Les Ehpads et le grand âge

Ballast - Prendre soin de nos anciens

Mai 2018, par Info santé sécu social

Témoignage d’une ex-gréviste de l’EHPAD des Opalines de Foucheran

« Je vous mets au défi, vous qui êtes en forme, de faire en quinze minutes ce qu’on nous demande de faire à des personnes de plus de 80 ans : se lever, faire sa toilette, faire son lit, déjeuner », lance Anne-Sophie Pelletier, ancienne porte-parole des employé.e.s de cet établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes — ou « EHPAD » — qui, en 2017, ont réalisé une grève de 117 jours afin d’exiger davantage de personnel. C’était à Foucheran, dans le Jura. L’une des plus longues grèves françaises. « Des sous-effectifs considérables au regard des besoins médicaux des résidents engendrent à la fois une dégradation des conditions de travail et une maltraitance institutionnelle », a depuis révélé un rapport parlementaire. Anne-Sophie Pelletier n’avait jamais fait grève ; elle n’était pas syndiquée, pas militante : elle est à présent conseillère prud’homale pour la CGT et s’échine à faire vivre cette parole de résistance sur la scène nationale. En plein mouvement social contre le gouvernement Macron, nous l’avons rencontrée dans un café de Montreuil, non loin de la centrale syndicale1 : elle nous raconte la grève, cette « véritable école de vie ».


Avant, j’étais directrice d’hôtel. Et puis j’en ai eu ras-le-bol. J’étais au boulot de 7 à 23 heures, je n’ai pas vu grandir mes enfants. J’étais une mauvaise directrice : quand mes employés n’étaient pas là, j’allais faire les chambres. (rires) En parlant avec ma grand-mère, j’ai réalisé qu’il fallait que je change de métier. J’ai recommencé en étant femme de ménage — je n’avais aucun diplôme dans le sanitaire et social, seulement mes diplômes hôteliers. Donc femme de ménage, puis aide à domicile. Plus tard, j’ai passé le diplôme auxiliaire de vie sociale : un auxiliaire de vie sociale se devant de prendre en compte l’état psychique d’une personne, je suis devenue aide médico-psychologique. L’aide à domicile est devenue difficile… Votre contrat s’arrête quand quelqu’un décède et vous n’avez même plus la possibilité de discuter avec les familles. Je me suis dit que je voulais aller voir dans un EHPAD comment ça se passait. J’étais en CDI depuis trois mois quand on a commencé la grève.

« Si on arrivait à changer le regard sur les personnes âgées dépendantes dès le plus jeune âge, peut-être qu’on construirait un projet de société plus juste… »
La différence entre un EHPAD à but lucratif et un EHPAD à but non lucratif ? Ce dernier peut être public, ou associatif : c’est-à-dire qu’il n’y a pas de bénéfices2. Un Ehpad privé à but lucratif se fait de l’argent sur le coût de l’hébergement et sur les services — c’est de la financiarisation de la vieillesse3. Pourtant, il faut savoir qu’un EHPAD privé touche de l’argent public pour payer les soignants ! C’est « l’enveloppe de soin ». Ça va être du jargon, mais cette enveloppe de soin est conditionnée au Pathos moyen pondéré4 et au GIR moyen pondéré5. À partir de ces calculs, l’Agence régionale de santé, l’ARS, décide du nombre de soignants nécessaires dans un établissement. Cela est réévalué tous les cinq ans. Mais excepté Benjamin Button, les personnes âgées tendent davantage à une régression qu’à une amélioration de leur santé ! Alors si, en 2008, vous avez une certaine configuration, il y a fort à parier qu’en 2010 les choses seront pires puisque beaucoup de résidents auront perdu de leur autonomie. Mais vous n’aurez pas davantage de soignants : il faudra attendre la prochaine réévaluation. Dans un EHPAD privé, tout service supplémentaire est payant : la kinésithérapie, le coiffeur… Quand les familles viennent manger, c’est facturé. Les accueils de jour, qui ne sont pas toujours autorisés car il faut un agrément de l’ARS, permettent aussi de faire de l’argent. La possibilité de se faire de l’argent est inimaginable ! Si vous tapez « EHPAD » sur Internet, vous aurez des publicités « Investissez dans les EHPAD » : c’est l’un des investissements les plus rentables. Taux d’occupation garanti à 100 %. La marche à suivre pour la personne âgée, c’est la prise en charge à domicile, puis EHPAD, puis décès — et la mort coûte cher, elle aussi. Ce cycle rapporte énormément à des groupes privés. D’ailleurs, si ces groupes commencent à s’installer en Chine, en Amérique du Sud et dans toute l’Europe, c’est bien qu’il y a un marché — alors que la naissance ne rapporte rien.

