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Alternatives économiques : Pourquoi le système de santé français va mal

Février 2020, par infosecusanté

Alternatives économiques : Pourquoi le système de santé français va mal

Céline Mouzon

04/02/2020
Hors-série n°120

Entre déserts médicaux, mouvements à répétition dans les hôpitaux, démissions… la crise du système de santé est patente, et les politiques actuelles l’aggravent.
A-t-il voulu d’emblée marquer sa différence ? Olivier Véran, le nouveau ministre de la Santé qui a succèdé à Agnès Buzyn le 16 février dernier, s’est en tout cas empressé d’annoncer une « consultation rapide du maximum d’acteurs pour les associer aux décisions », ainsi que la mise en œuvre d’une « étude sur le niveau de rémunération des soignants et des médecins en France ».

Un changement de discours qui semble avoir fait long feu : « Il est très surprenant que sa première mesure puisse être une enquête sur le mal-être des hospitaliers, monde qu’il dit "si bien connaître" », relèvent ainsi des représentants du personnel hospitalier dans une tribune. Sur Twitter, le collectif Inter-Hôpitaux souligne qu’aucune annonce immédiate n’a été faite, et demande un correctif budgétaire pour répartir le milliard d’euro attendu de la reprise partielle de la dette des hôpitaux, annoncée en fin d’année dernière. De fait, après un an de mobilisations à l’hôpital public, ponctué par des grèves du codage, des démissions administratives et des manifestations, le constat sur les mauvaises conditions de travail et l’insuffisance de moyens est connu.

Des hausses de dépenses inévitables

Les dépenses de santé s’accroissent dans tous les pays développés. Selon l’OCDE, elles y représenteront 10,2 % du produit intérieur brut (PIB) d’ici à 2030, contre 8,8 % en 2018 en moyenne. En France, elles devraient atteindre 13 % du PIB, contre 11,2 % aujourd’hui. L’Hexagone se situe actuellement dans le peloton de tête européen des dépenses de santé aux côtés de la Suisse, de l’Allemagne et de la Suède, mais la croissance de ces dépenses a été particulièrement faible ces dernières années : + 0,8 % par an en moyenne entre 2013 et 2018, contre + 2,4 % pour l’OCDE.
L’innovation en médecine est une source de dépenses supplémentaires avant d’être une source d’économies
Twitter
Trois facteurs contribuent à cette hausse : l’augmentation et le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques et, surtout, les progrès techniques. L’innovation en médecine est en effet d’abord une source de dépenses supplémentaires avant d’être une source d’économies. La dépense de santé par individu augmente régulièrement pour toutes les tranches d’âge : ce n’est pas forcément le signe d’une détérioration de l’état de santé, mais les conséquences des innovations médicales et des changements de pratiques des médecins et des patients. Quant aux maladies chroniques, elles sont certes moins pénalisantes pour la qualité de vie qu’autrefois, mais nous vivons avec plus longtemps.

Des soins de grande qualité
Les dépenses de santé ne disent cependant rien du niveau de santé dans un pays. Les Etats-Unis en sont un bon exemple : malgré des dépenses de santé qui sont les plus élevées au monde, près de 17 % du PIB, 11 % de la population adulte souffrent de diabète, contre 8 % en moyenne dans l’OCDE ; l’espérance de vie y est l’une des plus faibles de ­l’OCDE et la mortalité évitable y est de 262 pour 100 000, contre 208 en moyenne dans les pays développés. Il faut dire que près de 28 millions d’Américains (sur 327 millions) ne sont pas couverts par une assurance santé.
Qu’en est-il de la France ? L’espérance de vie y est certes élevée, mais elle marque le pas. Quant à l’espérance de vie sans incapacité, elle est dans la moyenne européenne, à 63 ans pour les hommes et 65 ans pour les femmes. 5 % de la population adulte souffrent de diabète, et le nombre de morts évitables est de 158 pour 100 000, avec des résultats très bons pour les morts évitables par traitement et moins bons pour les morts évitables par prévention, en raison d’une consommation d’alcool et de tabac qui reste élevée. Enfin, autre indicateur, les taux de mortalité dans les trente jours suivant une crise cardiaque et un AVC sont inférieurs à la moyenne de l’OCDE de 20 % et 10 % respectivement, signes que les hôpitaux fournissent des soins de grande qualité.

