Les retraites

Alternatives économiques : Retraites : un projet de loi dangereux

Janvier 2020, par infosecusanté

Alternatives économiques : Retraites : un projet de loi dangereux

Henri Sterdyniak
13/01/2020


Article par article, l’économiste Henri Sterdyniak décrypte ce que contiennent les projets de loi de la réforme des retraites.

Le projet de loi sur la réforme des retraites a été communiqué aux organismes de Sécurité sociale, le jeudi 9 juillet. Samedi, le Premier ministre annonçait son intention de suspendre l’article 56 bis, l’âge pivot à 64 ans, tout en maintenant le reste du projet.
Deux points frappent à la lecture. L’objectif de l’équilibre financier est prégnant alors que la promesse initiale d’un niveau de retraite satisfaisant, bien que proclamé au départ, ne donne lieu à aucun engagement précis. Le système des retraites serait étatisé et centralisé. L’autonomie des régimes complémentaires disparaît complètement. Le projet marque un recul de la démocratie sociale. Il existe une forte contradiction entre la manière étatique et centralisée dont le projet a été conçu, et la proclamation que le système serait ensuite géré par les partenaires sociaux. Pourquoi ne pas leur avoir donné la main dès le début ?

Le projet de loi reprend les grandes lignes du rapport Delevoye de juillet 2019. La concertation n’a guère entraîné de modifications, sauf sur des points mineurs. Des grands principes sont souvent énoncés, sans que leur mise en application soit effectivement décidée. De nombreux points sont laissés à des ordonnances, donc au gouvernement, de sorte que le projet marque un nouveau recul de la démocratie parlementaire.

Le nouveau régime ne versera pas de pensions avant 2037. Le système actuel distribuera la totalité des pensions jusqu’à cette date (et versera des pensions hybrides jusqu’en 2065, puisque ceux qui auront une retraite 100 % régime universel auront commencé à travailler en 2022). Sachant que le ratio démographique, autrement dit le nombre de cotisants pour un retraité, devrait augmenter fortement jusqu’en 2037 et ralentir ensuite, c’est dans le système actuel que l’essentiel des économies devra être fait. Comme les carabiniers, le nouveau régime arrivera après la bataille. Or, l’organisation et le fonctionnement du système actuel durant la période de transition 2025-2037 sont entièrement laissés, par le projet de loi, aux ordonnances dont le contenu n’est pas précisé. Les régimes actuels perdraient toute autonomie et toute maîtrise de leurs dépenses et recettes. Ce n’est pas acceptable.

Le projet de loi comporte une loi organique et une loi ordinaire, les articles 1 à 60 organisent le nouveau système, les articles 56 bis, 60, 61, 62 portent sur la période de transition, l’article 64 sur l’épargne retraite.

La loi organique : quid des recettes ?

L’article 1 impose que le système universel de retraite (SUR) soit équilibré de manière prévisionnelle, en cumul sur les cinq prochaines années. Par exemple, en 2025, il devrait l’être sur la période 2025-2029.
Le solde du système de retraite ne serait pas corrigé de l’effet de la conjoncture. Dans le passé, en 2009-2013, son déficit était de l’ordre de 0,6 % du PIB en raison de la baisse des recettes induites par la baisse de l’emploi. Cela ne serait plus possible à l’avenir. Il n’est pas précisé comment ce déficit pourrait être corrigé à court terme, sans avoir des effets dépressifs sur l’activité. Il faudrait au minimum que l’Etat soit contraint de verser au SUR une subvention représentant les pertes de recettes dues au déficit conjoncturel (par exemple à l’écart entre le taux de chômage et un taux cible 7 % aujourd’hui, plus faible demain).
Le problème est que les recettes du système ne sont pas précisées, en particulier pour 2025. Que deviendront les cotisations de l’Etat, de la caisse nationale de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (CNRACL), les cotisations au-delà de trois plafonds de la Sécurité sociale (Pass), les subventions aux régimes spéciaux, les différents impôts dont bénéficie aujourd’hui la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), les ressources des régimes complémentaires ?
Enfin, les prévisions financières reposeront sur des prévisions forcément arbitraires. Faudra-t-il reprendre les prévisions officielles, en particulier quand celles-ci incorporent une forte baisse des effectifs du secteur public ?