Tout le lien intergénérationnel est occulté dans ces établissements. Pourtant, les enfants ont un regard différent sur la vieillesse. Il faudrait faire venir des écoliers dans un EHPAD — non pas pour les conditionner, mais pour qu’ils comprennent la vieillesse dépendante autrement que vis-à-vis de leurs grands-parents. Les deux pôles dont on s’occupe le moins, en France, ce sont les enfants et les personnes âgées : une population non-électorale. Si on arrivait à changer le regard sur les personnes âgées dépendantes dès le plus jeune âge, peut-être qu’on construirait un projet de société plus juste… D’ailleurs, combien de personnes âgées sont assistées pour aller voter, sans famille ? Aucune. Elles n’ont pourtant pas perdu leurs droits. Et ça concerne plus de 700 000 personnes — je parle de celles et ceux qui ont toute leur tête. Et la religion dans les EHPAD ? Un curé peut venir. Un rabbin, je n’en ai jamais vu ; un imam ou un pasteur, non plus… On fait bien la messe, mais tout le monde n’est pas de religion catholique ! Bien sûr, il y a peu de personnes musulmanes qui sont placées, mais on a des protestants, des juifs… La culture de « l’ancien » vu comme un sage est ancrée d’une telle manière chez une partie du personnel des EHPAD, qui n’est pas d’origine française, qu’il leur paraîtrait inenvisageable d’y placer leurs grands-parents.

La santé et la vieillesse sont des choses que nous avons tous en commun. On a des parents, des grands-parents ; on voudrait que toutes les personnes âgées puissent mourir chez elles en s’endormant le soir… Mais ce n’est pas ce qu’il se passe. Pour autant, on ne peut pas réduire la personne âgée à ce qu’elle est dans l’EHPAD. On ne prend pas assez la mesure de ce qu’est ce passage dans le grand âge..

. Il y en a qui, à 88 ans, sont en pleine forme ! Et d’autres qui sont très dépendants. Nos collègues qui se déplacent à domicile ont les mêmes soucis que nous. Précarité sociale évidente, pas de reconnaissance du métier… Elles travaillent souvent seules, sans avoir forcément de matériel médical, parfois par intervention de trente minutes. Trente minutes par-ci, par-là : elles courent toute la journée, parce que leur enveloppe APA6 n’est pas suffisante. Que fait-on en trente minutes ? Rien. J’ai été aide à domicile, je me suis occupée d’une dame qui était 365 jours sur 365 dans son lit. J’étais là le matin, trente minutes pour servir son petit déjeuner, une heure le midi pour lui servir son repas et une heure le soir. Et rien entre ces interventions. Ces personnes sont seules. Quand il n’est plus possible de rester chez soi, elles entrent en EHPAD — souvent parce que la famille n’a pas le choix. Je connais peu de personnes âgées qui l’ont choisi. Il y a deux problématiques : la culpabilité des familles qui vous confient leurs parents et le fait que la personne n’a plus de repères. Psychologiquement, c’est compliqué.
 Je les appelle « les dépossédés », quand ils passent la porte des EHPAD : dépossédés de leurs biens — généralement, ils vendent leur maison et font des divisions simples entre leur loyer et le temps restant à vivre, avant que les enfants n’aient besoin de mettre la main à la poche au nom de l’obligation alimentaire (qui vaut dans les deux sens) —, dépossédés de leur histoire — car on n’a pas le temps de les écouter. Je suis allée à l’enterrement d’un monsieur dont je me suis longtemps occupée : j’en ai appris plus à son décès que lorsque j’étais avec lui.

