Les retraites

Attac - Pour nos retraites / la vie plutôt que la bourse

Février 2020, par Info santé sécu social

Notes et rapports, lundi 24 février 2020, par Attac France

Une solidarité sociale et écologique intergénerationnelle pour unir nos luttes

On sait désormais ce qui attend les futur.e.s retraité.e.s si le projet actuel de contre-réforme n’est pas retiré : une triple peine pour leurs conditions de vie. Travailler de plus en plus longtemps sera la première peine. La deuxième sera de subir des pensions de retraites réduites pour l’immense majorité d’entre nous. Enfin, la troisième peine réside dans le fait que celles et ceux qui auraient les moyens financiers de compléter ces retraites rabougries, en plaçant leur épargne dans la capitalisation, seraient soumis au risque de perdre très gros en cas de crise financière : le système par points est déjà des plus incertains, personne ne pouvant évaluer à l’avance ses pensions futures, mais c’est encore pire quand on joue une partie de sa retraite en bourse.

Il reste enfin une dernière peine, trop souvent oubliée, de nature écologique. Elle est peut-être la plus grave à terme : ce projet devrait aggraver la crise écologique et climatique et contribuer à dégrader la vie des retraité.e.s (et des autres) dans les décennies à venir. Pour trois raisons.

Il reste enfin une dernière peine, trop souvent oubliée, de nature écologique. Elle est peut-être la plus grave à terme : ce projet devrait aggraver la crise écologique et climatique et contribuer à dégrader la vie des retraité.e.s (et des autres) dans les décennies à venir. Pour trois raisons.

1. Le culte de la croissance et des gains de productivité ne peut qu’aggraver le désastre écologique

L’équilibre financier du système – dont on sait par ailleurs qu’il n’est pas en péril et que des solutions simples de partage des richesses peuvent l’assurer – repose, selon le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) sur des hypothèses de poursuite à l’infini de la croissance économique et des gains de productivité. Dans l’hypothèse d’une croissance moyenne du Produit Intérieur Brut (PIB) de « seulement » 1,5% par an, on obtient en 50 ans un doublement du PIB et même un peu plus (+ 111%). Un gâteau deux fois plus gros ! Cela devrait, nous dit-on, rendre plus facile un partage équitable des parts du gâteau. Et donc le financement des retraites. Mais ce n’est que pure folie. À force de grossir, le gâteau en question, avec son cortège de dommages collatéraux, va devenir de plus en plus toxique. On connaît désormais l’impact désastreux de la croissance des dernières décennies sur la nature : réchauffement climatique, montée des eaux, phénomènes climatiques extrêmes, effondrement de la biodiversité, épuisement des ressources naturelles extraites du sous-sol, pollutions de l’air, de l’eau, des océans et des sols, etc.

Pour tenir l’objectif d’un réchauffement limité à 1,5°C, il est nécessaire, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), de faire décroître les émissions mondiales de 7,6 % par an entre 2020 et 2030. De tels objectifs, ramenés
à la France, sont impossibles à tenir si l’on suit les scénarios de croissance du COR. Ces scénarios sont climaticides. Les avocats d’une « croissance verte » sont dans le déni : aucun scénario de poursuite indéfinie de la croissance, même faible, n’est compatible préservation de la biodiversité. Des démonstrations solides de cette incompatibilité existent.
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L’équilibre financier du système de répartition à long terme ne peut pas reposer sur le culte de la croissance. Il doit au contraire se fonder sur une autre répartition des richesses économiques, tenant compte d’un impératif d’égalité dans le pouvoir de vivre parmi les générations actuelles et futures.

2. Travailler toujours plus et plus longtemps ne peut qu’aggraver le désastre écologique

C’est un objectif majeur du projet : le recul de l’âge de départ à la retraite. Or, travailler plus, et plus longtemps, n’a pas seulement des effets très négatifs sur la vie, la santé, la participation à la société, la prévalence du chômage, etc. Cet allongement de la vie au travail peut également être source de dégradation de l’environnement naturel et des écosystèmes, dont le climat.