L’article 2 étend dès 2022 le champ de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) aux régimes complémentaires obligatoires : Agirc-Arrco, Ircantec (retraite complémentaire des fonctionnaires), RAFP (retraite additionnelle de la fonction publique), indépendants, professions libérales. Ceci implique que l’Etat, autrement dit le gouvernement, prenne le pouvoir dans ces caisses au détriment des partenaires sociaux ou des organisations professionnelles.
On notera que ni la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), ni l’Unédic ne sont intégrés explicitement dans la Sécurité sociale, alors qu’ils devraient être excédentaires d’ici 2025. Il ne semble pas que le régime de la fonction publique y soit intégré.

Un système universel de retraites pas si universel

Dans le projet de loi ordinaire, l’article 1 énonce des principes généraux, comme : « La Nation affirme solennellement son attachement à un système universel de retraite qui, par son caractère obligatoire et le choix d’un financement par répartition, exprime la solidarité entre les générations, unies dans un pacte social ». Il reprend le principe : « Chaque euro cotisé ouvrant les mêmes droits pour tous dans les conditions définies par la loi. »

Toutefois, la notion de mêmes droits n’est pas précisée. Tient-elle compte de l’espérance de vie ? Elle oublie le rôle distributif de l’assurance sociale, qui doit corriger les inégalités issues du marché du travail.

Cet article fixe « un objectif de liberté de choix pour les assurés, leur permettant, sous réserve d’un âge minimum, de décider de leur date de départ à la retraite en fonction du montant de retraite », en oubliant que beaucoup de salariés, que les employeurs refusent d’embaucher ou de maintenir en emploi, n’ont guère le choix.
Il stipule également que : « La mise en place du système universel de retraite s’accompagne, dans le cadre d’une loi de programmation, de mécanismes permettant de garantir aux personnels enseignants une revalorisation de leur rémunération leur assurant le versement d’une retraite d’un montant équivalent à celle perçue par les fonctionnaires appartenant à des corps comparables de la fonction publique de l’Etat ». L’engagement est vague. Faut-il comprendre que les primes des enseignants vont passer de 10 à 40 % de leur traitement ?

L’article 2 stipule que le SUR s’applique à tous les actifs à partir du 1er janvier 2022, pour les assurés nés à compter du 1er janvier 2004 ; dès le 1er janvier 2025 seront concernés les assurés nés à compter du 1er janvier 1975. Les fonctionnaires seront affiliés au SUR (article 6), ainsi que les salariés des régimes spéciaux (article 7), à l’exception des marins dont le régime sera précisé par ordonnance.

Ajustement sur les pensions

L’article 8 précise que les cotisations donneront droit à des points en fonction d’une valeur d’acquisition (pour 1 euro cotisé combien un assuré gagne de points). Ces points ouvriront droit à une pension en fonction d’une valeur de service (pour 1 point combien s’élève la pension de retraite). L’article 9 énonce que : « La valeur d’acquisition et la valeur de service du point applicables au titre de l’année 2022 sont fixées, avant le 30 juin 2021, par une délibération du conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite universelle, à un niveau déterminé, au regard des projections de la situation financière des régimes de retraite légalement obligatoires établies par le comité d’expertise indépendant des retraites sur un horizon de quarante ans, de manière à garantir l’équilibre financier du système de retraite sans diminuer la part des pensions dans le produit intérieur brut ».

Il n’y a donc aucune garantie sur le niveau des pensions relativement à celui des salaires. L’ajustement doit se faire sur les pensions et non sur les ressources. Le texte ne reprend pas pour 2022 le taux de rendement de 5,5 % figurant dans le rapport Delevoye (100 euros cotisés donnent droit à 10 points qui correspondent à 5,50 euros de pension annuelle).

Sur le plan technique, remarquons qu’aucune retraite ne sera versée selon le nouveau régime avant 2037 (quand la génération 1975 commencera à partir à la retraite), que la part des pensions versées selon le nouveau régime n’augmentera que très lentement (elle ne représentera que le tiers des pensions en 2050), de sorte que la valeur du point de 2022 aura peu d’influence sur l’équilibre cumulé de 2022 à 2061.

