L’aide sociale. L’action sociale

Alternatives économiques - RSA et prime d’activité dans le viseur du gouvernement

Juin 2018, par Info santé sécu social

ANNE EYDOUX
12/06/2018

Le gouvernement prépare une réforme des prestations sociales. Après avoir donné aux riches, il entend prendre aux pauvres. Il s’agit en quelque sorte de rééquilibrer la balance (le budget). Quels sont les arguments d’une telle réforme ?

Un modèle coûteux et inefficace ?
« On est tous d’accord pour dire que le système tel qu’il est ne fonctionne pas, qu’il coûte beaucoup trop cher au pays, et donc qu’il faut le transformer », affirmait il y a quelques jours Pacôme Rupin, député La République en marche.

Après avoir donné aux riches, le gouvernement entend prendre aux pauvres

Les dépenses de protection sociale se montent à 746 milliards en 2015. Ce sont principalement des prestations sociales, à hauteur de 701 milliards d’euros, ce qui correspond à 32 % du PIB. Les minima sociaux ciblés sur les plus pauvres en représentent une toute petite partie (environ 25 milliards d’euros pour les principaux minima sociaux, à peine plus d’un point de PIB). Il existe aussi de nombreuses prestations, plus ou moins ciblées : allocations logement, bourses étudiantes, etc. Mais le gros des dépenses, ce sont les prestations bénéficiant au plus grand nombre, la sécurité sociale : assurance maladie, retraites, allocations familiales notamment.

Le système est coûteux. Il est efficace. Dans un pays riche, c’est le prix de la lutte contre les inégalités et la pauvreté. Notre système socio-fiscal réduit les inégalités et la pauvreté. Les 10 % les plus riches gagnent vingt fois plus que les 10 % les plus pauvres, mais après impôts et redistributions ils ne gagnent plus « que » six fois plus. Le taux de pauvreté est d’environ 14 % après redistribution ; sans cette redistribution, il serait un peu supérieur à 20 %.

Le taux de pauvreté est d’environ 14 % après redistribution ; sans cette redistribution, il serait un peu supérieur à 20 %

Bien sûr, le système devrait être plus performant contre les inégalités et la pauvreté. Mais faut-il pour cela réduire les aides sociales ? Oui, si l’on en croit la cacophonie des déclarations gouvernementales.

Eléments de langage et cafouillages
Le 20 mai dernier, le ministre de l’Economie et des finances, Bruno Le Maire laissait entendre que pour réduire les dépenses publiques, il faudrait réduire les aides sociales, en particulier celles dont bénéficient les chômeurs. Il a suscité des protestations de plusieurs députés, y compris de la majorité. Après avoir exprimé son désaccord (ou plutôt sa « sensibilité différente »), le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanain estimait finalement le 29 qu’il y aurait « trop d’aides sociales en France ». Le 6 juin, les médias (reprenant Le Canard enchaîné) ont évoqué jusqu’à sept milliards d’économies. Le jour même, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, démentait tout plan d’économies sur les aides sociales, et proposait même une nouvelle aide forfaitaire à la garde d’enfants pour soutenir le retour à l’emploi des femmes les plus modestes.

Les éléments de langage et les cafouillages sont vraisemblablement destinés à préparer l’opinion à une réforme

Quelles seraient les aides sociales concernées ? Le 18 mai, un article du Monde de Sarah Belouezzane et Bertrand Bissuel citait une note interne de Bercy évoquant plusieurs pistes : désindexation de l’évolution des aides sociales par rapport aux prix, gel de prestations, ou encore renforcement de la conditionnalité de certains minima sociaux (exigence de démarches de recherche d’emploi, prise en compte plus large du patrimoine, etc.). En ligne de mire d’après le quotidien : l’allocation adultes handicapés (AAH), l’allocation personnalisée pour l’autonomie (APA) destinée aux personnes âgées dépendantes, les aides personnelles au logement (APL) notamment celles dont bénéficient les étudiants, et les bourses sur critères sociaux (BCS) dont bénéficient les étudiants issus de ménages modestes. Le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation de solidarité spécifique (ASS) réservée à des chômeurs en fin de droit, et l’allocation de soutien aux personnes âgées (ASPA) ou minimum vieillesse.

Aurélien Taché, député LRM du Val d’Oise, évoquait de son côté l’idée d’un « versement social unique » ayant vocation à remplacer des prestations existantes. Quant à Gérald Darmanain, il dénonçait à la fois les « trappes à inactivité »1 et le coût trop élevé de la prime d’activité destinée à des ménages actifs pauvres. Pourtant, cette prime d’activité avait été précisément conçue pour inciter à reprendre un emploi (ou à le conserver), donc pour lutter contre ces fameuses « trappes à inactivité ».