Cela s’explique par le culte de la croissance à perpétuité : s’il faut travailler plus,c’est pour produire plus et consommer plus, dans un cercle vicieux du « toujours plus » qui s’accompagne de l’explosion des prélèvements sur la nature et des rejets et pollutions associés. Mais ce n’est pas le seul facteur. Les analyses comparatives internationales montrent que les pays où la durée annuelle du travail, est moindre ont des empreintes écologiques plus légères, même à revenu moyen identique. Disposer de plus de temps hors travail est par exemple favorable à des activités plus sobres en énergie (et souvent moins coûteuses) : passer à des modes de transport moins intensifs en énergie mais plus gourmands en temps (marche, vélo, transports publics plutôt que véhicule privé, train plutôt que l’avion), jardiner, cuisiner, etc.

3. Un projet qui encourage la capitalisation encourage les investissements dans les énergies fossiles

En voulant réduire les ressources de notre régime de retraite, le gouvernement prépare une baisse presque généralisée des pensions. Celle-ci conduirait nécessairement une part des cotisants actuels, les plus solvables, à se tourner vers des produits d’épargne-retraite (PER) pour essayer de « sécuriser » un revenu ou un capital futur. Les gestionnaires d’actifs, les assurances, les banques ont d’ailleurs publiquement manifesté leur intérêt. On ne manque pas d’études qui montrent que ces investisseurs, et plus généralement le système financier, continuent de « financer le monde tel qu’il est », à un rythme de croissance incompatible avec le combat contre le réchauffement climatique. Ils multiplient les déclarations publiques sur le « verdissement » de leurs activités, mais dans les faits, rien ne change véritablement. Voici un tour d’horizon de ces acteurs financiers (assureurs ou gestionnaires d’actifs) qui font de l’épargne-retraite :

• Les plus grands fonds de pension du monde n’ont investi en 2018 qu’environ 1% de leur portefeuille dans des solutions à faible intensité carbone, soit environ 100 milliards de dollars. A titre de comparaison, le rapport de la New Climate Economy8 évalue à 90 000 milliards de dollars les investissements nécessaires dans les technologies à faible intensité carbone d’ici à 2030.

Seul un quart des fonds de pension mesurent et déclarent leurs investissements à faible intensité carbone, et seuls 20% des fonds de pension évalués ont fixé un objectif ou une politique en ce sens. En France, le Fonds de Réserve pour les Retraites (FRR), établissement public dont la mission est d’investir au nom de la collectivité les sommes que lui confient les pouvoirs publics en vue de participer au financement des retraites, détenait en 2017 encore plus de 2 milliards d’euros en actions et en obligations au charbon, au pétrole et au gaz (sur 36 milliards d’actifs).

• À peine un tiers des 80 plus grands assureurs mondiaux interrogés en 2018 affirment que leur approche de l’investissement est respectueuse du climat10. Seuls 34% d’entre eux ont introduit des objectifs en ce sens tandis que 41 % n’ont même pas pris en compte la question climatique et que 25 % ont à peine commencé à s’en soucier.
Selon ce rapport, ces assureurs ont alloué en moyenne environ 1% du total de leurs actifs à des investissements à faible intensité carbone

