Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Basta - Passe sanitaire au travail : « L’octroi d’une forme de pouvoir de police à des employeurs est inquiétant »

Septembre 2021, par Info santé sécu social

FACE À LA PANDÉMIE

PAR NOLWENN WEILER 14 SEPTEMBRE 2021

D’abord instauré pour le public, le passe sanitaire est désormais obligatoire pour plusieurs milliers de salariés. Depuis le 1er septembre, ceux et celles qui ne s’y conforment pas peuvent être suspendus, et privés de salaires.

Depuis le 1er septembre, salariés et bénévoles des établissements accueillant du public (activités culturelles et de loisirs, bars, restaurants, transports…) doivent présenter un passe sanitaire ; c’est-à-dire la preuve qu’il a été vacciné – avec un « schéma vaccinal complet » [1] – ou qu’il a réalisé un test négatif (antigénique, PCR, autotest sous le contrôle d’un professionnel de santé). Un certificat de guérison du covid-19 de moins de six mois fonctionne également [2]. « Selon les annonces gouvernementales, reprises en des termes peu clairs par la loi, seuls les salariés en contact avec le public durant les heures d’ouvertures y seront soumis, précise la CGT. N’y seront pas soumis, par exemple, les salariés en cuisine qui travaillent dans un espace fermé au public, ou qui interviennent dans les espaces ouverts au public mais en dehors des heures d’ouverture [3]. » Le passe sanitaire sera en vigueur jusqu’au 15 novembre, mais le gouvernement pourrait le prolonger au-delà. La liste des secteurs concernés est disponible sur cette foire aux questions (FAQ) du gouvernement.

L’obligation de présenter un passe sanitaire se distingue de l’obligation vaccinale qui concerne les salariés et fonctionnaires des secteurs de la santé, du social et du médico-social. Ces derniers ne peuvent se soustraire à l’obligation vaccinale en présentant un test. Il leur est en revanche possible de présenter un certificat de rétablissement ou un certificat de contre-indication vaccinale. Les professionnels concernés ont jusqu’au 15 septembre pour se mettre en règle.

Les demandeurs d’emplois y sont-ils soumis ?
C’est seulement au moment de la prise de poste ou d’entrée en fonction que le passe sanitaire doit être présenté. Personne n’est censé exiger quoi que ce soit au moment de rédiger une annonce d’offre d’emploi ; ou au cours d’un entretien de recrutement dans un des secteurs pourtant concerné par le passe. Mais « quel employeur prendra le risque de recruter un salarié qui n’est pas vacciné ? », demande l’avocate spécialisée en droit du travail Michèle Bauer. « Le salarié peut faire des tests toutes les 72 heures mais tiendra-t-il comme cela jusqu’au 15 novembre et quand les tests seront payants ? », interroge-t-elle. Les tests deviendront payants à partir du 15 novembre.

Qui contrôle les salariés ?
C’est à l’employeur de s’assurer que son salarié dispose du passe sanitaire, ou qu’il respecte bien son obligation vaccinale. Pour d’autres vaccins déjà obligatoires bien avant le Covid – par exemple le DTP ou l’hépatite B pour les soignants – c’est aussi l’employeur qui est responsable du contrôle, qu’il l’ effectue lui-même ou qu’il le délègue à d’autres salariés. Ceux-ci (dont les noms doivent être inscrits sur un registre tenu à jour par l’employeur) sont-ils sommés d’accepter cette mission de contrôle ? « Un salarié sans responsabilité hiérarchique pourrait refuser de contrôler le passe de ses collègues car cela n’entre pas dans ses fonctions contractuelles, précise le syndicat Sud-Commerce et services Île-de-France. C’est en revanche plus délicat pour un salarié ayant des fonctions d’encadrement. Refuser de le faire expose à un risque de sanction voire de licenciement pour insubordination. »

Pour les intérimaires et les CDD, « c’est l’entreprise utilisatrice, c’est-à-dire celle où il travaille qui doit contrôler le passe sanitaire lorsque le salarié va travailler dans une entreprise, un établissement ou service qui y sont soumis », explique la CGT. L’entreprise de travail temporaire n’a pas le droit de demander aux travailleurs intérimaires de justifier en permanence d’un passe sanitaire. Un employeur dont le secteur d’activité n’est pas soumis au passe sanitaire ne peut le demander à ses salariés. Une entreprise qui s’y est essayée a été rappelée à l’ordre par le ministère du Travail.