Finalement, le 10 juin, la ministre des Solidarités Agnès Buzyn semblait rentrer dans le rang, se disant prête à discuter de l’efficacité des aides sociales, y compris des minima sociaux, tout en jurant qu’il n’y aurait « pas de coupes budgétaires sur les plus pauvres ». On n’attend plus que le rapport du Comité d’experts Cap 22.

Aides légitimes et illégitimes
Les éléments de langage et les cafouillages sont vraisemblablement destinés à préparer l’opinion à une réforme. Celle-ci s’annonce difficile à justifier pour un gouvernement qui a jusqu’à présent surtout aidé les (très) riches (transformation de l’impôt sur la fortune, l’ISF, en impôt sur le patrimoine immobilier, droit à l’erreur auprès de l’administration fiscale, suppression de l’exit tax, etc.) et les entreprises (ordonnances travail, baisse progressive de l’impôt sur les sociétés, etc.). Après ces libéralités, le gouvernement, soucieux d’équilibre budgétaire, cherche à démontrer le bien-fondé d’une baisse des prestations sociales. Il s’agit d’éviter de répéter l’erreur de l’été dernier : le choix calamiteux de réduire de 5 euros par mois les APL au moment où était décidé l’allègement de l’ISF.

C’est le soutien aux actifs qui est visé. Et plus particulièrement le RSA et la prime d’activité

Chacun affirme donc haut et fort qu’il n’est pas question de s’attaquer aux aides sociales « légitimes ». Gérald Darmanin assure que les aides aux « gens cassés par la vie » – c’est ainsi qu’il désigne les personnes handicapées et les personnes âgées dépendantes – ne sont pas concernées par les coupes. Et l’Élysée de s’empresser de préciser que les allocations qui bénéficient aux personnes handicapées (AAH), aux personnes âgées dépendantes (ASPA) ou aux parents isolés (RSA majoré) ne sont pas touchées et devraient être revalorisées.

C’est donc le soutien aux actifs qui est visé. Et plus particulièrement le RSA et la prime d’activité. Gérald Darmanin pointe la montée en charge de cette dernière, dont le coût serait passé de 4 milliards à 6 milliards d’euros depuis sa mise en place début 2016. Quant à Édouard Philippe, il souligne la hausse importante du nombre de bénéficiaires du RSA ces dix dernières années.

Ces ministres ne précisent pas que la montée en charge du RSA a permis d’amortir la récession pour ceux qui en ont été les victimes, et que la prime d’activité a été mise en place en 2016 pour corriger un gros défaut du RSA activité : le non-recours, c’est-à-dire le fait que deux tiers des personnes qui y avaient droit ne le demandaient pas. Rien d’étonnant à ce que le nombre de bénéficiaires du RSA ait augmenté ces dix dernières années, et que la prime d’activité soit de plus en plus demandée. D’autant que les réformes du marché du travail qui visent à flexibiliser les contrats de travail et à faciliter les licenciements tendent à précariser l’emploi, alimentant le flux des précaires et des travailleurs pauvres.

Pour justifier les coupes dans les aides sociales il faut désigner celles et ceux qui ne les mériteraient pas. Ce sont donc les allocataires du RSA et les travailleurs pauvres qui touchent la prime d’activité. Leur tort : ne pas retrouver l’emploi qui les ferait sortir de la pauvreté. Le RSA et la prime d’activité sont alors accusés d’être insuffisamment efficaces et incitatifs à l’emploi. Mais est-ce bien le cas ?

La faute aux trappes et aux pauvres
Le mythe des trappes à inactivité s’invite depuis le début des années 1990 dans la préparation des réformes des prestations sociales. On pourrait multiplier les exemples. La dégressivité des allocations chômage avait été mise en place de 1992 à 2001 au nom de la lutte contre les trappes à chômage, pour inciter les chômeurs à rechercher plus activement un emploi. Le RSA a remplacé le revenu minimum d’insertion (RMI) et l’allocation de parent isolé (API) en 2009 pour inciter les allocataires à reprendre un emploi et pour permettre aux travailleurs pauvres de mieux vivre en conservant le leur. C’était en phase avec le slogan sarkozyste du « travailler plus pour gagner plus ».