« Ces valeurs sont revalorisées chaque année :
1° Avant le 1er janvier 2045, les deux taux de revalorisation sont fixés par une délibération du conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite universelle approuvée par décret ou, en l’absence de délibération ou en l’absence d’approbation de celle-ci, par un décret. Chacun de ces taux doit être supérieur à zéro et compris entre l’évolution annuelle des prix hors tabac et l’évolution annuelle du revenu moyen par tête.
2° A compter du 1er janvier 2045, ces deux taux sont égaux à l’évolution annuelle du revenu moyen par tête mentionnée au 1°, sauf si une délibération du conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite universelle approuvée par décret ou, sous réserve de l’absence de délibération ou de l’absence d’approbation de celle-ci, un décret détermine un taux différent. »
Le gouvernement aura finalement la main sur l’évolution de ces taux, puisqu’il validera ou non la proposition de la CNRU (Caisse nationale de retraite universelle). Le taux de rendement pourra baisser pendant 20 ans, sans aucune garantie avant 2045. Là encore, comme jusqu’en 2037, personne ne touchera de pension selon le SUR, l’évolution de ces deux taux ne pourra équilibrer le système à court terme et sera donc arbitraire.

L’âge pivot reste dans le bateau

L’article 10 introduit un âge dit « d’équilibre », avec une décote et une surcote de 5 % par an. Il supprime donc la prise en compte de la durée d’assurance. « L’âge d’équilibre sera fixé par une délibération du conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite universelle en tenant compte des projections financières du système. A défaut, l’âge d’équilibre évoluera à raison des deux tiers des gains d’espérance de vie à la retraite constatés. »
L’article 11 précise que les retraites déjà liquidées ne seront indexées que sur l’indice des prix hors tabac.

Aucune hausse de pouvoir d’achat des retraites déjà liquidées n’est envisagée. Il est précisé que le CNRU pourra proposer un autre taux de revalorisation mais uniquement « pour garantir le respect de la trajectoire financière pluriannuelle du SUR ».
L’article 13 stipule que les salaires ne seront couverts que jusqu’à trois fois le plafond de la Sécurité sociale (Pass) (soit 120 000 euros par an), avec un taux de cotisation de 28,12 % dont 2,81 points seront consacrés à la solidarité et n’ouvriront donc pas de droits. Les salaires au-dessus de trois Pass ne paieront que ces 2,81 points sans s’ouvrir de droit.

Ainsi, la réduction de huit à trois Pass des salaires couverts ouvre un champ à la capitalisation. C’est d’autant plus contestable que ce sont les cadres eux-mêmes qui avaient demandé que l’Agirc les couvre jusqu’à huit Pass. Cette baisse fragilise le financement du système de retraites pendant la période transitoire. C’est le type même de décision prise par la technocratie financière sans consultation des intéressés. Il n’est pas prévu a priori de hausse des taux de cotisation, ce qui, à terme, implique obligatoirement une baisse des pensions ou un report de l’âge de la retraite avec l’allongement de la durée de vie.

L’article 15 autorise le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures concernant le régime fiscal et social des dispositifs de retraite supplémentaire sur la partie des salaires allant de trois à huit Pass. Il s’agit de favoriser fiscalement la capitalisation sur la partie des salaires qui ne serait plus couverte par la répartition. Il ajoute : « L’ordonnance pourra également prévoir les conditions dans lesquelles est assuré le financement par les régimes de retraite complémentaire des droits constitués antérieurement au 1er janvier 2025 du fait de l’acquittement de cotisations excédant le niveau de celles dues en application de la présente loi. »
Ce sont 3,8 milliards d’euros que les régimes complémentaires devront financer chaque année en ayant perdu les cotisations correspondantes, selon les calculs de l’Agirc-Arrco. Le gouvernement n’explicite pas comment ces milliards seraient trouvés. Le risque est qu’ils soient prélevés sur les réserves des caisses.
L’article 16 prévoit que l’Etat prendra à sa charge des réductions de cotisations de certaines professions (artistes, mannequins, journalistes, etc.).
L’article 17 annonce que les primes des agents publics seront soumises à cotisations. Selon l’article 18, une ordonnance précisera les modalités de convergence en 15 ans des cotisations du public vers les taux du nouveau régime. Selonl’article 19, des ordonnances organiseront cette convergence en 20 ans pour les régimes spéciaux.
Il n’est pas clairement précisé si ces convergences s’appliqueront à tous ou uniquement aux personnes nées en 1975 ou après.