L’hôpital au régime sec
Cependant, depuis de longues années maintenant, les gouvernements successifs poursuivent une politique de compression des dépenses de santé via les lois de financement de la Sécurité sociale mises en place en 1996 et renforcées en 2005. Ces dépenses augmentent certes en valeur absolue, mais moins vite que les besoins, obligeant les différents secteurs de la santé à réaliser des économies, en particulier à l’hôpital. La croissance de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam), c’est-à-dire le budget de l’assurance maladie qui finance à la fois la médecine libérale et l’hôpital, a été depuis 2010 inférieure à 2,5 % par an, grosso modo le rythme de progression du PIB.
« Les efforts imposés au forceps à l’hôpital permettent de dégager des excédents qui compensent les déficits constatés pour la médecine de ville »
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Mais la ville et l’hôpital ne sont pas égaux face à ces contraintes. « Depuis cinq ans, la médecine de ville dépasse l’enveloppe qui lui est attribuée, mais les efforts imposés au forceps à l’hôpital permettent de dégager des excédents qui compensent les déficits constatés pour la ville », souligne ainsi l’économiste ­Brigitte Dormont. Le haut fonctionnaire Pierre-Louis Bras, ancien directeur de la Sécurité sociale, ne dit pas autre chose : « Parce que les dépenses hospitalières sont plus directement contrôlables par les pouvoirs publics, elles peuvent compenser un éventuel surcroît de dépenses sur la médecine de ville. Des dotations budgétaires sont mises en réserve, des tarifs “prudentiels” sont fixés qui ne seront respec­tivement débloqués ou rehaussés que si l’Ondam global est respecté ».

Et en effet, si, dans les comparaisons des pays de l’OCDE sur les dépenses de santé, la France se situe en tête, cette perspective s’inverse pour les dépenses hospitalières. Elles représentent 3,6 % du PIB hexagonal (contre 4,1 % en moyenne pour l’OCDE), alors que la médecine de ville en pèse 4,3 % (contre 2,9 % en moyenne pour l’OCDE). De fait, l’évolution du volume des soins hospitaliers a brusquement décroché : de + 1,8 % par an entre 2015 et 2016, elle est passée à + 0,4 % seulement en 2017 (voir graphique). Le ministère met en avant le « virage ambulatoire », c’est-à-dire l’augmentation des hospitalisations à la journée, mais cette explication n’est guère convaincante. Le gros du virage ambulatoire a déjà eu lieu, selon la Drees. Pour autant, le rôle des généralistes, censés devenir les pivots du parcours de soins, se réduit : le nombre d’actes réalisés par un généraliste par habitant est passé de 4,8 en 2000 à 3,9 en 2017.

De plus, le gouvernement actuel a fait le choix d’accentuer la pression sur les recettes du système de santé : il a en effet mis fin en 2018 à la compensation à l’euro près des exonérations ou baisses de cotisations sociales décidées par l’Etat prévue par la loi Veil de 1994. En 2019, les recettes de la Cnam ont diminué de 3,2 milliards d’euros, dont 2,9 milliards imputables à la non-compensation. Ce manque de moyens pour la santé risque d’entraîner un rationnement de l’offre, au-delà du problème des déserts médicaux dans de nombreuses zones rurales mais aussi dans les banlieues des grands centres urbains. De plus en plus souvent, les patients qui se présentent aux urgences ne peuvent tout simplement plus être traités. C’est ce qu’on a pu observer cet hiver dans certains services pédiatriques. Autant de tendances inquiétantes qui imposent de changer de cap.

Restera à voir si, comme le disaient les soignants dans leur tribune, Olivier Véran peut montrer que le ministère de la Santé est autre chose qu’ « une coquille vide sans marges de manœuvres, budgétaires et politiques » soumise aux arbitrages qui se font à Bercy et à Matignon.