Contrôle du passe, oui, contrôle d’identité, non
Certains salariés vont devoir assurer le contrôle des passes des personnes souhaitant accéder à leur services. « Ce contrôle ne fait souvent pas partie des fonctions des salariés, remarque la CGT. Ceux-ci auraient alors normalement le droit de refuser cette modification de leur contrat de travail. Mais la pratique risque bien sûr d’être tout autre, selon le rapport de force dans chaque établissement concerné. »

« Les salariés pourront contrôler le passe sanitaire via le QR Code mais pas la concordance de ceux-ci avec la pièce d’identité, mentionne le syndicat Force ouvrière (FO). En effet, les contrôles d’identité n’incombent pas aux responsables d’établissements, mais uniquement aux forces de l’ordre (sauf pour les agents de la discothèque et des transports publics où il existe des dispositions spécifiques sur le sujet). »

Avec quel matériel les salariés vont-ils effectuer ces vérifications ? Normalement, c’est le gestionnaire du lieu qui doit fournir les équipements nécessaires mais « l’usage du téléphone portable personnel d’un salarié est possible avec son accord », souligne le gouvernement dans sa page FAQ, avant d’ajouter que cet usage « ne peut lui être imposé et qu’il ne saurait avoir pour effet d’entraîner des frais qui resteraient à sa charge ». L’utilisation d’un smartphone ou iphone personnel pour contrôler les passes sanitaires est-elle compatible avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD), censé s’appliquer à la collecte des données sensibles à caractère personnel ?

La CGT se dit « sceptique ». De son côté, l’association La Quadrature du Net, qui défend les libertés fondamentales, s’inquiète d’un nouveau cap passé dans la surveillance, permettant « de confier à des dizaines de milliers de personnes non-formées et non-payées par l’État (mais simplement munies d’un smartphone) la mission de contrôler l’ensemble de la population à l’entrée d’innombrables lieux publics » [4].

Quelles sanctions encourent les salariés qui ne présentent pas leur passe ?
Le Conseil constitutionnel a censuré la disposition de la loi qui prévoyait que le refus de présenter son passe sanitaire soit un motif de rupture anticipée mais il a validé la possibilité de les suspendre [5]. Avant d’en arriver là, le salarié peut d’abord demander à poser des jours de repos ou de congés payés. Il peut aussi négocier du télétravail ou le déplacement sur un poste qui ne requiert pas de passe. Autre option : aller travailler ailleurs le temps que dure la suspension. C’est possible à condition de ne pas avoir de clause de non-concurrence dans son contrat de travail (ou de ne pas accepter un emploi interdit par ladite clause).

À défaut d’accord avec son employeur sur l’une de ces options, le salarié ou l’agent est suspendu sans préavis et sans maintien de salaire. Lorsque la suspension dure plus de trois jours, l’employeur doit convoquer le salarié afin de trouver une solution pour régulariser sa situation. Les options télétravail ou changement de poste peuvent être abordées lors de cet entretien.

