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Alternatives économiques - Contrôle des demandeurs d’emploi : est-ce bien raisonnable ?

Juin 2017, par Info santé sécu social

Chômage : à qui la faute ? Dans son programme, Emmanuel Macron s’est engagé à réformer sur plusieurs points l’assurance chômage. Reprise en main par l’Etat, indemnités pour les démissionnaires et indépendants, mais aussi renforcement du contrôle des demandeurs d’emploi. Une refonte que la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, et le Premier ministre Edouard Philippe ont confirmée le 6 juin dans le programme de travail remis aux partenaires sociaux. Après la réforme du droit du travail, s’ouvrira celle, dès septembre, de l’assurance chômage, en concertation avec les partenaires sociaux. Edouard Philippe a rappelé que les cotisations salariales sur l’assurance chômage (tout comme d’ailleurs celles sur l’assurance maladie) seront bien supprimées, dès le 1er janvier 2018, et remplacées par une hausse de la CSG.

Le locataire de l’Elysée tient à cette réforme. Encore candidat, il pointait « l’hypocrisie du système » regrettant qu’il soit considéré comme « une assurance ». Les salariés cotisent et ont « un droit au chômage pour une certaine durée ». S’ensuit donc, selon lui, une situation contradictoire : « On contrôle le fait que vous cherchiez bien un emploi, mais comme c’est un droit que vous avez acquis par ce salaire différé, ce n’est pas un vrai contrôle », expliquait-il sur le plateau de Médiapart.Individualisation des causes du chômage

Pour répondre à ce diagnostic, Emmanuel Macron entend ainsi mettre en place « un contrôle accru de la recherche d’emploi, pour lequel les moyens de Pôle Emploi seront renforcés et les sanctions rendues justes et crédibles ». « Si plus de deux emplois décents, selon des critères de salaire et de qualification, sont refusés ou que l’intensité de la recherche d’emploi est insuffisante, alors les allocations seront suspendues ». Le nombre de contrôleurs de Pôle emploi dédiés à cette tâche de contrôle passerait de 200 aujourd’hui à 1000.

« C’est une tentative de stigmatiser les chômeurs, de mettre la responsabilité du chômage sur les demandeurs d’emploi et pas sur les politiques publiques », réagit Fabien Milon, délégué syndical central FO à Pôle emploi. « Ce débat s’insère dans l’idée d’une individualisation des causes du chômage, en mettant en avant la responsabilité du chômeur et en occultant les causes macro-économiques », abonde Anne Fretel, membre des économistes atterrés. En effet aujourd’hui, le problème du chômage réside principalement dans un manque d’offre, et il semble difficilement imaginable qu’un contrôle accru des chômeurs créera l’emploi qui fait défaut.

« Plusieurs pays ont renforcé le contrôle des chômeurs et cela n’a pas fait baisser le chômage », indique Ioana Marinescu, économiste à l’Université de Chicago. « C’est un jeu de chaises musicales, la pression exercée sur certains les pousse à accepter des offres, mais ils prennent la place d’autres. En net, c’est un jeu à somme nulle », poursuit l’économiste.

Proche de la situation actuelle

En outre, les propositions d’Emmanuel Macron sont proches de la situation actuelle. Aujourd’hui, un chômeur inscrit à Pôle emploi, qui refuse deux offres raisonnables d’emploi se voit radié de l’agence et perd ainsi ses indemnités. Une offre est considérée comme raisonnable si elle correspond aux critères de l’emploi recherché en matière de compétence et de qualification et si elle se situe à moins d’une heure en transport en commun du domicile ou à moins de 30 km du domicile du demandeur. A cela s’ajoute le critère de la rémunération qui doit être, équivalant au salaire du dernier poste occupé, puis à 85% de ce salaire au bout de six mois de recherche et enfin au montant des allocations chômage à partir d’un an.

