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Alternatives économiques - Les allocations contre le travail ?

Octobre 2022, par Info santé sécu social

OPINION

LE 06/10/2022
Guillaume Allègre
Economiste au département des études de l’OFCE

« La gauche doit défendre le travail et le salaire, et ne pas être la gauche des allocations, minima sociaux et revenus de substitution » (entendu à la Fête de l’Humanité).

Chacun pourra convenir que l’emploi de qualité est préférable socialement au non-emploi involontaire. Mais faut-il opposer assistanat et travail ?

François Dubet souligne qu’il existe deux stratégies politiques mettant, soit la figure du travailleur exploité, soit celle de l’exclu, au centre de l’imaginaire politique. Pour Lénine, les parasites étaient à la fois les rentiers capitalistes et les vagabonds fainéants, tous opposés à la figure du travailleur. Mais le consensus keynésien d’après-guerre, qui s’est traduit en France par la création de la Sécurité sociale, mêlait plein-emploi et protection sociale, dans un cercle supposé vertueux. Le contexte matériel, économique et social actuel rend-il pertinent l’abandon de ce consensus ?

Prenons le cas du RSA et de ses bénéficiaires. Environ 2 millions de foyers perçoivent l’allocation et environ 1,5 million d’enfants sont couverts. La pauvreté a des effets de long terme sur l’éducation et la santé de ces derniers et, ainsi, sur leurs perspectives d’emploi à long terme. Dans les pays anglo-saxons, les minima sociaux sont souvent justifiés de ce point de vue. C’est pourquoi ils sont beaucoup plus élevés pour les familles que pour les individus sans enfant.

Travailleurs et allocataires ne sont pas des groupes étanches : 16 % des allocataires du RSA ont un emploi, le plus souvent indépendant et/ou à temps partiel (autrement, ils ne seraient pas allocataires du fait de la condition de ressources). Environ un quart des allocataires sortent chaque année du dispositif, le plus souvent vers l’emploi. L’ancienneté moyenne dans l’allocation est de quatre ans.

Pour la plupart des allocataires, la situation est donc temporaire, de court ou moyen terme. Mais il est vrai que pour certains, la situation est amenée à perdurer : le taux de sortie de ceux au RSA depuis moins d’un an est de 38 %, contre 8 % pour ceux qui y sont depuis neuf ans ou plus (environ un quart des bénéficiaires).

Dans tous les cas, les minima sociaux et les allocations chômage ne complètent pas les revenus du travail d’une façon qui pourrait être avantageuse aux employeurs. Au contraire, ces revenus de substitution augmentent le pouvoir de négociation des demandeurs d’emploi et donc les salaires.

Les réformes récentes des allocations-chômage et celle annoncée du RSA ont pour objectif tout à fait explicite de réduire ce pouvoir de négociation, et d’inciter/forcer les allocataires à accepter des emplois qu’ils n’auraient pas acceptés sinon.

La santé et le logement avant l’emploi
Si l’objectif est le plein-emploi, quelles sont les difficultés d’insertion des allocataires ? Selon la Drees, 98 % des bénéficiaires du RSA sont soumis au régime de droits et devoirs. Parmi ceux-ci, 82 % sont orientés en vue d’un accompagnement.

Dans les contrats d’engagement réciproque signés entre les institutions et les allocataires, 35 % ont au moins une action visant… l’accès aux soins ; 22 % la famille et la parentalité, 17 % la facilitation du lien social, 15 % l’accès au logement ; mais aussi 24 % l’inscription dans un parcours de recherche d’emploi et 12 % la recherche d’activités, stages, ou formations.

On voit que dans une majorité de cas, l’accompagnement ne vise ainsi pas à un retour immédiat à l’emploi : il s’agit de répondre en premier lieu aux obstacles au retour à l’emploi en matière de santé, logement, formation, etc. Mettre au travail les assistés devrait donc impliquer en premier lieu ces politiques de santé et de logement, dans la logique abandonnée du compromis keynésien.

Les arguments économiques pour abandonner ce compromis sont donc faibles. Qu’en est-il des arguments politiques ? Un élu de droite soulignait que lorsque le chômage baissait, l’argument selon lequel il suffit de « traverser la rue pour trouver du travail » devient plus pertinent. Politiquement, sans doute, mais statistiquement ?

En réalité, si le chômage baisse, c’est que des chômeurs ont bien traversé la rue. Ceux qui restent sont ceux qui présentent des caractéristiques dont les employeurs ont jugé qu’elles étaient moins favorables à l’embauche. C’est pourquoi il est donc possible que la distance moyenne à l’emploi des demandeurs d’emploi et des allocataires de minima sociaux augmente lorsque le chômage diminue.

Il faut donc être méfiant par rapport à un certain bon sens. Depuis la mise en place du RMI en 1989, une autre expérience réussie a permis d’augmenter l’emploi, de baisser le nombre d’allocataires de minima sociaux, sans stigmatiser les personnes privées d’emploi, ce sont... les 35 heures !

Le travail étant équivoque, à la fois émancipateur et source d’exploitation, il est préférable de ne le défendre qu’avec modération, s’il est de qualité, consenti, non forcé… ce qui ouvre de nombreuses possibilités de bons mots pour la prochaine Fête de l’humanité.