Selon l’article 20, les travailleurs indépendants cotiseront à 28,31 % jusqu’à un revenu égal au plafond de la sécurité sociale (près de 40 000 euros par an). Entre un et trois Pass (de 40 000 euros à 120 000 euros), leur taux de cotisation serait de 10,19 points ouvrant des droits (l’équivalent de la part salariale des salariés) et de 2,81 points de solidarité. Selon l’article 21, le gouvernement pourra prendre sur ordonnance des dispositions pour faire converger en 15 ans les taux actuels des régimes des professions libérales et pour réduire l’assiette de la CSG des non-salariés. Les cotisations des avocats et des agents d’assurances seraient prises en charge par des tiers non précisés. On s’écarte du régime universel.
La baisse de l’assiette de la CSG devrait être d’un tiers, sous prétexte de tenir compte du fait que pour les salariés l’assiette de la CSG porte sur le salaire et non sur le salaire « super-brut » (c’est-à-dire le salaire brut et les cotisations patronales).
Selon l’article 22, les non-salariés devront cotiser au minimum sur 450 Smic horaire par an (ce qui ne leur permettrait que de valider 0,75 année par an) ; ils pourront, sur option, cotiser sur 600 Smic horaire, ce qui leur permettrait de bénéficier du minimum de pension.
L’article 24 permet aux retraités en cumul emploi-retraite de continuer à accumuler des points. L’article 27 autorise les personnes employées à temps partiel de cotiser sur la base du taux plein.

Des carrières longues lésées

L’article 28 permet un départ à 60 ans pour les salariés à carrière longue (ayant travaillé une année avant 20 ans et ayant cotisé pendant 42 ans au moins), mais le taux plein ne leur sera accordé qu’à 62 ans. L’article 30 permet un départ à 62 ans à taux plein des salariés reconnus inaptes. L’article 32 étend aux fonctionnaires et aux salariés des régimes spéciaux le compte pénibilité ou C2P (Compte professionnel de prévention). Une année de travail pénible donne droit à 4 points ; 20 points sont réservés pour la reconversion professionnelle ; tout en sachant que 40 points donnent droit à une baisse de 1 an de l’âge de départ à la retraite et de l’âge du taux plein (dans la limite de 2 ans). Au mieux, les salariés pourront partir à 60 ans (avec décote), à 62 ans au taux plein.

Tous ces dispositifs prévus pour compenser la pénibilité ou les carrières longues sont très restrictifs par rapport aux dispositifs actuels. Ainsi, les travailleurs ayant des conditions de travail pénibles ne pourront pas partir avant 62 ans sans décote.
Les articles 36 et 37 maintiennent des conditions plus favorables pour les fonctionnaires occupant des emplois de « sécurité, de surveillance, de contrôle » et pour les militaires. Les articles 38 et 39 autorisent le gouvernement à organiser par ordonnance la disparition des départs précoces des emplois dits actifs et l’alignement des régimes spéciaux.

Une retraite minimale sous conditions

L’article 40 prévoit une retraite minimale de 85 % du Smic net. Toutefois, elle n’est attribuée que pour une liquidation au taux plein (donc à 64 ans). Elle suppose une durée de cotisation de 43 ans, autrement dit le concept de durée de carrière réapparaît ici, bien qu’il soit contraire à la logique du système à points. Ces 43 années augmenteraient selon l’espérance de vie. Une année est considérée comme cotisée si le montant des cotisations est supérieur à X fois la cotisation au Smic. « X » sera fixé par décret, mais devrait être de 600 si le gouvernement reprend la proposition du rapport Delevoye.

La petite amélioration par rapport à l’existant est que les années partiellement cotisées seront évaluées en mois et non plus en trimestre. Il faudra 50 heures au Smic dans l’année pour valider 1 mois au lieu de 150 heures pour valider 1 trimestre. S’y ajoute une majoration de durée d’assurance par enfant élevé (qui réapparaît ici), ainsi que les trimestres obtenus du fait du compte professionnel de prévention (C2P). La retraite minimale sera proratisée si la durée de 43 années n’est pas acquise.

Ce minimum devrait concerner toutes les personnes dont le salaire moyen durant la carrière a été inférieur à 1 750 euros. Toutefois, le niveau de 85 % du Smic n’a de sens que si le Smic suit à peu près le salaire moyen et que sa progression n’est pas réduite sous prétexte d’augmenter la prime d’activité. La garantie ne tient que pour le moment de départ à la retraite : ce minimum de retraite n’étant indexé que sur l’inflation pour les personnes ayant liquidé leur retraite, il dérivera par rapport au Smic. Au bout de 20 ans, une personne de 84 ans n’aura plus qu’une retraite de 70 % du Smic (si la hausse de pouvoir d’achat du Smic est de 1 % l’an).
L’article 41 garantit dès janvier 2022, une retraite de 1 000 euros par mois, portée progressivement à 85 % du Smic net en 2025, à partir de 62 ans et de 42 années de cotisations.