« Que fait-on en trente minutes ? Rien. Je suis allée à l’enterrement d’un monsieur dont je me suis longtemps occupée : j’en ai appris plus à son décès que lorsque j’étais avec lui. »
Il y a ça et le fait que nous, soignants, n’avons pas la possibilité de les prendre en charge dans la dignité. Qu’est-ce que c’est, la dignité ? Ce n’est pas seulement réduire nos soins à plus de technicité — une technicité parfois non aboutie, parce qu’on n’a pas de temps. On a un savoir-faire, qui s’apprend, et un savoir-être. Et ce savoir-être, c’est le temps qu’on prend à être avec eux, à discuter, à les écouter parler de leur vie, à valoriser leur histoire et permettre d’instaurer une relation de confiance : elle est là, la dignité. Ce qui me paraît grave, c’est qu’on peut entendre un soignant dire « Je suis maltraitant ». Eh non, un soignant n’est pas maltraitant ! Ce sont les prescriptions du travail qui font qu’un soignant fait de la non-traitance, c’est différent. Sur dix heures de travail, vous passez bien une heure avec les résidents, mais ce sera dix minutes par-ci, par-là… Les personnes âgées sont parfois comme des enfants : au moment de se coucher, toutes les angoisses remontent. Parfois des personnes pleurent ou nous demandent de revenir. On dit que oui, on reviendra, mais on sait qu’on n’aura pas le temps de revenir : parce que sinon, à quelle heure on termine ? Aux Opalines de Foucheran, je n’ai pas vu entrer une seule personne autonome. On voit arriver des personnes très dépendantes, avec de lourdes pathologies multiples. Des personnes sondées, du handicap physique aux troubles cognitifs. En unité protégée (UP), c’est le fourre-tout. On n’évalue pas la dangerosité du résident qui arrive. Car ça l’est parfois, pour les soignants : une fois, un patient a voulu tuer une de mes collègues ; elles sont restées enfermées quarante-cinq minutes dans une chambre ; il a défoncé la porte de l’UP ; il tapait les autres résidents ! C’est du ressort de la psychiatrie. Quelqu’un qui a Alzheimer peut être violent ; je ne vous raconte pas le nombre de fois où on se fait taper dessus, le nombre de fois où on se fait tirer les cheveux, mordre… C’est lourd. Et, dans le même temps, il y a des personnes attendrissantes. Je pense à cette dame qui faisait du piano — la musicothérapie, c’est une chose exceptionnelle… Un jour, je me l’étais promis, je me suis mise à jouer du piano. Elle s’est assise à côté de moi, elle a regardé les partitions et elle a retouché les notes. Elle regardait la partition (du Bach) et je lui ai proposé : « On joue ce menuet ? ». Elle m’a répondu qu’il était un peu compliqué. Malgré Alzheimer, elle n’avait ni oublié le solfège, ni son positionnement de mains sur le piano. Jusqu’alors, faire la toilette à cette dame n’était vraiment pas simple ; mais j’avais trouvé comment il fallait faire : en chantant. En chantonnant du Chopin, il n’y avait plus de violence.

On va vers un projet de société qui n’est pas adapté. On marche sur la tête. Il y a de plus en plus de personnes âgées et rien n’est mis en place dans ce cadre, même au niveau de la formation des soignants. Quand on entend que la ministre propose 100 millions pour les EHPAD en supplément, il faut savoir que ce n’est pas un budget qui est débloqué. La majorité de ce budget (72 millions d’euros) vient de la nouvelle tarification d’entrée dans l’établissement. C’est encore le citoyen et la personne âgée qui vont payer. La ministre compte débloquer 50 autres millions du fond interrégional, qu’elle donnera aux agences régionales de santé. Mais comment cette somme va être dispatchée ? Comment faire une étude des EHPAD qui vont plus ou moins bien ? Et à côté de ça, on supprime l’ISF ! On a besoin de 3 milliards pour les EHPAD… et on fait des cadeaux aux riches. Je veux bien qu’on mette les choses sur le dos de la société : l’époque a changé, on a tous nos boulots, on est éloignés géographiquement de nos parents : c’est factuel, c’est une réalité. Mais c’est aussi une chose qu’on a créée… Dans ma région, le Jura, il y a des personnes qui bossent à Paris car il y a pas de boulot dans le coin. Ils n’oublient pas leurs parents, mais ils n’ont plus la possibilité de s’en occuper : alors ils les placent. La société a un rôle à jouer.

 J’ai une grand-mère qui était exceptionnelle : les valeurs que j’ai, c’est elle qui me les a transmises. On apprend d’un ancien. Qui peut aujourd’hui mieux vous parler de la guerre que quelqu’un qui l’a vécue ? Les ressentis, les anecdotes : tout n’est pas écrit. En ne voulant pas voir la vieillesse et la dépendance, on les ghettoïse un peu — le mot est dur. Et la durée de vie moyenne en EHPAD est de deux ans et demi !