Les mesures précises du gouvernement ne sont pas encore connues, mais on peut s’attendre logiquement à un durcissement de ces critères. La mise en place de la mesure interroge cependant, tant elle est aujourd’hui déjà difficile à appliquer. « C’est extrêmement compliqué de définir une offre raisonnable d’emploi et de mettre en œuvre cette mesure », précise le syndicaliste Fabien Milon. « Est-ce raisonnable de proposer un CDD à mi-temps payé au SMIC horaire, pour quelqu’un qui ne va au final pas gagner davantage qu’avant en comptant le coût du transport et la garde des enfants ? », interroge le syndicaliste FO.

De toute manière, « Pôle emploi n’a pas la capacité de proposer des offres raisonnables à tous les demandeurs d’emploi inscrits », explique Anne Fretel. « Il y a entre 20 et 22 millions de recrutements dans le pays annuellement, Pôle emploi n’en capte que 2 à 2,5 millions. Le service public n’a pas la capacité technique de proposer deux offres raisonnables d’emplois », détaille-t-elle. Pôle emploi ne communique d’ailleurs pas précisément les données statistiques sur le nombre d’offres raisonnables proposées et refusées, entraînant une suspension des allocations. En revanche, l’agence a publié en 2014 les résultats d’expérimentations en région sur des contrôles de chômeurs qui ne jouent pas le jeu de la recherche active d’emploi. Le taux de fraude est en réalité marginal et entraîne dans la plupart des cas des radiations d’une durée moyenne de 15 jours. Rappelons que le taux de radiation, toutes causes confondues, reste faible et stable.

Si contrôle et sanctions sont nécessaires pour assurer le fonctionnement équitable du système, un renforcement des critères sera néanmoins difficile à mettre réellement en place dans le cadre actuel. Sauf à changer radicalement le fonctionnement et la culture de Pôle emploi, en se dirigeant vers un modèle beaucoup plus sévère comme en Grande-Bretagne.

Répondre à une annonce : peu performant

Plus globalement, le canal formel, c’est-à-dire, trouver un emploi en répondant à une offre, est loin d’être la meilleure façon d’y parvenir. Le meilleur moyen reste l’informel, c’est-à-dire les candidatures spontanées et les relations personnelles. Plus de deux tiers des personnes en poste ont décroché un travail de cette manière. Les intermédiaires publics, comme Pôle emploi, et les annonces ne représentent que 17 % des canaux d’embauche, selon l’Enquête emploi de l’Insee (2003-2012).

Dès lors que le contrôle et les sanctions sur les chômeurs sont renforcés, ces derniers ont tendance à privilégier les canaux formels, qui sont moins performants. « Ce mécanisme pénalise davantage les publics peu qualifiés, chez qui le recrutement informel est plus fort qu’ailleurs », précise l’économiste Anne Fretel.

Les effets de ces mesures sur l’emploi retrouvé sont également sources de critiques. Le renforcement des contrôles pousse les demandeurs à se concentrer sur la première offre, en attachant moins d’importance à son contenu, « ainsi la qualité de l’emploi retrouvé diminue, ainsi que sa pérennité », explique Anne Fretel. Une étude de la Dares, le service statistique du ministère du Travail, pointe que « ces mécanismes d’activation [de contrôle et de sanctions] inciteraient donc les demandeurs d’emploi à accepter des emplois moins stables et moins bien rémunérés. Ils peuvent également avoir des effets pénalisants sur le parcours professionnel ultérieur des personnes sanctionnées ». D’ailleurs, plus d’un ancien demandeur sur deux se dit insatisfait de son nouvel emploi.

Face à un marché du travail grippé, un contrôle accru peut également conduire les candidats à jeter l’éponge. « Pour certains chômeurs qui éprouvent des difficultés à trouver un emploi, il peut y avoir un effet supplémentaire de découragement dans la recherche face à une pression qui n’est plus soutenable », indique Ioana Marinescu. Si cela peut diminuer le nombre d’inscrits à Pôle emploi, le taux de chômage reste, lui, inchangé. Comme l’indiquait l’économiste Michel Husson dans nos colonnes, renforcer le contrôle des chômeurs n’est guère efficace. C’est même contre-productif.