• Les gestionnaires d’actifs qui gèrent pour autrui une grande part de l’épargne-retraite mondiale sont également des investisseurs massifs dans les énergies fossiles. Une étude du Guardian, publiée en octobre 2019, portant sur les investissements dans les énergies fossiles des « Big Three », les gestionnaires d’actifs BlackRock, Vanguard et State Street, montre qu’ils ont accumulé près de 300 milliards de dollars d’investissements dans les énergies fossiles : à travers 1712 fonds, Vanguard détient 161 milliards de dollars, BlackRock, 87 milliards et State Street, 38 milliards. Les réserves de charbon, pétrole et gaz des entreprises dont une part du capital est détenue par ces trois fonds d’investissement ont augmenté de 34,8% depuis 2016, faisant d’eux les plus importants investisseurs de la planète dans les énergies fossiles. Soit un stock potentiel d’émissions de gaz à effet de serre qui a augmenté depuis l’Accord de Paris, passant de 10,6 gigatonnes de CO2 à 14,3 gigatonnes. BlackRock est ainsi un actionnaire important de Total, avec près de 6% de son capital. Nul doute que les gestionnaires d’actifs français les mieux positionnés sur le marché de l’épargne-retraite (Amundi, Natixis IM, BNP Paribas AM, Crédit Mutuel-CIC IM) sont également fortement investis dans le secteur des énergies fossiles, comme le sont les banques françaises dont ils émanent le plus souvent. En effet, « en 2018, les émissions de gaz à effet de serre issues des activités de financement des quatre principales banques françaises – BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale et BPCE – dans le secteurNdes énergies fossiles ont atteint plus de 2 milliards de tonnes équivalent CO2, soit 4,5 fois les émissions de la France ».

Lancés en octobre 2019, les nouveaux plans d’épargne retraite promus par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, sont selon lui « le plus grand succès aujourd’hui que nous ayons obtenu en termes de création de produits financiers » (84 000 PER entre octobre 2019 et le 31 décembre 2019). Combien encore dans les années à venir avec ce projet de contreréforme des retraites ? Ce sont autant de PER qui vont alimenter cette finance climaticide.

Conclusion : la dette sociale et la dette écologique sont liées

Le système des retraites par répartition, fondé sur la solidarité entre les générations, repose sur la reconnaissance d’une dette sociale des générations actives vis-à-vis des générations à la retraite. Les générations anciennes ont contribué à l’édification d’un monde, d’une société de « richesses » dont héritent les suivantes, appelées à cotiser avant de bénéficier de la retraite à leur tour. Le gouvernement français a décidé de fracturer ce système solidaire pour en extraire une manne à disposition des fonds privés d’épargne-retraite. Et dans le même temps, orienter à la baisse le montant des retraites futures.

Nos raisons de résister à cette démolition sociale s’affaibliraient en ignorant la dette écologique. Le système actuel a été conçu pendant les Trente Glorieuses, dans un contexte où le « progrès » est devenu une norme historique, appuyée sur les croyances en la possibilité d’une croissance économique infinie, d’un « progrès » technique salvateur, d’une « modernisation » à marche forcée. La solidarité des actifs vers les retraités traduisait ce progrès nécessaire et non interrogé.

Plus d’un demi-siècle plus tard, ces illusions s’effondrent. Les générations futures de cette époque sont là. Elles sont confrontées à des régressions sociales et politiques, à des catastrophes écologiques, à une guerre au vivant. Ces régressions ne tiennent pas seulement à la violence des politiques néolibérales en cours. Elles résultent aussi de choix industriels, agricoles, énergétiques, consuméristes qui furent le pendant des droits sociaux obtenus dans l’après-guerre. L’aspiration à la justice et la nécessité d’une autre répartition des richesses ne sont pas seulement une affaire de transferts monétaires entre classes sociales ou classes d’âge. La dette écologique ne peut être compensée ou liquidée. Elle est un appel à une solidarité fondée sur le respect des limites de la Terre. C’est pourquoi, les projections comptables pour les retraites, en ignorant les scénarios du réchauffement climatique et de la réduction de la biodiversité ou tout simplement les désastres présents, tiennent du déni de la catastrophe écologique. La limite des 1,5°C de réchauffement climatique à l’horizon 2100 sera certainement dépassée dans les années 2030. De même, fixer le montant total des retraites à 14% du PIB, outre son ineptie économique et humaine, revient encore et surtout à faire du PIB et de la croissance économique la condition de la solidarité. Avaliser cela, quel que soit d’ailleurs le pourcentage attribué, fût-il élevé, est un déni du réel, une réduction de la solidarité entre générations, un massacre social programmé des générations « futures ».

Dette écologique et dette sociale sont des rocs, attaqués pour être convertis en actifs monétaires privés. Ils ne pourront résister que de nos luttes, mais il faut les associer étroitement dans nos projets alternatifs.