Thierry Amouroux. La première vague nous a confrontés à des choix terribles. Certains infirmiers se sont sentis broyés. Il ne faut pas s’étonner que le nombre de postes vacants (7 500 avant le Ségur de la santé) ait été multiplié par quatre depuis. »

Décisions mal vécues
A cet épuisement physique et psychologique se sont ajoutées des décisions particulièrement mal vécues : 70 000 soignants hospitaliers et 55 000 personnels d’Ehpad et d’IME (instituts médico-éducatifs) ont contracté le Covid-19, mais cette pathologie n’est reconnue comme une maladie professionnelle que s’ils ont développé une forme sévère nécessitant une oxygénothérapie ou toute autre forme d’assistance ventilatoire. « Que va-t-il se passer pour les 10 à 15 % de personnes qui souffrent d’un Covid long ? », s’interroge Thierry Amouroux.

Autre choc : le décret du 3 septembre 2020 « relatif aux mesures d’accompagnement en cas de suppression d’emploi dans la fonction publique hospitalière » autorise désormais les licenciements de médecins hospitaliers. De plus, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 prévoit plus de 1 milliard d’euros d’économies au titre de « l’amélioration de la performance interne des établissements de santé » (830 millions d’euros) et de la structuration du parcours de soins à l’hôpital (215 millions d’euros).

Pas de quoi remonter le moral de soignants qui ont, certes, bénéficié de 8 milliards d’euros d’augmentation de salaire accordés dans le cadre du Ségur de la santé. Mais cela n’a permis de rattraper que partiellement le retard français : les salaires de nos infirmiers restent inférieurs de 10 % à la moyenne européenne.

1.« La vague, l’épidémie vue du terrain », Renaud Piarroux, CNRS Editions, octobre 2020.