Le chômage

Alternatives économiques - Retraites : un régime universel… façon puzzle !

Juillet 2019, par Info santé sécu social

19 juillet 2019

Il faut reconnaître à Jean-Paul Delevoye, haut commissaire à la réforme des retraites un talent devenu rare dans le personnel politique contemporain : celui de la synthèse. Son rapport, modestement titré « préconisations pour un système universel de retraite », 132 pages, plus 107 d’annexes dont 6 de glossaire, est un modèle de clarté. Avec juste ce qu’il faut d’emphase pour habiller la sècheresse du sujet : rappel des idéaux des créateurs de la sécurité sociale en 1945, et ambition pour l’avenir.

Rien ne manque. Jean-Paul Delevoye nous « invite à partager les principes fondateurs du système universel de retraite tel que je le conçois à l’issue des travaux et des nombreux échanges que j’ai réalisés. Cette proposition de système universel veut contribuer à la construction de la protection sociale du XXIe siècle ». Qu’en termes choisis ces choses là sont dites. Et avec modestie, en plus, ce qui nous rafraîchit bien, en ces temps où le péremptoire l’emporte souvent sur la raisonnement.

Myriade de cotisations
L’exercice est redoutable : fondre les 42 régimes de retraite, depuis celui des salariés du privé (déjà divisé en deux, l’assurance de base – Cnav – et les complémentaires Agirc-Arrco) à celui des notaires ou de la Comédie française. Place donc à un « système universel, par répartition, en points », qui garantira la promesse du candidat Macron à la présidentielle : « un euro cotisé donnera droit à la même pension ».

Mais au fait tout le monde cotisera-t-il autant ? Certes pas. Pour les salariés ce sera 28,12%, dont 60% à la charge des employeurs et 40% pour les salariés, comme actuellement. Pour les hauts cadres, 2,80% au-dessus de 120 000 euros et pour le reste, ils verront avec leurs employeurs la constitution d’une retraite par capitalisation supplémentaire. Une sorte de régime spécial pour riches. Pour les contractuels du secteur public qui cotisent aujourd’hui à 24%, les 28,12% ne seront atteints qu’au terme d’une période de transition de quinze ans.

On peine à comprendre le pourquoi d’un système qui serait plus dur pour les revenus modestes, au motif de la « préservation de l’équilibre économique des indépendants », comme le dit le rapport

Les fonctionnaires connaîtront un sort encore différent : le nouveau système prendra (enfin) en considération l’entièreté de leurs primes, qui représentent environ 20% de leur revenus en moyenne. Mais pour éviter un choc sur le salaire net d’une hausse brutale des cotisations, « les employeurs publics prendront ainsi transitoirement en charge une part plus importante des cotisations que celle prévue en cible. » A noter que les enseignants (900 000 personnes) apparaissent toujours comme les dindons de la réforme : dépourvus de primes (ils en perçoivent en moyenne très peu), leurs pensions n’augmenteront pas, voire baisseront …

Pour les indépendants, le même taux de 28,12% sera appliqué, mais sur les 40 000 premiers euros de revenus seulement. Au-delà, et jusqu’à 12000 euros, ce sera 12,93% ; puis 2,80%, comme les cadres supérieurs. On peine à comprendre le pourquoi d’un système qui serait plus dur pour les revenus modestes, au motif de la « préservation de l’équilibre économique des indépendants », comme le dit le rapport. Qui mentionne une troisième catégorie : les très petits revenus des micro entrepreneurs qui devront cotiser sur 600 heures de Smic par an pour obtenir à la fin de leur vie laborieuse, le minimum de retraite (1000 euros).

