Les retraites

Alternatives économiques : Décryptage Non, les retraites ne resteront pas à 14 % du PIB

Janvier 2020, par infosecusanté

Alternatives économiques : Décryptage Non, les retraites ne resteront pas à 14 % du PIB

Michaël Zemmour et Justin Benard 27/01/2020


Contrairement à ce que le gouvernement affirme, la réforme des retraites ne se fera pas à enveloppe budgétaire constante, mais prévoit bien une baisse des dépenses par rapport au régime actuel.

L’argument a largement été relayé. En plafonnant les dépenses de retraites à 14 % du PIB, alors que la part des seniors dans la population augmente progressivement, la réforme du gouvernement allait déclencher une baisse des pensions, plus exactement du taux de remplacement (le niveau de la pension par rapport au dernier salaire). Depuis vendredi et la présentation de projet de loi en conseil des ministres, on sait désormais que la trajectoire visée par le gouvernement, n’est pas 14 %, mais moins de 13 % en 2050. En cela, la réforme intègre une diminution des dépenses de retraite par rapport au système actuel.

Une baisse plus forte et plus rapide des dépenses de retraite

Pour comparer la trajectoire actuelle du système de retraite et celle envisagée dans le cadre de la réforme, il faut lire les données de l’étude d’impact du gouvernement, en particulier le tableau 39 intitulé : « Effet de la réforme sur les dépenses de prestations à horizon 2050 ». En comparant la première ligne de ce tableau, à savoir la trajectoire des dépenses avec les règles actuelles, et la dernière, celle avec les nouvelles règles, on observe que la réforme conduirait à une baisse des dépenses de 0,2 point de PIB en 2025 (soit environ 5 milliards d’euros), de 0,3 en 2030, 0,2 en 2040 et 0,3 en 20501.

Cette baisse est encore accentuée si on consulte le rapport du COR de juin 2019 (cité comme source). On s’aperçoit que les valeurs pour 2040 et 2050 sont subtilement décalées : le rapport du COR envisageait des dépenses de retraite de l’ordre de 13,7 % du PIB en 2040 et de 13,4 % en 2050. Les sources du tableau font état d’« extrapolations », qui peut-être permettraient au gouvernement de réviser à la baisse les projections de l’organisme de référence. Faute de documentation plus précise, il est difficile d’évaluer leur sincérité.

La trajectoire financière affichée par le gouvernement présente donc bien des dépenses en baisse par rapport à celles du système actuel. L’ampleur de cette diminution varie selon la « trajectoire actuelle » retenue, mais s’élève a minima à 0,3 point de PIB dès 2030, et ce jusqu’en 2050

Economies de court terme et retraite à points

Cette baisse de dépenses n’est pas un hasard, c’est la retranscription fidèle des mesures d’économie que le gouvernement entend réaliser avec sa réforme. D’abord via des « mesures d’équilibre mises en œuvre sur la période 2022-2027 », qui réduiront les dépenses à moyen terme. Puis via le passage au système à points, qui permettra de prolonger ces économies.

Il n’y a donc aucun doute possible : la réforme proposée allie changement de système et nouvelles baisses de dépenses de retraites par rapport au système actuel
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On retrouve là les deux temporalités de ce projet de réforme : avant et après 1975. Les générations nées avant cette date (qui partiraient donc en retraite à partir de 2037) ne sont pas concernées par la retraite à points, mais seront la cible des « mesures d’équilibre », qui doivent permettre de réaliser des économies de l’ordre de 0,3 point de PIB en 2025 (environ 8 milliards d’euros) et d’autant en 2030 (environ 12 milliards d’euros). La « conférence des financeurs » doit définir ces mesures, en cas d’échec le gouvernement pourrait revenir avec l’âge pivot. Pour les générations nées après 1975, de nouvelles économies seraient réalisées, cette fois dans le passage au système à points. Elles sont évaluées par l’étude d’impact à environ 0,2 point de PIB en 2040 et au moins autant au-delà.