La CGT se dit « très fortement défavorable à ces règles de suspension, qui font supporter aux travailleurs les conséquences de la gestion de la crise sanitaire, crise qui les a déjà précarisés » . Les syndicats s’inquiètent de la charge de travail qui va peser sur les salariés vaccinés et des tensions importantes que cela risque de créer au sein des collectifs de travail. « Ces dispositions ne sont pas acceptables et pousseront à la démission des salarié-es, signale l’union syndicale Solidaires. Cela risque de fortement dégrader la situation sociale de milliers de personnes. »

« Les conséquences sur le contrat de travail de l’absence de présentation d’un passe sanitaire sont manifestement disproportionnées, pense de son côté le Syndicat des avocats de France. Le salarié dont le contrat est suspendu se retrouvera dans une situation inédite d’insécurité juridique et économique, sans ressource, sans possibilité de s’inscrire à Pôle emploi et donc de bénéficier d’un revenu de remplacement. Une sanction financière d’une telle gravité n’est pas justifiée. »

« Le gouvernement libère le pouvoir discrétionnaire des employeurs »
« Cette loi est une nouvelle attaque contre le droit du travail, pense l’Union syndicale solidaires. Les nouvelles dérogations qui y sont faites ouvrent un précédent dangereux. Elles permettent à l’employeur la possibilité de sanctions, (la suspension du contrat de travail et de la rémunération par l’employeur), pour un motif qui devrait relever du secret médical et de la compétence de la médecine du travail. »

« L’octroi d’une forme de pouvoir de police à des employeurs est inquiétant, renchérit le Syndicat des avocats de France (SAF), de même que l’absence de toutes prérogatives accordées au médecin du travail, notamment pour appréhender la situation réelle de travail de chaque salarié au regard de l’obligation de présentation du passe. »

« Le gouvernement instrumentalise la crise sanitaire pour pervertir le sens fondamental du contrat de travail, déplore l’assocation Henri Pézérat, qui s’intéresse à la santé au travail. Celui-ci avait pour enjeu de garantir les droits fondamentaux de la personne du travailleur – à la vie, à la santé, à la dignité – en reconnaissant ces droits comme limite absolue au pouvoir de l’employeur. Par le rôle donné aux employeurs dans la mise en application du passe sanitaire, il libère le pouvoir discrétionnaire de ces derniers et rend le travailleur otage de ce pouvoir. »

La question du service public, « ouvert à tous.tes sans discrimination »
Les syndicats craignent que des employeurs trouvent avec la non présentation du passe sanitaire une bonne excuse pour se débarrasser des salariés gênants. « Il est à craindre que les juges valident les licenciements de salariés qui ne se conformeraient pas, passé un certain délai, à la présentation d’un passe sanitaire, détaille la CGT. Dans la fonction publique, on peut également craindre des abus ou sanctions disciplinaires. »

Des travailleurs se sont d’ores et déjà opposés à ce rôle de flicage des usagers. A Grenoble, les agents des bibliothèques alertent depuis plusieurs semaines sur les conséquences du contrôle et les risques de dégradation de leurs conditions de travail. « Nous réaffirmons haut et fort notre attachement aux valeurs du service public, ouvert à tous.tes sans discrimination », disent-ils dans un communiqué intersyndical publié le 8 septembre. « Si le contrôle du passe est une véritable mesure de protection sanitaire, pourquoi le gouvernement en exempte-t-il les centres commerciaux ? Nous soulignons l’incohérence de cette disposition. Enfin, nous rappelons que ce n’est pas aux agent.es de subir l’incurie du gouvernement à gérer cette crise. »

Nolwenn Weiler

Notes
[1] Soit 2 doses, soit une seule si présence d’anticorps liés au Covid.

[2] Pour les salariés de moins de 18 ans, le« passe » ne peut être exigé avant le 30 septembre.

[3] C’est la loi du 5 août 2021 sur la gestion de la crise sanitaire qui définit les contours du passe sanitaire pour les salariés.

[4] Passe sanitaire : quelle surveillance redouter ?

[5] Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Premier ministre et par un recours de plus de soixante députés, ainsi que par deux autres recours émanant, chacun, de plus de soixante sénateurs. Il a rendu sa décision le 5 août 2021.