Cancers

Basta - Deux mille enfants déclarent un cancer chaque année, et toujours aucune explication

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Certains parents tâchent de savoir pourquoi, mais se heurtent à l’inertie, voire à l’hostilité des autorités sanitaires, et parfois de leurs élus. Le sujet est complexe, poser des questions semble dérangeant. Basta ! est allé à la rencontre de ces familles, pour raconter leurs quotidiens et s’interroger, avec elles, sur ce grave problème de santé publique. Premier article d’une série de reportages que nous publions jusqu’au 1er décembre.

Chaque année en France, environ 2100 enfants et adolescents déclarent un cancer. La plupart survivent, après de longs et rudes mois de traitement. Certains en meurent, plusieurs centaines, chaque année. Parfois, leurs parents se mobilisent pour comprendre ce qui est arrivé à leurs enfants, surtout quand ils découvrent qu’il y a d’autres petits malade dans leur voisinage. Mais il est difficile de rassembler des informations. L’engagement des autorités sanitaires reste timide. Les parents ne se sentent pas soutenus. Ils ont plutôt l’impression qu’on leur met des bâtons dans les roues, et les raisons des cancers demeurent, à ce jour, indéfinies. Cela dit, d’importants soupçons pèsent sur l’environnement, et sur le cocktail chimique que l’on y trouve, pesticides en tête.

« Les autorités sanitaires s’arrêtent vite de chercher »
Pauline avait 15 ans quand elle a été fauchée par un cancer, en décembre 2019. La jeune fille vivait non loin de La Rochelle dans une commune près de laquelle une dizaine d’enfants sont tombés malades depuis 2008. Pourquoi ? Mystère. Le danger vient-il de l’usine locale qui fabrique et recycle bitumes et goudrons ? Ou des pesticides que l’on retrouve en quantité dans l’air de ce territoire ? Nul ne le sait pour le moment. Seule certitude pour l’agence régionale de santé (ARS) : « Rien ne montre de lien de causalité entre l’environnement et la santé ». Il est pour le moment impossible d’avoir accès à la liste des polluants recherchés. « Les autorités sanitaires s’arrêtent vite de chercher », regrette Romain Gouyet, de l’association Avenir santé environnement, créée peu après que Pauline tombe malade.

Même scénario dans le Haut-Jura, où une mère de famille se bagarre toute seule pour tâcher de comprendre pourquoi 13 enfants (dont sa fille âgée trois de ans) ont été diagnostiqués d’un cancer entre 2011 et 2019 dans un rayon restreint. Obligée d’insister auprès de l’ARS pour que des questionnaires soient envoyés aux familles, elle est accusée de faire de la mauvaise publicité à sa commune.

Ces sentiments de solitude et d’abandon concernent tous les parents qui choisissent de se retrousser les manches pour comprendre les maladies de leurs enfants. Dans le secteur de Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique, où 24 enfants sont tombés malades depuis 2015 (et cinq décédés), les parents ont dû batailler pour que des études soient lancées. Et ils ont appris avec stupéfaction fin septembre que les autorités sanitaires considéraient qu’il n’y avait rien d’anormal dans leur secteur.

Le nombre d’enfants malades, sujet sensible

« L’analyse statistique conclut à l’absence d’un risque anormalement élevé de cancers pédiatriques sur le secteur de Sainte-Pazanne par rapport au reste du département », explique Santé Publique France. Le nombre d’enfants malades constitue un premier sujet de controverse. Y en a-t-il davantage qu’avant ? « Non », répond Jacqueline Clavel, chercheure à l’Inserm et à l’origine du registre national des cancers de l’enfant (RNCE), mis en place depuis le début des années 2000 [1]. Elle explique que ce sont les méthodes de détection des cancers qui ont beaucoup progressé. Selon les recensions du registre, un enfant sur 440 développe un cancer avant l’âge de 15 ans. Cette proportion serait stable depuis 20 ans.

Sur le terrain, les familles sont sceptiques. À Sainte-Pazanne, où aucun enfant n’est tombé malade avant 2015, on peine ainsi à croire les calculs avancés pour expliquer que l’incidence des cancers n’augmente pas sur le territoire. Les parents reprochent aux autorités sanitaires leurs méthodes de calcul qui noient le nombre d’enfants malades dans des ensembles si vastes qu’ils ont tendance à disparaître. « Ils les ont répartis sur trois cantons qui n’existent même plus, plutôt que de les répartir par commune. Pourquoi ? On dirait qu’ils ont réfléchi à la meilleure manière de faire disparaître le cluster… » , s’indigne Marie Thibaud, mère d’un enfant malade, lanceuse d’alerte sur les cancers d’enfants dans le secteur de Sainte-Pazanne, et cofondatrice de l’association Stop aux cancers de nos enfants.