Il n’y a donc aucun doute possible, la réforme proposée n’est pas simplement une réforme de « système » à enveloppe financière constante, mais bien une réforme qui allie changement de système et nouvelles baisses de dépenses de retraites par rapport au système actuel.

La comptabilité créative de l’étude d’impact

A rebours de cette réalité, le gouvernement a construit une fiction : celle d’une réforme « à trajectoire constante ». Cette affirmation est présente dans l’étude d’impact, publiée le 24 janvier. Par exemple, le Titre 1 (page 174) indique explicitement que : « Les dépenses de retraites représentent 13,8 % du PIB en 2018 et la réforme est conçue dans le respect de la trajectoire du système actuel. » Avant de poursuivre : « La réforme systémique a été calibrée de manière à aboutir au même niveau de dépenses à terme qu’en l’absence de réforme, et de viser ainsi un équilibre de long terme du système de retraites. »

L’étude d’impact déploie des trésors d’inventivité pour dégrader fictivement le système actuel et faire ainsi apparaître cette baisse comme une stabilité
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L’argument est assez largement repris, sans précautions dans Le Monde, qui cite des « sources gouvernementales », ou Les Echos, qui accréditent l’idée que la réforme se ferait à trajectoire constante. Mais d’où vient cette réalité alternative ? De l’étude d’impact, qui déploie des trésors d’inventivité pour dégrader fictivement le système actuel, et faire ainsi apparaître cette baisse comme une stabilité.

Revenons à ce tableau 39 évoqué plus haut. La première et la dernière ligne donnent la situation actuelle et la situation finale. Mais les autres lignes, sont là pour égarer le lecteur. C’est en particulier le cas de la ligne « effet de la hausse de la DAR [durée d’activité requise] pour les générations 1976 et suivantes ». Celle-ci représente les économies qui seraient réalisées, dans le système actuel, si l’on augmentait la durée de cotisation nécessaire pour toucher une retraite à taux plein au-delà de ce qui est prévu par la législation actuelle. Soit une hypothèse de pure fiction2.

La méthode de « l’entourloupe »

Pourquoi cette hypothèse ? Parce que la réforme du gouvernement prévoit de réaliser des économies, année après année, par le biais d’un âge d’équilibre qui augmenterait automatiquement pour chaque génération née après 1975. Pour que cela ne se voie pas, il imagine donc que ces économies auraient de toute façon eu lieu dans le système actuel, même sans sa réforme. Il aurait été beaucoup plus juste d’appeler cette ligne « augmentation de l’âge d’équilibre à partir de la génération 1976 ». Mais cela aurait obligé à reconnaître que cette baisse fait partie de la réforme (elle en est même le cœur).

La réforme prévoit de réaliser des économies par le biais d’un âge d’équilibre. Le gouvernement fait comme si ces économies auraient de toute façon eu lieu dans le système actuel
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Le gouvernement reprend la méthodologie dite de l’« entourloupe » utilisée dans le rapport Delevoye en juillet dernier, et qui lui permet de présenter sa réforme sous un meilleur jour en dégradant artificiellement la situation actuelle. A l’appui de cette fiction est construite une « situation contrefactuelle », la troisième ligne du désormais fameux tableau 39, surlignée pour que le lecteur soit porté à la comparer à la dernière ligne. Et pour l’amener à penser qu’en somme, la réforme se fait à trajectoire constante3. La vérité n’est pas totalement dissimulée puisqu’en lisant attentivement les notes de bas de page et de bas de tableaux, on finit par s’y retrouver. Mais la volonté de tromper le lecteur est manifeste (et ça marche).

Disons-le autrement : le gouvernement présente son projet de réforme comme obéissant à une trajectoire similaire à la situation actuelle, mais « à condition » que la situation actuelle soit dégradée d’autant que ce que prévoit le gouvernement dans son projet de réforme. Ce n’est plus une étude d’impact, c’est une tautologie.

Michael Zemmour est économiste, maître de conférences à l’université Paris-1 et chercheur associé à Science Po

Justin Benard est membre du Collectif Nos retraites