Le chômage

Alternatives économiques - Pressurer une nouvelle fois les chômeurs va-t-il les pousser à trouver un emploi ?

Novembre 2022, par Info santé sécu social

LE 23 NOVEMBRE 2022

A partir du 1er février 2023, la durée d’indemnisation des nouveaux demandeurs d’emploi sera réduite de 25 %. Selon le gouvernement, ces règles devraient accélérer le retour à l’emploi, ce que mettent en doute les partenaires sociaux et les observateurs.

Par Catherine Abou El Khair

Nouveau recul sur les droits des demandeurs d’emploi. Après la réforme de 2019, qui a durci les conditions d’accès à l’assurance chômage et instauré un mode de calcul des allocations moins favorable, le gouvernement revient à la charge. Ce lundi, le ministre du Travail, du Plein-emploi et de l’Insertion, Olivier Dussopt, a détaillé les nouvelles règles qui s’appliqueront à partir du 1er février 2023. Lorsque le taux de chômage, tel que mesuré par l’Insee, passe en dessous de 9 %, la durée maximale d’allocation sera réduite de 25 %.

Fini le principe selon lequel un jour travaillé donne droit à un jour indemnisé. En période « verte » sur le marché du travail, le coefficient passera de 1 à 0,75, soit 18 mois de droits au maximum au lieu de 24 aujourd’hui, et 27 au lieu de 36 pour les plus de 55 ans. Ce calcul ne pourra pas aboutir à une indemnisation inférieure à six mois : les droits des demandeurs d’emploi ayant travaillé jusqu’à un semestre ne changent pas.

En revanche, le gouvernement prévoit deux types de « périodes rouges ». A supposer que le taux de chômage dépasse les 9 %, les demandeurs d’emploi ayant épuisé leurs allocations pourront recevoir un « complément de fin de droits »… Autre cas possible : une augmentation soudaine du taux de chômage de 0,8 point sur un trimestre. Mais si cette hausse ne se reproduit pas sur trois trimestres de suite, tout en restant inférieure à 9 %, alors le feu rouge repassera au vert et la durée d’indemnisation baissera à nouveau.

Les seniors, premières victimes

Le gouvernement l’avait un temps envisagé, mais il s’est finalement éloigné d’une modulation territoriale qui l’aurait rapproché du modèle d’indemnisation canadien, où les conditions d’éligibilité comme la durée d’indemnisation dépendent d’un taux de chômage régional.

Cela signifie que les chômeurs de l’Hérault (10,2 % de taux de chômage), des Ardennes (9,6 %) ou encore de la Seine Saint-Denis (10,3 %) qui pourraient bénéficier de conditions plus avantageuses de la « période rouge » sont logés à la même enseigne que ceux de l’Ain (5,5 %), du Cantal (4 %) ou du Bas-Rhin (6,3 %). Peu importe que certains bassins d’emploi soient plus sinistrés que d’autres et montrent que la seule motivation des chômeurs ne suffise pas à retrouver un travail.

Quant aux départements qui connaissent un taux de chômage très faible, seront-ils plus à même de voir les chômeurs les moins employables, les plus durablement enracinés dans le chômage, trouver un job ?

Pour autant, le gouvernement table sur ce durcissement pour inciter les chômeurs à reprendre au plus vite un emploi. « Dans la période que nous connaissons, 18 mois pour trouver un travail, c’est suffisant », a déclaré son porte-parole, Olivier Véran, sur Cnews.

Le ministre du Travail espère, quant à lui, que les nouvelles règles permettront de répondre aux tensions de recrutement et ainsi de créer 100 000 à 150 000 emplois supplémentaires dès 2023. Et quand les partenaires sociaux négocieront la convention d’assurance chômage qui s’appliquera à partir de 2024, « cette question de la contracyclicité devra être intégrée », pose-t-il. Il estime même que cette durée d’indemnisation mériterait à l’avenir d’être réduite de 40 % en cas de retour à 5 % de taux de chômage.

Nul doute que l’idée sera boudée par les syndicats, déjà très remontés contre le système transitoire retenu lundi et valable jusqu’à la fin 2023. Alors que le chômage concernait 7,3 % de la population active au troisième trimestre 2022, on est loin des 9 % qui justifieraient un retour aux règles qui prévalent aujourd’hui et dont l’impact n’a toujours pas été évalué…

Moins qu’une « modulation », « ce qui se prépare, c’est simplement une baisse d’indemnisation », décrypte le secrétaire confédéral de Force ouvrière, Michel Beaugas. Il dénonce un « scandale » et un changement de « contrat social ».

« C’est une nouvelle injustice qui frappe les travailleurs », critique aussi la CFDT dans un communiqué, rappelant que le gouvernement « s’était pourtant engagé à ne pas toucher au capital de droits » lors de la précédente réforme, appliquée depuis l’an dernier.

« Quelle est l’utilité de continuer à cotiser ? », interroge même le représentant de la CFE-CGC, Jean-François Foucard.

Pour le délégué de la CGT, Denis Gravouil, « les seniors vont payer le plus cher la réforme », puisque leurs chances de retrouver du travail sont moindres.

