Environnement et facteurs dégradant la santé

Basta - Parkinson : une maladie professionnelle invisible causée par les pesticides

Novembre 2020, par Info santé sécu social

PAR NOLWENN WEILER 16 NOVEMBRE 2020

En France, entre 100 000 et 120 000 personnes sont touchées par la maladie de Parkinson. Parmi elles : des agriculteurs, des agricultrices et des salarié.es du milieu agricole. La plupart ignorent qu’elles peuvent obtenir une reconnaissance en maladie professionnelle. Enquête.

Plusieurs milliers de personnes se voient diagnostiquer, chaque année, une maladie de Parkinson. Autrefois « réservée » aux plus de 70 ans, cette affection neurodégénérative touche désormais des personnes d’une cinquantaine d’années. Nombre d’entre elles ont exercé une activité professionnelle qui les a exposées aux pesticides, dans le milieu agricole surtout. La plupart ignorent qu’elles peuvent obtenir une reconnaissance en maladie professionnelle ; et supportent donc seules les difficultés et les frais qu’imposent cette affection.

Une maladie incurable
Jean-Claude, salarié pendant 30 ans dans une coopérative agricole, a dû batailler pendant 10 ans pour obtenir que sa maladie soit officiellement reconnue comme liée à son travail [1]. Quand il a commencé à sentir des fourmillements dans les bras, il avait tout juste 50 ans. Il a d’abord craint un infarctus. Puis s’est entendu dire par son médecin qu’il commençait à être fatigué. « À 50 ans ? Je trouvais ça un peu jeune », se souvient Dany, son épouse. Deux ou trois ans plus tard, alors qu’il arrive au travail un matin, une collègue lui dit qu’il marche de travers. « Elle pensait que je buvais et n’avait pas oser me le dire avant. Cela arrive souvent aux gens qui sont atteints de Parkinson. Ils se sentent tirés d’un côté, et peuvent avoir l’impression d’être saouls. »

Deuxième maladie neurodégénérative la plus fréquente en France, après la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson touche plutôt des sujets âgés, avec un pic autour de 70 ans. Plus de 100 000 personnes sont concernées en France, et environ 8000 nouveaux cas se déclarent chaque année. Les premiers signes – tremblements, difficultés à se mouvoir, rigidité – apparaissent plusieurs années après que les neurones ont commencé à dégénérer. Et plus le temps passe, plus la maladie est handicapante.

« Le neurologue a posé le diagnostic dès la première visite, se remémore Jean-Claude. C’était dur. Je savais que la progression de la maladie était inéluctable. J’étais terrifié. » Lors de cette première visite, le spécialiste a aussi dit à Jean-Claude que c’était sans doute lié à son travail. Fils de paysans, titulaire d’un BTS et un temps enseignant, Jean-Claude a effectué le gros de sa carrière au sein d’une coopérative agricole. « À l’époque où j’ai été embauché, en 1981, c’était la CAR, retrace-t-il. Ensuite, c’est devenu Coralis, puis Vegam. Aujourd’hui, l’activité appartient à Agriaal. » Le métier de Jean-Claude, c’est « technicien semences ». Il supervise la production des semences, les trie, s’occupe des traitements, teste leur capacité germinative, qui permet de définir le taux de graines qui donneront des plantes.

Des pesticides partout, tout le temps
Jean-Claude respire des pesticides à longueur de journée : dans son bureau qui jouxte le laboratoire où sont réalisés les tests, dans sa voiture où il trimbale les semences traitées, dans les champs où il expérimente des produits avant qu’ils ne soient commercialisés. « On pratiquait ces tests sur de toutes petites parcelles pour le compte de l’Unca [devenue In vivo entre temps, ndlr], rapporte Jean-Claude. On avait les appareils sur le dos, et aucune protection. » Il y a aussi cette salle où trône la trieuse de semences, de laquelle s’échappent, entre autres, des vapeurs de téfluthrine, une molécule alors considérée comme prodigieuse qui permet d’éradiquer les pucerons d’automne.