Le gain n’est sensible que pour les non-salariés dont le régime complémentaire était moins favorable que l’Arrco. Toutefois, la mesure ne sera pas rétroactive. Il restera beaucoup de très petites retraites parmi les agriculteurs.

Les chômeurs et les femmes y perdent

L’article 42 garantit l’attribution de points pour les périodes de congés maladie et congés maternité, de chômage. Pour les périodes de chômage, les points seront basés sur l’allocation de retour à l’emploi (ARE) ou l’allocation spécifique de solidarité (ASS) et non plus sur le salaire antérieur. Il n’y aura plus de points attribués pour les périodes de chômage non indemnisés. C’est un double recul par rapport à la situation actuelle. L’article 45 prévoit des points gratuits pour les périodes de congés parentaux, mais celles-ci ne seront validées qu’à 60 % du Smic, ce qui n’incite guère à en prendre.

Il n’y aura plus de points attribués pour les périodes de chômage non indemnisés

L’article 44 prévoit une majoration des points acquis de 5 % par enfant élevé (avec un supplément de 2 % pour les familles de trois enfants et plus). Ce supplément sera donné à l’un des parents au choix du couple au quatrième anniversaire de l’enfant.

Comme dans les couples avec enfants, c’est généralement la femme qui a subi des pertes de salaires en élevant les enfants, les parents devront souvent choisir entre une forte majoration pour le père (dont la carrière n’a pas été affectée) et une plus faible pour la mère, ce qui n’est pas acceptable. Il faut que la majoration soit forfaitaire (100 euros par enfant), attribuée à la mère.
L’article 46 réforme les pensions de réversion. Celles-ci devront assurer au conjoint survivant une pension égale à 70 % des pensions du couple. La pension sera versée à partir de 55 ans et non de 62 comme préconisé dans le rapport Delevoye. C’est la seule avancée du projet de loi. En revanche, une condition de non-remariage a été ajoutée. Les pensions de réversion seraient financées par les 2,81 points n’accordant pas de droits directs.
La question des conjointes divorcées sera traitée ultérieurement par ordonnance. Si effectivement elles n’ont plus droit à la réversion, il serait nécessaire que soient revalorisées les prestations compensatoires.

Une gouvernance sous contrôle

L’article 49 crée une Caisse nationale de retraite universelle (CNRU). Celle-ci sera gérée paritairement par les partenaires sociaux. Elle entrera en activité le 1er décembre 2020. Elle organisera selon les articles 50 et 53, la fusion-disparition des caisses existantes, tout en maintenant avec une certaine représentation des professions libérales, des avocats, des auteurs (articles 51 et 52). Un organisme sera mis en place pour gérer transitoirement, de 2021 à 2025, les pensions de la fonction publique (article 53). Tout ceci devra être précisé par ordonnance
Le projet crée une usine à gaz avec un organisme chargé de contrôler des caisses dont l’autonomie disparaîtra progressivement.

L’article 56 crée un Comité d’expertise indépendant des retraites (avec un président choisi par le président de la République, deux membres de la Cour des comptes, le directeur de l’Insee, trois personnes désignées respectivement par les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Cese). Le Conseil d’orientation des retraites (COR) est maintenu.