Si l’objectif de convergence des cotisations est affirmé, son échéance est remise à quinze, voire à 20 ans

Un sort que ne connaîtront pas les notaires, puisque les professions libérales apparaissent comme un véritable un trou noir des recommandations de Jean-Paul Delevoye. Si l’objectif de convergence des cotisations est affirmé, son échéance est remise à quinze, voire à 20 ans, et ce d’autant plus que certains régimes, dont celui des avocats, pourront utiliser leurs imposantes réserves financières afin de financer un délai long avant de rejoindre le sort commun des Français. Certains métiers (artistes, journalistes, marins) qui bénéficient aujourd’hui d’une réduction d’assiette pour leurs cotisations devraient obtenir la perpétuation de ce privilège sous forme de points supplémentaires payés par le budget de l’Etat. Quant aux médecins conventionnés, une bonne partie de leurs cotisations retraites pourront toujours être prises en charge par l’assurance maladie…

Une décote déjà en vigueur
Mais du moins tout le monde partira au même âge, soit 64 ans ? Les confrères ont beaucoup écrit sur la nouveauté que constituerait un « âge d’équilibre à 64 ans », promis pour 2025, avec une décote avant et une surcote après. En fait, la révolution est dérisoire pour les salariés du privé (16 millions de personnes, quand même), puisque l’Agirc-Arrco a déjà repoussé d’un an l’âge du taux plein pour ceux qui sont nés après le 1erjanvier1957…

L’Agirc-Arrco a déjà repoussé d’un an l’âge du taux plein pour ceux qui sont nés après le 1erjanvier1957

Néanmoins certains échapperont à la punition : les militaires (depuis la défaite de Sedan en 1870, on évite les vieux soldats), pourront faire valoir leurs droits après 17 années de service, les policiers (tous ne sont pas affectés au maintien de l’ordre mais après les gilets jaunes, pas question de les fâcher), les gardiens de prison et les contrôleurs aériens à 52 ans pour les policiers nationaux, et 57 ans pour les douaniers, les sapeurs pompiers professionnels et les policiers municipaux.

Pour les autres catégories du secteur public « pour lesquelles il existe des fonctions comparables dans le secteur privé », comme les agents de la SNCF, d’EDF ou des hôpitaux, ce sera donc le lot commun du privé ; de façon progressive par un allongement de 4 mois par an de la vie au travail. Il faudra donc attendre la génération née en 1982 pour voir l’extinction effective des « régimes spéciaux ». A moins que… le gouvernement fasse le choix (indiqué dans une note de bas de page) d’appliquer la fin des « privilèges » aux nouveaux entrants dans le métier. Un précédent y pousserait : celui de la fermeture du statut des cheminots à partir de 2021, institué par la réforme de la SNCF menée par Elisabeth Borne.

Il y aura donc dans le futur et à moyen terme bien des combinaisons de cotisations et de statuts reproduisant peu ou prou les si décriés 42 régimes particuliers

Dans 10, 15 ou 40 ans, quoiqu’il en soit, ces futurs retraités pourront se présenter au guichet des handicapés et accidentés du travail (avec un taux d’incapacité de 50%) pour partir à 55 ou 57 ans, ou postuler à un départ à 60 ans dans le dispositif « carrières longues » pour ceux et celles qui auront commencé à bosser avant 20 ans, ou encore acquérir des « points de pénibilité » en fonction d’une négociation qui est loin d’avoir commencé !

Il y aura donc dans le futur et à moyen terme bien des combinaisons de cotisations et de statuts reproduisant peu ou prou les si décriés 42 régimes particuliers, et à bien lire le rapport on a l’impression que le haut commissaire a juste réussi, et c’est déjà un exploit, à poser un cadre conceptuel qui transforme un bric-à-brac institutionnel en puzzle dont certaines pièces échappent toujours à la vue d’ensemble. C’est que la vie, l’économie, l’histoire sociale, le clientélisme politique, c’est compliqué, et qu’aucune baguette magique ne permet de résoudre complètement ce genre de problème. La nuit, Jean-Paul Delevoye doit se dire que l’universalité est un combat perpétuel.

Hervé Nathan, journaliste