Réforme retraites 2023

Basta - Les femmes toujours fortement pénalisées : pourquoi les inégalités face à la retraite ne se réduisent pas

Février 2023, par Info santé sécu social

14 février 2023 par Maÿlis Dudouet

Avec un salaire largement inférieur à celui des hommes au cours de leur carrière et plus souvent à temps partiel, les femmes subissent les inégalités jusqu’au passage à la retraite, qu’elles obtiennent plus tard et avec des pensions plus faibles.

Pour les femmes, la retraite est un révélateur d’inégalités. Une femme retraitée de plus de 65 ans touchait en 2019 en moyenne 981 euros de pension de droit direct (hors pension de réversion, perçue par les conjointes de retraités décédés). Pour les hommes, c’est 1600 euros. Soit 40 % d’écart entre femmes et hommes retraités. 40 % !

Derrière ce chiffre, c’est la question des différences de salaires entre hommes et femmes qui se pose. « En France, le système par répartition relie les pensions de retraite au système de cotisations salariales. Et tant qu’il y aura un écart salarial, il y aura un écart des pensions », résume Monika Queisser, cheffe de la division des politiques sociales à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

22 % de salaire en moins

Or, en France, le revenu salarial des femmes reste en moyenne de 22 % inférieur à celui des hommes, selon les chiffres de l’Insee. Ces inégalités s’accroissent avec l’arrivée d’enfants. « Les inégalités de salaire en [équivalent temps plein] s’accroissent fortement avec le nombre d’enfants, écrivait l’Insee en 2020. Pour les parents de trois enfants, le salaire des femmes est inférieur de 31 % à celui des hommes, contre 7 % d’écart pour les personnes sans enfant.

Pourtant, en 1972 déjà, une loi a posé en France le principe de l’égalité de rémunération entre hommes et femmes, « pour un même travail ou un travail de valeur égale ». En 2018, une nouvelle loi a mis en place un outil d’évaluation pour mesurer et corriger les différences de rémunération dans les entreprises.

« C’est un outil très critiquable, car il est facile à manipuler », observe l’économiste Vanessa di Paola, maîtresse de conférence à l’université d’Aix-Marseille. Les phénomènes de ségrégation horizontale, c’est-à-dire de surreprésentation genrée dans certaines professions, ne sont pas du tout pris en compte ni le temps partiel. En affichant les salaires en équivalent temps plein, les entreprises invisibilisent les temps partiels. Et de l’autre côté, elles n’incluent pas les heures supplémentaires, qui profitent plus aux hommes. Artificiellement, on a l’impression que les écarts sont moindres », ajoute la chercheuse.

80 % des temps partiels sont des femmes

Or, beaucoup plus de femmes que d’hommes sont à temps partiel. En 2019, 80 % des salarié·es à temps partiel en France étaient des femmes. Seulement 7 % des hommes travaillent à temps partiel, contre 28 % des femmes. La proportion augmente là aussi avec le nombre d’enfants. Avec deux enfants, une femme salariée sur trois est à temps partiel, 41 % avec trois enfants ou plus [1].

« Il y a des temps partiels perçus comme des choix, mais qui sont de fait subis », remarque Thomas Vacheron, responsable CGT en charge des retraites. Ces temps partiels pèsent pour le calcul de la pension de retraite. « Les femmes se retrouvent avec une carrière incomplète dans le public, et un calcul des meilleures années défavorable dans le privé », explique le syndicaliste.

Population des salariés à temps partiel en 2019 selon le genre
Pour Vanessa di Paola, un des freins à la réduction des inégalités de salaire entre hommes et femmes réside dans les attentes du monde de l’entreprise. « Les compétences du travailleur idéal - qui s’accompagnent d’un meilleur niveau de rémunération - sont des caractéristiques généralement perçues comme “masculines”. Le salarié ne peut pas avoir de vie de famille, il doit être disponible en permanence. Et puisque les femmes sont davantage contraintes de s’occuper des enfants, les dispositions valorisées dans une carrière leur sont bien plus difficiles à atteindre », analyse l’économiste.

Aller vers les métiers plus rémunérateurs

L’égalité salariale est aussi l’affaire de politiques publiques. Et les pistes ne manquent pas. Vanessa di Paola évoque la création d’un « congé paternité qui soit aussi important que le congé maternité » et la « revalorisation des métiers dits féminins ». Il faut aussi « sensibiliser les jeunes filles dès leur orientation pour augmenter la part des femmes dans les secteurs plus rémunérateurs », ajoute Monika Queisser.

À l’heure où le projet de réforme des retraites est vivement débattu à l’Assemblée nationale, il faudrait s’attendre à ce que les femmes soient « un peu pénalisées par le report de l’âge légal », a avoué le ministre des Relations avec le Parlement Franck Riester. « On voit mal comment en ajoutant plus d’annuités, cela vient réduire ces inégalités », note Vanessa di Paola. Seul point positif pour les femmes : le projet de loi prévoit d’ajouter la prise en considération du congé parental dans le calcul des trimestres pour les carrières longues, soit les personnes ayant commencé de travailler à 20 ou 21 ans.

Aujourd’hui, en plus d’avoir une retraite plus faible, les femmes partent aussi plus tard. Elles prennent leur retraite en moyenne sept mois après les hommes : à 62 ans et 5 mois contre 61 ans et 10 mois pour les messieurs. Le tout en effectuant toujours, au long de leur vie, la plus grande part du travail domestique, comme le répètent toutes les études années après année [2].

Maÿlis Dudouet

-# Notes

[1] Voir les données de l’Insee.
[2] Lire par exemple sur l’Observatoire des inégalités.