L’étincelle de notre mise en grève, ça a été le mépris de la direction. On a fait une réunion de service, on avait une nouvelle cadre : mes collègues n’en pouvaient plus depuis des années ; on était deux équipes et on lui a dit : « Si ça continue comme ça, on va faire grève. » Elle a posé son stylo et nous a répondu, amusée, qu’on la faisait marcher. C’était le mercredi. Le jeudi on donnait notre préavis. On était 13, au début. L’une a repris car il y avait des factures à payer. Il y a eu des naissances qui ont redonné de la vie ! Et des résidents pour nous soutenir — certains venaient tous les jours rester un peu avec nous. De 7 à 19 heures, on tenait le piquet de grève. Il y avait toujours quelqu’un pour prendre un café ; on prenait le temps d’expliquer… On a vécu tous ensemble 117 jours. Tout le temps, sauf la nuit. C’était très féminin comme grève. Je suis féministe, sans être extrémiste, et je pense que ça n’aurait pas tenu autant avec des hommes en tête. Il y a autour de 10 % d’hommes dans la profession et on avait un seul homme avec nous ! Le pauvre ! (rires) On était des primipares de la grève et on n’était pas syndiquées. « Primipare », oui, c’est vraiment le mot, parce que soit on accouchait d’une crevette toute merdique, soit on accouchait de quelque chose de merveilleux. (rires) On a accouché de quelque chose entre les deux et d’un beau débat national, tout de même ! Ça, c’est notre plus belle victoire. Comme la direction était méprisante au possible, on a fait un bébé avec des dents de morse ! (rires) La victoire, ce sont aussi ces collectifs de soignants qui se mettent en place. Et puis de voir en nombre ceux qui libèrent leur parole, se déculpabilisent. Vous entendez beaucoup parler de salaires ? Dans ces manifestations, les revendications portent sur du personnel supplémentaire pour une prise en charge dans la « dignité ». On parle de dignité plus que de salaire… Il y a de la beauté là-dedans. Pourtant, ces 117 jours de grève n’auraient pas dû exister. Je ne peux plus accepter qu’une personne âgée soit obligée de vendre son histoire et sa maison, de ne rien laisser à ses enfants pour être mal prise en charge dans un EHPAD. Moralement, ce n’est plus concevable — ça me pose un véritable souci de conscience, non pas professionnel mais moral. Il y a des familles qui soutiennent cette lutte, mais c’est difficile car elles ont peur que ça ait des conséquences pour leurs parents… On leur fait un chantage : si vous n’êtes pas contents, placez-les ailleurs. Ce sont des captifs.

« Dans ces manifestations, les revendications portent sur du personnel supplémentaire pour une prise en charge dans la dignité. On parle de dignité plus que de salaire… »
On a eu plusieurs articles dans la presse nationale. Sylvie Ducatteau, de L’Huma, a été la première à écrire sur notre grève. J’ai appelé Florence Aubenas au culot, qui m’a répondu qu’elle viendrait dans les quarante-huit heures. Xavier Deleu, le journaliste qui a réalisé le reportage pour Pièces à conviction, me disait, ayant lui-même travaillé sur les prisons : « Même de nuit, j’arrivais à rentrer plus facilement dans une prison que dans un EHPAD. » Même la nuit ! La direction — composée de financiers et non de professionnels — bloque. Ils pensent que vous allez forcément dire du mal des EHPAD. Alors qu’au contraire, ça pourrait leur donner un droit de réponse qu’ils n’utilisent pas. C’est qu’au fond, on n’a pas tort. On n’a perdu aucun salaire pendant la grève. On s’est bougées pour ça. C’est un moment où vous portez une cause juste et justifiée : vous avez la population avec vous. C’est magique. J’ai été porte-parole mais ce sont nos soutiens qui nous portaient ; je ne les remercierai jamais assez. La grève, c’est une véritable école de vie. J’invite tout le monde un jour à faire une grève plus ou moins longue… Aujourd’hui, c’est un devoir de continuer la lutte. Il n’y a que nous qui pouvons changer les choses. Actuellement, je vis du Secours populaire et je continue la lutte. Je suis en arrêt-maladie depuis le 28 août et je n’ai pas droit à des indemnités. La Sécurité sociale prend en compte les trois derniers bulletins de salaire, à partir de la date de l’arrêt initial. Mais où j’étais, moi ? en grève : salaire à zéro, indemnités à zéro. Mais je me bats ; six mois que je n’ai aucun salaire. Et je continuerai à me battre car ça dépasse ma propre personne. Il y a des gens qui croient en Dieu : moi, ma croyance, c’est la nécessité de cette lutte.