Pour sélectionner les meilleures semences, Jean-Claude vérifie dans les champs l’état des céréales lors de l’épiaison (moment où les épis se forment). « Il y avait encore des fongicides dans l’air. Il y a 30 ans, les délais de ré-entrée n’existaient pas », dit-il doucement. Ces délais, qui s’étalent de 24 heures à 72 heures pour permettre aux produits de retomber au sol, sont censés protéger un peu ceux et celles qui doivent travailler sur les parcelles traitées.

« Je me suis retracé tout le chemin de sa carrière, intervient Dany, en étouffant un sanglot. Je me suis souvenue que parfois, le soir, il vomissait. Il lui arrivait aussi d’avoir très mal à la tête. Mais je n’ai jamais pensé à ces moments-là que ce pouvait être les produits. On ne mettait pas le mot "danger" sur ces produits. » Et pourtant, au début des années 1980, quand Jean-Claude commence sa carrière, des alertes ont déjà été lancées. Aux États-unis, la biologiste Rachel Carson a publié son ouvrage Printemps silencieux, sur le danger extrême des pesticides, en 1962. Vingt ans plus tard, on soupçonne des liens entre l’exposition aux pesticides et la maladie de Parkinson.

Des dangers minimisés, voire cachés
Ces informations ne sont pas relayées aux salariés des coopératives qui testent et utilisent les pesticides. Pas plus qu’aux agriculteurs. Au contraire, les dangers ne cessent d’être minimisés. Prenons la strobilurine, un fongicide féroce. « Les techniciens de Bayer et Aventis qui nous démarchaient nous expliquaient que c’était issu des champignons naturels, raconte Jean-Claude. Pour eux, c’était une sorte de copie de synthèse. Bref : c’était inoffensif. »

Idem pour l’isoproturon, un herbicide tout aussi toxique. « On nous disait que ce n’était pas dangereux du tout. Alors, qu’il est aujourd’hui interdit. » Pour couronner le tout, et s’assurer de l’embrigadement collectif, « tous les ans, il y avait une grand messe dans un lieu idyllique, payée par les vendeurs de pesticides qui nous apprenaient nos métiers », se souvient l’ancien salarié, en attrapant avec difficulté son verre d’eau.

Passionné par l’agronomie, sensible aux questions environnementales, Jean-Claude a cependant l’intuition que tout cela ne sent pas très bon. Il tente de minimiser les doses utilisées, et introduit même de vieilles variétés de céréales, plus résistantes, qui exigent moins de traitements. « Ce n’était pas bon pour le business, me disait-on. J’étais tiraillé, je ne me sentais pas en conformité avec mes convictions profondes mais le boulot m’intéressait. J’étais plutôt bien payé même si je faisais énormément d’heures. Plus de 60 souvent. Parfois 80. Je me disais que je pourrais changer les choses de l’intérieur. J’ai été bien naïf. »

Des malades sans doute nombreux, mais invisibles
« J’ignorais totalement que ces produits étaient mauvais », déclare Colette, 75 ans, longtemps agricultrice et aujourd’hui atteinte de la maladie de Parkinson. Pendant des années, Colette a brossé ses truies avec du lindane (un insecticide), simplement dilué dans un peu d’eau, et sans aucune protection. Dans son potager, elle avait l’habitude de mettre des fongicides, herbicides et autres merveilles chimiques. « Il y avait des produits pour toutes les cultures, se souvient-elle. Pour les poireaux, pour les betteraves, pour les fraises… On en mettait tout le temps, partout. »

Les jours où son mari sort le tracteur pour traiter, Colette fait office de « jalon » : positionnée derrière l’engin, à proximité immédiate des buses par lesquelles sont pulvérisés les produits, elle permet au conducteur d’avancer le plus droit possible. De nombreux enfants, dans les campagnes françaises, ont occupé ce poste de « jalon » pour aider leurs pères. Combien d’entre eux sont malades aujourd’hui ? Difficile à dire. Aucun recensement précis ne semble établi par la mutualité sociale agricole (MSA). Contactée à de nombreuses reprises, la mutuelle ne nous a pas répondu.

