Réforme retraites 2023

Alternatives économiques - Retraites : l’obsession du travailler plus

Février 2023, par Info santé sécu social

LE 30/01/2023
Christian Chavagneux

Cette réforme des retraites commence à ressembler de plus en plus à un mauvais sketch de stand-up : ça dure trop longtemps et ça ne fait plus rire personne. Non pas que ses partisans ne tentent pas régulièrement d’attiser notre bonne humeur. Du côté du gouvernement, on nous promet qu’une réforme qui vise à économiser sur les dépenses de retraites et à faire travailler les gens deux ans de plus ne fera pas de perdants et contentera tout le monde.

Mais personne ne le croit et les électeurs semblent faire passer le message à leurs députés. Et les travaux d’expertise menés depuis l’annonce de la réforme démontent progressivement les arguments du gouvernement : il y a de gros perdants concentrés sur quelques années à partir de la génération 1961, les femmes sont perdantes, ceux qui ont dû commencer à travailler tôt sont perdants en devant travailler un an de plus, etc.

Et non, tout le monde ne touchera pas 1 200 euros de pension a minima : l’économiste Michael Zemmour, que tout le monde reconnaît aujourd’hui comme le meilleur spécialiste du sujet, estime qu’environ un quart des retraités auront une pension inférieure et les femmes seront beaucoup plus touchées que les hommes (environ 40 % des retraitées et 15 % des retraités seront en-dessous). Bref, les arguments avancés par le gouvernement sont détricotés au fur et à mesure qu’il met l’accent sur tel ou tel point censé mettre en avant la qualité et la justice de la réforme.

Alors, il faut aller chercher de nouvelles justifications ailleurs. Par exemple, vous ne vous en étiez pas rendu-compte, mais la réforme des retraites va aussi contribuer à diminuer notre déficit extérieur ! « En réaction au problème de productivité, tout ce qui permet de travailler plus comme la réforme des retraites va dans le bon sens », explique ainsi Olivier Redoules du think tank patronal Rexecode.

Comme les salariés gagnent peu en efficacité, pour produire plus, il faut travailler plus. Mais en quoi produire plus nous rend-il compétitif ? Mystère. Personne ne nous explique encore que travailler plus longtemps réduit l’inflation mais ça ne saurait tarder (après tout, plus il y a de main-d’œuvre, moins il y a de pression sur les salaires…) !

La France travaille déjà plus

En fait, le gouvernement a une double obsession : remettre en cause l’Etat social et accroître le temps de travail de chacun comme remède miracle à tous les problèmes économiques de la France. Les chômeurs ? Il faut diminuer les aides pour les remettre au boulot. Les pauvres ? Les aider mais leur imposer des heures de boulot. Les salariés ? Il faut travailler plus longtemps pour avoir le droit de partir en retraite. Ah si on travaillait plus longtemps comme la France irait mieux !

On pourrait déjà s’interroger sur un raisonnement économique qui semble considérer qu’il n’y a qu’un seul facteur de production, le travail, pour produire de la richesse. Et le capital ? Pourquoi les entreprises françaises modernisent-elles peu leur appareil productif ? Et la productivité ? Pourquoi les entreprises sont-elles peu innovantes ? Peut-être préfèrent-elles vivre de l’argent des aides publiques, c’est plus facile que de se transformer et d’innover.

Dans ces conditions, tous nos problèmes seront-ils vraiment résolus si nous travaillons plus ? Il se trouve que la France ne cesse de travailler plus longtemps : depuis le point bas de 1985, année durant laquelle le pays a travaillé 38,4 milliards d’heures, le nombre d’heures de travail a progressé en continu, pour se situer à 44,8 milliards d’heures en 2021. Or cela n’a pas été la baguette magique permettant de résoudre tous nos problèmes. Notamment parce que ce travail n’est pas suffisamment bien réparti.

On fait mine de découvrir avec la réforme que les seniors sont maltraités par les entreprises ; on oublie que le taux de chômage des 15-24 ans se situe à 19 % ; on oublie qu’en massacrant le pouvoir d’achat des fonctionnaires et en demandant aux entreprises à régimes spéciaux d’accroître la productivité et de réduire l’emploi, on met en tension notre Etat social en le privant de recettes.

Tout cela après que la parole gouvernementale nous a expliqué qu’il fallait une réforme structurelle et pas budgétaire, puis budgétaire pour trouver des ressources pour d’autres dépenses, puis budgétaires pour les retraites ! Le gouvernement met d’autant plus les gens dans la rue avec cette réforme et ses soi-disant justifications, que son hypocrisie éclate à tous les étages.

Et ça commence à se voir, y compris dans les rangs de Renaissance : au moment où débute l’examen en commission du projet de loi, il y a déjà 12 députés frondeurs dans le camp présidentiel qui refusent le texte actuel. Plus la mobilisation ira croissante, plus leur nombre pourrait augmenter.

Laurent Berger, le patron de la CFDT, l’a clairement dit : l’objectif premier de la mobilisation est de supprimer le report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. Si le gouvernement est sincère dans sa volonté de trouver des recettes supplémentaires pour le régime des retraites, il peut simplement réunir les syndicats pour trouver les moyens d’accroître l’emploi des seniors plutôt que de s’arcbouter pour aller dans le mur. Ce serait la voie d’un compromis honnête et bénéfique aux salariés et à l’économie. Ce serait la fin d’une mauvaise blague qui n’a duré que trop longtemps.

Christian Chavagneux