En réalité, le comité d’expertise des retraites reprend dans le projet les tâches actuelles du COR en matière de projections et d’études. Il joue un rôle central pour le pilotage du système, donnant son avis sur les propositions du CNRU. Si le COR demeure, il ne donne plus qu’un avis sur les travaux et propositions du comité d’expertise. La composition de ce comité donne une large place à la Cour des comptes et oublie les syndicats et l’administration sociale. C’est encore une fois le projet de remplacer la démocratie sociale et politique par la technocratie financière. C’est par ailleurs une construction bancale avec le COR affaibli, un comité d’expertise contestable et le CNRU (qui aura normalement son service d’études).
L’article 55 confie la gouvernance au CNRU : « Dans le cadre de projections sur quarante ans prévoyant l’équilibre du système universel de retraite sur cette période, en tenant compte des orientations pluriannuelles des finances publiques et de manière à ce que le solde cumulé du système universel de retraite apprécié sur la première période de cinq ans soit également positif ou nul, le conseil d’administration de la CNRU propose, en vue d’assurer cet équilibre, la fixation de l’âge d’ouverture des droits à la retraite, l’ajustement du coefficient de revalorisation annuelle des retraites, l’évolution de l’âge d’équilibre, les taux de revalorisation des valeurs d’acquisition et de service du point, les taux des cotisations d’assurance vieillesse » ; « Après avis du comité d’expertise indépendant, cette délibération est approuvée par décret » ; « Le CA du CNRU peut proposer au gouvernement des modifications des réglementations en matière de recettes et de dépenses. »
Il y a une forte contradiction entre la manière dont le projet de réforme a été conçu par le gouvernement et la technocratie, sans réelle concertation avec les syndicats et l’engagement de cet article 55 de laisser les partenaires sociaux piloter le système. Pourquoi ne pas avoir laissé le CNRU débattre et discuter de la réforme souhaitable au lieu de lui imposer une réforme ficelée ? Toutefois, en tout état de cause, le gouvernement aura bien sûr le dernier mot. On notera aussi que l’objectif assigné est avant tout d’assurer l’équilibre financier du système, les objectifs sociaux (le niveau de vie des retraités) étant oubliés.

L’article 57 prévoit que la CNRU incorpore dès 2022 la Cnav, la CNAVPL, la CNRACL. A partir de 2025, elle intégrera tous les régimes de base et versera des dotations aux régimes complémentaires qui devraient être égales aux ressources de ces régimes en l’absence de la réforme.
Le calcul de ces dotations deviendra vite difficilement gérable. On voit mal comment les régimes complémentaires s’équilibreront de 2025 à leur extinction (qui n’aura pas lieu avant 2065).

L’article 58 crée un Fonds de solidarité vieillesse universel (FSVu). Celui-ci financerait le minimum vieillesse, le minimum de pension, les points attribués au titre des congés maladie et du chômage, les majorations pour enfants. Il recevrait l’ensemble des ressources hors-cotisations dont bénéficient actuellement les caisses.
Bizarrement, la loi envisage comme recettes futures des ressources spécifiques qui disparaîtront dans un régime unique comme : la contribution tarifaire d’acheminement, les droits de plaidoirie, les droits de place à l’Opéra ou à la Comédie française. C’est un nouvel exemple de l’amateurisme des rédacteurs du texte.

L’article 59 crée un Fonds de réserves universel qui accumulera les éventuels futurs excédents des caisses de retraite.

Transition : le chèque en blanc

Comme nous l’avons déjà dit, le SUR ne versera pas de prestations selon le nouveau régime avant 2037 (soit dans 17 ans) et le système actuel en versera jusqu’en 2065, de sorte que la transition est primordiale. Le texte est peu explicite sur la gouvernance des retraites durant cette longue période durant laquelle le nouveau système par points s’ajoutera aux 42 existants. Jusqu’en 2027, toute mesure d’équilibrage financier portera obligatoirement sur l’ancien système.

L’article 62 indique que la CNRU entrera en activité le 1er décembre 2020, que le SUR entrera en vigueur dès 2022 pour la génération 2004, et à partir de 2025 pour la génération 1975, que les assiettes et taux de cotisation du SUR seront appliqués au 1er janvier 2025 pour l’ensemble des assurés.
L’article 60 autorise le gouvernement à prendre par ordonnance des dispositions pour garantir l’intégralité des droits acquis avant la création du SUR.

C’est un pur chèque en blanc. Aucune information n’est donnée sur la manière dont ces droits acquis seraient garantis. Ce n’est pas acceptable.
L’article 61 précise que les personnes nées à compter de 1975 ne seront plus affiliées à un régime de retraite complémentaire.
Il n’est pas précisé qui versera les droits que les individus ont déjà acquis entre les régimes existants et le CNRU.

