Le droit à la contraception et à l’IVG

Libération - Avortement : un pas en arrière

Février 2021, par Info santé sécu social

Le dépôt de quelque 400 amendeme de loi visant à autoriser l’IVG jusqu’à quatorze semaines de grossesse. Un camouflet pour les soignants et les associations qui souhaitent aligner les pratiques médicales sur les besoins sociaux et sur l’évolution des mentalités

Par Ghada Hatem, Gynécologue obstétricienne, elle a fondé en 2016 la Maison des femmes à Saint-Denis

La proposition de loi visant à autoriser l’avortement jusqu’à quatorze semaines de grossesse devait poursuivre son chemin au Parlement et être examinée une seconde fois jeudi. La droite en a décidé autrement, en déposant quelque 400 amendements volontairement i guments avancés laissent rêveurs : il faut, entend-on, inscrire (encore !) cette décision dans un temps long. La sénatrice PS Laurence Rossignol avait déjà fait adopter l’allongement du délai pour avorter à l’Assemblée en juin pour les femmes et ne joue pas en leur faveur.

On lit aussi qu’il faudrait pouvoir concilier le droit des femmes avec le droit à la vie.La vie de qui ? Il nous semble que c’est surtout le droit des femmes à vivre leur vie et à disposer de leur corps qui leur est dénié. Il s’agissait pourtant d’une loi transpartisane, et le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), sollicité par le ministre de la Santé, Olivier Véran, s’y était montré favorable. Cette grossière manœuvre est un camouflet pour les acteurs de terrain, soignants et associations, qui accompagnent les femmes tous les jours, reçoivent leurs demandes et tentent de répondreà leurs besoins.

Gynécologues, généralistes, sages-femmes, psychologues, psychiatres, conseillères conjugales ou assistantes sociales, nous prenons le temps, souvent en urgence du fait des délais légaux, de comprendre leur situation, de leur présenter toutes les options et de les aider à prendre la moins mauvaise décision, la leur.

Cet allongement des délais que nous sollicitons depuis de nombreuses années n’est pas, comme le laissent entendre les opposants à l’IVG, la porte ouverte à tous les excès. Il n’est qu’une possibilité donnée aux femmes qui, pour des raisons particulières, n’ont pu accéder à une IVG plus tôt : déserts médicaux, violences conjugales, viols, incestes, parents maltraitants, diagnostic tardif…

Une femme qui est décidée à avorter n’attendra jamais la dernière minute et prendra tous les risques pour y parvenir. Simone Veil en était parfaitement consciente en 1975, et il serait malhonnête de laisser entendre que ces nouvelles dispositions dénatureraient l’esprit de sa loi. On nous opposera la possibilité d’avorter après quatorze semaines d’aménorrhée pour motif « psychosocial ». L’entrée dans ce parcours, dont les modalités sont plus administratives que réellement médicales, impose souvent de laisser les patientes dans la détresse et l’incertitude pendant de longues semaines. Et lorsque la précarité économique est au rendez-vous, impossible d’avorter dans les pays européens où les lois sont plus favorables aux femmes, et où ce fameux « droit à la vie » n’a manifestement pas la même signification.
Les équipes qui travaillent dans les centres de planification médicale ou dans les centres de santé sont rompues à cette prise en charge. Elles savent évaluer l’urgence et accompagner l’ambivalence. Elles ont pour habitude de discuter collégialement toutes les situations complexes.
Elles ont la maîtrise technque des gestes, qui ne sont pas plus dangereux à quatorze semaines de grossesse qu’à douze, et sont volontaires pour les réaliser. Pourquoi ne pas leur faire confiance et les laisser gérer ces situations particulières, qu’elles connaissent souvent bien mieux que les spécialistes des maladies fœtales ou que certains parlementaires ?

Le slogan du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (Mlac, créé en 1973) n’a pas pris une ride : « C’est tout de même plus chouette de vivre uand on est désiré ! » La loi doit aligner les pratiques médicales sur les besoins sociaux et sur l’évolution des mentalités. Il est désormais plus qu’urgent que le gouvernement se saisisse enfin de cette proposition de loi et l’inscrive lui-même à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, pour que le renforcement du droit à l’avortement ne soit pas sacrifié sur l’autel de querelles politiciennes.