Nous n’avons eu aucune réponse du ministère suite à la grève unitaire du 30 janvier ni à celle du 15 mars. La ministre de la Santé prend « le dossier à bras le corps » et accusera un problème de management. Alors que c’est un souci de ratios de personnel ! Il faut une convergence des luttes, sans quoi ça ne va pas décoller. Je ne sais pas d’où ça va partir, peut-être des étudiants malmenés, des cheminots, mais il va falloir se greffer ensemble — et fouler les rues, car nous n’avons que ça. Quand on voit qu’on a des retraités qui sont dans la rue, les mêmes qui ont fait Mai 68… Les étudiants n’ont rien à perdre, eux : ni famille, ni salaire. Alors il faut les porter, les soutenir : c’est à nous, parents, d’aller dehors pour eux. Tout ce qu’on nous propose, c’est de nous appauvrir encore un peu plus. Quand on parle de la taxe d’habitation qui serait supprimée, il faut savoir qu’elle permettait aussi aux conseils départementaux de payer l’Allocation personnalisée d’autonomie pour les personnes âgées (APA) — garantissant une prise en charge dans les EHPAD et à domicile ou la possibilité d’avoir un auxiliaire de vie sociale. Si les conseils départementaux n’ont plus cette taxe, on va baisser les APA : les personnes âgées seront moins aidées à domicile, et paieront plus cher les EHPAD.

Il y a eu une première réunion inter-soignants [réunissant infirmiers, soignants des hôpitaux et aides-soignants, ndlr] à Paris ; on y a réuni nos conventions collectives afin d’en tirer de quoi faire une colonne vertébrale de revendications, qui englobent la santé publique, la santé privée et l’action sociale. On n’est qu’au début de ce projet. Ce sera compliqué car les conventions sont toutes très différentes. La ministre évoque une deuxième journée de solidarité, une assurance privée… Mais à quel moment nous annoncera-t-elle que l’État mettra des sous ? Ça me révolte, car on a déjà piqué aux retraités, on va demander une deuxième journée de solidarité aux ouvriers du privé… Ça commence à faire beaucoup. On tire sur la corde. On le voit avec les cheminots et les étudiants, on est clairement en train de détruire tout notre service public. Il n’a pas à être « rentable » mais à être au service des gens. Quand tout sera privé, c’est nous qui serons privés de tout. Une école pour les enfants sourds a fermé à Saint-Denis ; il n’y a plus de médecins de campagne ; il n’y a plus d’écoles, plus de postes, plus de service public. Comment des jeunes médecins auraient-ils envie de s’installer ? Un médecin de campagne se lève à 7 heures le matin et se couche à 23 heures. Près de chez mes parents, il y a un docteur de plus de 70 ans qui n’ose pas partir à la retraite car il peine à se faire remplacer. Tous les ouvriers, où qu’ils soient, vont encore être impactés. Dans tous les médias, on essaie de monter les citoyens contre les cheminots. Or, les cheminots ne défendent pas seulement leur statut mais aussi la sécurité des trains. Un cheminot est là, avec ses connaissances, pour évaluer si un train peut rouler ou non. Si tout devient privé, il faudra faire avancer les trains avant de se soucier de la sécurité.

Je ne comprends plus le pays où je vis aujourd’hui : entre les étudiants de Tolbiac évacués, les cheminots en grève qui se regroupent dans les gares et sont délogés par les CRS, sans parler de la ZAD… On est dans un régime de répression quotidienne ! Il y a pourtant une convergence de revendications. Et si les cheminots perdent leur combat, on est tous morts. Tous ! Macron va dans un hôpital et se prend la tête avec une aide-soignante qui a refusé de lui serrer la main : mais qu’il les enfile les blouses, qu’il vienne voir ce qu’il se passe ! Si on atteignait cet objectif de convergence, on commencerait à faire peur au gouvernement. Tant que chacun se tirera dans les pattes pour des affaires d’egos ou pour avoir la primeur d’une initiative, ça ne fonctionnera pas.