L’argument des trappes à chômage ou à inactivité laisse penser que les chômeurs et les allocataires sont responsables de leur sort

L’argument des trappes à chômage ou à inactivité laisse penser que les chômeurs et les allocataires sont responsables de leur sort : ils devraient leur situation au fait qu’ils ne veulent pas vraiment travailler ; il faudrait donc (et il suffirait) de les inciter à le faire pour qu’ils acceptent un emploi. Si c’était le cas, on aurait dû observer un effet positif de la dégressivité des allocations ou de la mise en place du RSA sur les taux de retour à l’emploi. Il n’y en a pas eu2. Le problème est ailleurs : le nombre des emplois disponibles est très en deçà du nombre des personnes qui veulent travailler. Le problème, c’est l’insuffisance des emplois.

L’argument des trappes est alors une fiction commode, permettant de justifier l’absence de politique de création des emplois dont l’économie et la société ont besoin. Plutôt que de reconnaître que, depuis les années 1980, les politiques publiques ne sont pas à la hauteur de ce défi, les décideurs préfèrent désigner d’autres coupables : les chômeurs et les allocataires de minima sociaux.

Sauver notre modèle social
Bien évidemment, personne (ou presque) ne demande le démantèlement de la protection sociale. Un gouvernement qui entend couper dans la protection sociale, et dans les prestations sociales en particulier, ne peut le faire sans un solide argument. Le plus prisé est celui du sauvetage de notre modèle social. Face aux déficits des comptes sociaux, le remède proposé est toujours le même : ni création d’emplois ni consolidation des recettes de la protection sociale, mais baisse des dépenses et sanctions.

L’imagination ne fait jamais défaut lorsqu’il s’agit de réduire les prestations chômage ou les minima sociaux

L’imagination ne fait jamais défaut lorsqu’il s’agit de réduire les prestations chômage ou les minima sociaux, ou de pousser leurs bénéficiaires à travailler. On se souvient de Michel Charasse, ministre du Budget, évoquant 700 000 « faux chômeurs » en 1991, avant la mise en place du plan 900 000 chômeurs de longue durée qui allait en radier un certain nombre. En décembre 2017, juste avant la réforme de l’assurance chômage, la ministre du Travail Muriel Pénicaud qualifiait de « fraudeurs » les chômeurs qui n’effectuaient plus de recherches actives d’emploi, promettant des contrôles renforcés.

En 2011, alors que les effets du RSA apparaissaient décevants, Laurent Wauquiez faisant de « l’assistanat » un « cancer » de la société française. Quant au député Marc-Philippe Daubresse, il voulait imposer aux allocataires non pas un véritable emploi, mais un contrat de travail de sept heures par semaine, qu’ils ne pourraient refuser. Mieux encore, en 2016, le département du Haut-Rhin réinventait le travail forcé : conditionner le versement du RSA à un travail « bénévole » obligatoire – une proposition jugée illégale par le tribunal administratif de Strasbourg.

Un autre projet de société
C’est en invoquant les déséquilibres des comptes de la protection sociale que les réformateurs proposent de sanctionner les pauvres et les chômeurs. Or derrière tout équilibre comptable, il y a un projet de société. Le projet du gouvernement actuel est néolibéral : « libérer » les riches et les entreprises de leurs obligations vis-à-vis de la collectivité, comme s’ils ne devaient leur fortune qu’à leur talent. Et faire payer les pauvres, pour un malheur qu’ils ne devraient qu’à eux-mêmes. Ce projet de société ne peut refonder notre modèle social, il le défait.

Ce projet de société ne peut refonder notre modèle social, il le défait

Oui, il faut réformer les prestations sociales, mais pour qu’elles soient plus efficaces contre la pauvreté. Elles le seraient si l’assurance chômage et les minima sociaux étaient plus généreux. Oui, il faut réformer notre système socio-fiscal pour qu’il soit plus redistributif et performant contre les inégalités. Il le serait avec un impôt plus progressif. C’est un autre équilibre comptable qu’il nous faut viser, afin de dégager des recettes pour des investissements et des emplois à la hauteur des besoins sociaux et environnementaux, et de la préservation des ressources (et des recettes) de demain.

Anne Eydoux est chercheuse au CEET-Cnam et LISE.


1. L’expression suggère que certaines prestations pourraient décourager le travail, soit parce que leurs bénéficiaires pourraient en les percevant se passer de travailler, soit parce que reprendre une activité ne serait pas assez rémunérateur.
2. Sur l’allocation unique dégressive, voir Dormont B., Fougère D., Prieto A. (2001), « L’effet de l’allocation unique dégressive sur la reprise d’emploi », Economie et statistique, n° 343. Sur le RSA, voir A. Eydoux, B. Gomel, coord. (2014) Apprendre (de l’échec) du RSA, Wolters Kluwer, ed. Liaisons, CEE.