Le docteur Jean-François Deleume, porte-parole de l’association Alerte Médecins pesticides estime à 25 000 le nombre de personnes touchées par la maladie de Parkinson pour raisons professionnelles. « Les associations regroupant des Parkinsoniens disent qu’il y a 15 % d’agriculteurs parmi eux, détaille-t-il. Comme il y a 160 000 personnes prenant un traitement antiparkinsonien en France en 2015 selon Santé publique France, on aboutit à 24 000 parkinsoniens traités ayant été exposés professionnellement à des pesticides comme agriculteurs. Et il faut y ajouter les autres professions exposées : désinsectiseur-hygiéniste, ouvriers des secteurs de l’agro-alimentaire, vétérinaires, etc. »

Difficile reconnaissance des maladies professionnelles
Parkinson est entrée dans le tableau des maladies professionnelles en 2012, en partie grâce aux travaux d’une équipe de l’Inserm, dirigée par le professeur Alexis Elbaz, qui a documenté le lien entre cette maladie et l’exposition aux pesticides. « On considère que tous les pesticides peuvent provoquer la maladie de Parkinson, décrit Jean-François Deleume. C’est un peu une révolution car on sort du modèle "un toxique égale une maladie". » D’autres recherches menées par l’Inserm ont confirmé le sur-risque de maladie de Parkinson pour les agriculteurs, mais également pour les riverains de terrains agricoles. Avec un risque maximal dans les territoires viticoles.

On ignore le nombre d’agriculteurs, et autres professionnels du secteur, qui ont pu obtenir la reconnaissance en maladie professionnelle, qui peut leur donner droit à une rente. L’association phyto-victimes, qui précise ne pas avoir de vision exhaustive, explique que sur les 500 personnes malades qui se sont signalées à elle, environ un tiers (180 personnes), ont obtenu cette reconnaissance. France Parkinson, qui « étudie la question », ne souhaite pas avancer de chiffres. Et la MSA reste silencieuse.

« Les reconnaissances en maladie professionnelle, cela leur coûte cher et donne une mauvaise image de l’agriculture », pense Christian Jouault, agriculteur à la retraite et membre du collectif de soutien aux victimes de pesticides de l’ouest. Assistant d’anciens collègues pour le montage de leurs dossiers, il ne décolère pas face au mépris de la MSA, qu’il accuse de faire sciemment de la désinformation.

« Je me souviens de Daniel, qui était complètement handicapé par la maladie. Il touchait une toute petite retraite et sa femme, en plus de passer beaucoup de temps à s’occuper de lui devait continuer à faire tourner la ferme pour avoir un peu d’argent. Leur situation était inimaginable de précarité. Il était obligé de continuer à conduire son tracteur alors que c’était vraiment très dangereux. Et la MSA a osé prétendre qu’il n’avait droit à rien. Que ses yeux pour pleurer ! »

Dix ans de démarches pour faire valoir ses droits

« Tout seul, on n’est rien face à la MSA. Je ne voyais pas par quel bout prendre ça. Je ne me sentais pas capable », rapporte Jacques, qui a dû patienter 20 ans entre les premiers symptômes de Parkinson et la reconnaissance en maladie professionnelle. « Il faut être épaulé sinon on n’y arrive pas, approuve Jean-Claude qui a attendu dix ans entre sa première demande, en 2007 et le versement de sa première rente, en 2017. Sans l’aide de mon épouse, j’aurais abandonné en cours de route. »

« Il faut voir le temps que l’on a passé le nez dans les papiers, dans les bureaux des experts, en réunion », appuie Dany, qui accompagné son mari à tous les rendez-vous, passé des coups de fils, répondu aux courriers. « Entre-temps, la maladie continue à progresser. » Il y a des coups de mou, des moments de découragements, des larmes. « On est quand même malade, remarque Jean-Claude, on n’a moins d’énergie. Beaucoup de choses sont détériorées. À certains moments, on n’est vraiment pas bien. » « Tout est plus difficile, précise Colette. Manger, se laver, se mettre au lit. Il faut faire beaucoup d’efforts, chaque jour. »

« Ce qui m’effare, glisse Michel Besnard, du collectif des victimes de pesticides de l’Ouest, c’est que dès que l’on parle avec les gens ils disent "ah oui, mon voisin aussi il est malade, et mon cousin aussi, et mon ancien associé…" La campagne, au moins dans l’Ouest, est truffée de gens malades. Aucune culture ne semble épargnée. »

Nolwenn Weiler