Peu de potentiel de retour à l’emploi

A la colère des organisations syndicales, s’ajoute un certain scepticisme d’autres observateurs.

« La situation du marché du travail justifie un durcissement des règles. L’augmentation de la durée d’indemnisation accroît un peu la durée du chômage », convient le conseiller à l’Institut Montaigne Bertrand Martinot. Toutefois, l’ex-directeur général de l’emploi et de la formation professionnelle (2008-2012), ayant officié sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, relativise l’impact de cette réforme.

D’une part, les nouvelles règles mettront du temps à produire leurs effets puisqu’elles toucheront uniquement les nouveaux entrants. D’autre part, elles ratent une partie de leur cible. « Ce n’est peut-être pas sur l’assurance chômage qu’il y a le plus de potentiel de retour à l’emploi, estime-t-il. Il faudrait plutôt se pencher sur les bénéficiaires du RSA, qui, aujourd’hui, ne sont pas assez aidés. » En juin, la Drees en recensait 1,87 million.

« La réforme ne touche qu’une petite partie des chômeurs », abonde Bruno Coquet, chercheur affilié à l’OFCE. Fin mars, seuls 45,5 % des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi (toutes catégories) étaient effectivement indemnisés. Et au troisième trimestre, 39,7 % travaillaient déjà, en activité réduite courte ou longue. Ces populations échappent donc au levier supposé de la baisse de la durée d’indemnisation sur leur activité de recherche d’emploi.

Quant aux demandeurs d’emploi qui seraient susceptibles de réactiver leur recherche d’emploi et de réagir au couperet de la fin des allocations, le risque est qu’ils prennent en réalité la place d’un chômeur « moins bien placé dans la file d’attente », car peu qualifié ou plus âgé, ajoute Bruno Coquet. Pour l’économiste, « rien ne permet d’établir un lien entre l’indemnisation du chômage et les difficultés de recrutement ». Il fait valoir qu’en Allemagne, malgré des règles assurantielles moins favorables, le taux d’emplois vacants reste supérieur à la moyenne européenne.

La seule cohérence de ce projet reste à ses yeux purement budgétaire. Selon les calculs de l’Unédic, réduire les droits d’un quart permettrait d’économiser de 4 à 5 milliards d’euros par an. « C’est considérable. Le gouvernement prend dans la poche des chômeurs sans pour autant, d’ailleurs, diminuer les cotisations de 25 % », poursuit l’économiste qui estime qu’on aurait tort de mettre uniquement l’accent sur la « casse sociale » et d’oublier la « casse économique » que cette réforme va provoquer.

« Il faut sortir de cette idée que l’assurance chômage est un poids pour l’entreprise. C’est tout le contraire, insiste-t-il. C’est un instrument économique, et non pas idéologique, qui doit être adapté à ses besoins. Voilà pourquoi il doit être paritaire, patronat et syndicats se mettant autour de la table pour savoir comment gérer au mieux les pics et les creux de production. Or, quand le gouvernement change les règles de calcul des allocations comme il vient de le faire pour des salariés en contrats courts, des secteurs en pâtissent. L’hôtellerie-restauration en est l’illustration typique. Lorsque les gens perdent leurs droits, ils partent chercher un boulot ailleurs et les difficultés de recrutement ne sont pas résolues. »

Des organisations patronales circonspectes
De leur côté, les organisations patronales saluent la simplicité de la modulation proposée. Le président de la commission relations au travail et politique de l’emploi du Medef, Hubert Mongon, juge « important d’envoyer un signal » aux demandeurs d’emploi en période faste.

Mais d’autres porte-parole patronaux demeurent malgré tout conscients des limites de ce coup de bâton. « La contracyclicité apporte une réponse partielle mais non suffisante », déclare Michel Picon, vice-président de l’Union des entreprises de proximité (U2P).

« Passé quatre mois, il devient très compliqué de trouver un emploi dans une période raisonnable », constate Eric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales à la CPME. Côté employeur, il admet volontiers le poids du « trou » dans le CV, mais aussi l’absence de « dispositif incitatif » à la reprise rapide d’un travail côté chômeurs.

Le représentant des petites et moyennes entreprises va jusqu’à reprendre l’exemple, également mis en avant côté syndical, du contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Réservé aux personnes ayant subi un licenciement économique dans une entreprise de moins de 1 000 salariés, ce dispositif prévoit un accompagnement intensif, ainsi qu’« une prime de reclassement » en cas de reprise d’un emploi durable avant la fin du dixième mois d’entrée dans le suivi.

Selon la Dares, le taux d’accès à l’emploi des personnes entrées en CSP mi-2018 atteint 60 % au bout de 18 mois, dépassant de 9 points celui des autres licenciés pour motif économique. De quoi, d’ailleurs, justifier leur exclusion des baisses de durée d’indemnisation annoncées lundi par le gouvernement, qui concernent aussi les marins-pêcheurs, dockers, intermittents du spectacle et chômeurs d’outre-mer.

Catherine Abou El Khair