« Les personnes nées avant le 1er janvier 1975 resteront affiliées aux régimes complémentaires préexistants. Elles seront redevables du taux de cotisation de 28,12 %. Une ordonnance prévoira la répartition de ce taux de cotisation entre régimes de retraite de base et complémentaires. Toute décision de ces régimes ayant un impact sur le montant des prestations ou des cotisations est transmise au ministre chargé de la Sécurité sociale, qui peut s’opposer à son application dès lors qu’elle est susceptible de remettre en cause les conditions générales de l’équilibre financier de ces régimes définies en LFSS. »
Ces régimes seront mis sous étroite tutelle ; la cohérence de leur fonctionnement sera totalement perdue. Ce paragraphe est a priori absurde pour la fonction publique. Comment les fonctionnaires pourraient cotiser à 28,12 % sur leurs primes et bénéficier, de ce fait, d’une pension basée sur les règles de la RAFP ? Le gouvernement n’a pas pu se sortir d’une contradiction : la promesse que les actifs nés avant 1975 ne seront pas affectés est incompatible avec l’uniformité des taux de cotisation après 2025.

Les navigants de l’aviation civile sont aujourd’hui les seuls à avoir préservé un régime complémentaire particulier par répartition, dont le fonctionnement selon cet article sera confirmé par ordonnance.

Le leurre de l’âge pivot

L’article 56 bis a été suspendu par le Premier ministre dans sa lettre aux syndicats samedi. Etrangement, c’était dès le départ un article bis, destiné donc à être supprimé.

Il introduit un âge pivot de 64 ans en 2027, en prévoyant à partir de 2022, une hausse de l’âge ouvrant le taux plein (actuellement de 62 ans) de 4 mois par an et une baisse de 4 mois par an de l’âge d’annulation de la décote (actuellement de 67 ans). Toutefois, il prévoyait déjà que cette disposition pourrait être supprimée si le CA du CNRU faisait d’autres propositions assurant l’équilibre financier du système en 2027. Répondant à l’appel de la CFDT, le Edouard Philippe a décidé de confier à une conférence de financement la tâche de lui faire d’autres propositions pour équilibrer financièrement le système en 2027, en précisant qu’il n’était pas question de baisser les retraites ou d’augmenter le coût du travail.

Du point de vue politique, l’opération est un leurre. L’introduction, puis le retrait, d’une hausse rapide de l’âge du taux plein permet de prétendre avoir accepté un compromis, de donner une victoire facile aux syndicats réformistes tout en maintenant l’essentiel : le passage à un système à cotisations définies, contrôlé par l’Etat. Compte tenu des contraintes imposées par le Premier ministre et du refus du Medef de toutes hausses des cotisations, les partenaires sociaux ne pourront pas s’entendre sur une autre solution que le report de l’âge de la retraite.
Par ailleurs, la prévision en 2021 de l’équilibre financier en 2027 sera plus que problématique. Comment tenir compte de l’évolution des taux de cotisations de l’Etat, de la CNRACL, des cotisations des plus hauts salaires, des subventions publiques, des ressources spécifiques des régimes complémentaires, de la part de la CSG qui ne sera plus nécessaire pour financer la Cades, des transferts possibles de l’Unédic.

En réalité, du point de vue économique, il est mensonger de faire croire que le système des retraites serait en déséquilibre important en 2017. Selon la projection du COR de novembre 2019 les dépenses de retraites en 2027 seront inférieures à 14 % du PIB, de sorte qu’aucun rééquilibrage n’est vraiment nécessaire.
Le déficit annoncé de l’ordre de 19 milliards d’euros est dû à la baisse des ressources du système, soit pour 11 milliards à l’hypothèse de fortes baisses des effectifs publics, à la stagnation du point d’indice de la fonction publique, pour 2 milliards à la non-compensation des exonérations de cotisations sociales, pour 2 milliards à la baisse des transferts de l’Unédic. En même temps, l’Unédic devrait avoir un excédent de l’ordre de 12 milliards d’euros et 18 milliards seront disponibles à partager entre la retraite et la dépendance puisque la dette sociale aura été remboursée.

Enfin, et ce n’est pas le moindre, l’article 64 ratifie les ordonnances prises du fait de la loi Pacte, afin « de renforcer l’attractivité de l’épargne retraite ». Il précise que « le développement de cette épargne de long terme procurera aux entreprises davantage de financements en fonds propres pour accompagner leur croissance et financer l’innovation ».
Ceci passe par « l’assouplissement des modalités de sortie en rente ou en capital et l’ouverture de tous les produits d’épargne retraite aux assureurs, aux gestionnaires d’actifs et aux fonds de retraite professionnelle supplémentaire ». Les bénéficiaires du méfait (la dégradation du système public de retraites) sont ainsi clairement désignés.

Henri Sterdyniak est économiste à l’OFCE et membre des Economistes atterrés