Autre sujet délicat : les causes des maladies, et la façon de les déceler. « Il n’a pas été possible d’identifier une cause commune pouvant expliquer la survenue de cancers pédiatriques sur le secteur », mentionne l’ARS à propos de Sainte-Pazanne, avant de conclure que, par conséquent, les recherches s’arrêtent. Les parents ne se satisfont pas de cette explication, étant donné qu’il est largement admis aujourd’hui que les cancers sont des maladies multifactorielles, résultant d’une histoire à plusieurs variables (professionnelle, résidentielle et familiale).

Les parents défendent des études environnementales d’ampleur
Pour identifier les facteurs de risques dans l’histoire et les lieux de vie de leurs enfants malades, les collectifs défendent des études environnementales locales, et d’ampleur. « Selon deux enquêtes internes menées auprès de plusieurs centaines de familles, seulement 10 % des familles répondent aux enquêtes épidémiologiques envoyées par les ARS », avance Stéphane Vedrenne de l’association Eva pour la vie, également membre du collectif Grandir sans cancer. Plutôt que de se satisfaire de ce taux de réponse très bas, il propose de systématiser la recherche des causes à l’ensemble des enfants.

« Nous avons proposé à de multiples reprises à l’institut national du cancer (INCa) que l’ensemble des familles d’enfants malades participent à une étude épidémiologique, qui prévoirait un questionnaire systématique à l’attention des familles, associé à des prélèvements environnementaux, sanguins ... ainsi que toutes analyses pouvant apporter des réponses scientifiques. À ce jour, l’INCa n’a pas donné suite à cette proposition. » Lassés par l’inertie des pouvoirs publics, les parents passent à l’action. À Sainte-Pazanne, ils ont décidé de lancer eux même de multiples recherches, pour tâcher de cibler le plus précisément possible la composition du cocktail détonnant qui a rendu leurs enfants malades.

« Je sais que les cancers des enfants sont tous très différents, et qu’il est compliqué de définir des processus de recherche. Mais il n’y a pas assez d’argent dédié à cette question » , évoque Sandrine Josso, députée de Loire-Atlantique (LREM puis Modem), à l’origine d’une commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale. « Nous avons de nombreux dysfonctionnements, un manque de coordination, pas de structure pour faire avancer ces questions », ajoute-t-elle.

Rayonnements ionisants, champs électromagnétiques, pesticides : qu’est-ce qui rend les enfants malades ?
Si l’on ignore encore, faute de recherches, les causes précises des cancers pédiatriques, l’environnement se dessine comme une raison de plus en plus évidente. Depuis l’univers de travail des parents exposés à des produits CMR (substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction) avant la conception, puis au cours de la grossesse, en passant ensuite par l’air, l’eau, la terre et les aliments ingérés. Bref, tout ce qui permet normalement de vivre et de grandir. Outre les rayonnements ionisants, clairement identifiés comme pouvant occasionner des leucémies pédiatriques, d’importantes craintes apparaissent du côté des champs électromagnétiques, et surtout des pesticides, dont la France est très grosse consommatrice.

En 2018, l’ANSES indiquait ainsi que « des études ont montré que certaines classes de pesticides sont capables de perturber la formation des cellules sanguines et/ou le système immunitaire, peuvent atteindre le cerveau et y induire des dommages ». Selon l’agence, les mécanismes d’action de ces composés « peuvent expliquer, en partie, l’augmentation du risque de développement des cancers du cerveau ou des leucémies chez l’enfant » , avant de préciser que « les données disponibles sont insuffisantes pour en établir la causalité » .

Rapports de force économiques vs rapports scientifiques
« Il y a beaucoup d’études, mais tout le monde s’assoit dessus, remarque le Dr Pierre-Michel Périnaud, président de l’association Alerte des médecins sur les pesticides. Les rapports de force économique et politique pèsent plus que les données scientifiques. » Avec ses collègues, il attend néanmoins impatiemment les résultats finaux de l’enquête Géocap Agri. Menée par l’Inserm, suite à l’apparition de plusieurs cancers d’enfants dans la région viticole bordelaise, cette étude s’intéresse au taux de leucémies infantiles parmi la population vivant à proximité de parcelles agricoles.

L’étude « écologique » – non définitive – publiée cet été relève « une augmentation modérée de l’incidence de la leucémie infantile dans les municipalités ayant la plus forte densité de viticulture ». Avant d’ajouter que « d’autres travaux sont nécessaires sur les expositions individuelles aux pesticides utilisés pour la viticulture et autres cultures à proximité des résidences » « Souvent, on conclut que l’on ne peut pas conclure, et qu’il faut continuer à chercher », observe Pierre-Michel Périnaud. Et en attendant on ne fait rien. Alors que, selon le médecin, « identifier un facteur de risque, c’est déjà pas mal pour décider de passer à l’action ».

Nolwenn Weiler