PLFSS 2020

Capital : Albert Lautman (Mutualité française) : “Le budget de la Sécurité sociale fragilise la solidarité nationale”

Octobre 2019, par infosecusanté

Capital : Albert Lautman (Mutualité française) : “Le budget de la Sécurité sociale fragilise la solidarité nationale”

le11/10/2019


Retour à l’équilibre, reste à charge hospitalier, Ehpad… Dans une interview donnée à Capital, le directeur général de la Mutualité française, Albert Lautman, liste les lacunes qui émaillent le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020. L’occasion de revenir également sur certaines réformes actées comme la CMU-C nouvelle formule ou le reste à charge zéro sur les soins optiques, auditifs et dentaires.

Alors que la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a présenté mercredi le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 en Conseil des ministres, plusieurs voix se sont élevées pour protester contre le déficit. Parmi elles, la Fédération nationale de la Mutualité française, représentant 263 mutuelles, regrette un projet de “non financement”. Elle appelle à investir dans les hôpitaux et les Ehpad, mais aussi à corriger la copie pour certaines réformes, notamment celles de la complémentaire santé solidaire et de la résiliation à tout moment des contrats de couverture des mutuelles.

Capital : Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) a été dévoilé et vous regrettez l’absence du retour à l’équilibre budgétaire dès cette année. Quelle direction aurait dû prendre l’exécutif  ?
Albert Lautman : Il existait jusque-là un principe budgétaire qui consistait à compenser toutes les mesures préjudiciables aux finances de la Sécurité sociale. Or l’exonération de cotisations sociales pour les salariés, actée par le gouvernement pour répondre aux exigences de pouvoir d’achat à la suite du mouvement des Gilets jaunes, constitue un manque à gagner de 2,8 milliards d’euros pour les comptes sociaux, soit plus de la moitié du déficit qui s’élève à 5 milliards d’euros. La solidarité nationale est donc fragilisée, alors qu’elle est déjà mal en point.

Capital : Vous jugez également trop faible le montant des dépenses d’investissement. N’est-ce pas contradictoire avec une trajectoire d’équilibre budgétaire ?
Albert Lautman : La Mutualité a beaucoup défendu la transformation de notre système de santé, mais force est de constater que le niveau de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) est très serré, et même trop restrictif au regard des besoins dans les hôpitaux, les urgences et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Si le retour à l’équilibre avait été atteint, les investissements auraient pu être réalisés. Car je rappelle que la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), alimentée notamment par 7 milliards d’euros de recettes générés par la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), donne une marge de manoeuvre suffisante à l’exécutif pour investir. Au lieu de cela, on fait financer par la Sécurité sociale ce qui relève de l’Etat.

Capital : Le PLFSS ne règle pas suffisamment la question épineuse du reste à charge hospitalier pour les patients selon la Mutualité. Pouvez-vous préciser pourquoi ?
Albert Lautman : Un seul article du PLFSS traite du reste à charge hospitalier pour les patients, il est utile mais insuffisant. La Sécurité sociale prend en charge une très large part des dépenses à l’hôpital. Mais pas toutes, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Actuellement, le ticket modérateur, restant à charge du patient lors des son séjour à l’hôpital, est calculé sur la base du tarif journalier de prestation (TJP). Il s’agit d’un montant très variable, fixé de façon opaque par chaque établissement. Le reste à charge varie sensiblement d’un patient à un autre, et ce sans explication, comme le montre l’Observatoire 2019 de la Mutualité Française. Certains hôpitaux ont gonflé le TJP pour des raisons de budget, d’autres sont restés raisonnables. Nous prônons une réforme ambitieuse et plus égalitaire, fondée sur les tarifs de prestations issus des groupes homogènes de séjours (GHS). Le reste à charge pour l’usager ne dépendrait ainsi plus de la durée du séjour. Cela constituerait une avancée puisque ce sont d’abord les personnes âgées qui supportent de longs séjours à l’hôpital. L’idée est donc de lisser l‘effort auprès de tous les usagers, afin de ne pas faire reposer toute la facture sur les plus fragiles.

Capital : Vous êtes très sévère avec ce PLFSS. N’y a-t-il donc aucune avancée ?
Albert Lautman : Si bien sûr. Le forfait post-cancer est une bonne mesure, bien qu’incomplète car l’activité physique n’est pas incluse dans le panier. La mise en place d’un congé rémunéré pour les proches aidants est aussi une bonne nouvelle pour lutter contre la dépendance. Mais ce ne sont pas des mesures très coûteuses. Le congé aidant coûtera 50 millions d’euros pour l’exercice 2020 et 200 millions en année pleine.

Capital : En revanche, le PLFSS ne s’est pas étendu sur la réforme du Reste à charge zéro (RAC 0). Avez-vous assez de visibilité pour chiffrer le potentiel impact de cette mesure sur les cotisations demandées aux adhérents ?
Albert Lautman : Nous voulons déjà réaffirmer notre soutien à la réforme du RAC 0. Il faut maintenant la traduire sans coûts supplémentaires. Selon nos analyses, il semble que l’évolution des dépenses de santé, réforme du RAC 0 comprise, entraîne une inflation des dépenses des complémentaires de l’ordre de 3% l’année prochaine, soit une augmentation similaire à celle constatée les dix dernières années. Un montant qui sera répercuté sur les cotisations des adhérents. Pour tenir ce bon objectif, il sera cependant nécessaire de remplir quelques conditions. Si la moyenne est de 3%, tout dépend évidemment de la nature du contrat. Pour les couvertures d’entrée de gamme, dites au ticket modérateur, le surcoût sera plus significatif. Du fait de la seule mise en place de la réforme du RAC 0, les dépenses prises en charge pourraient augmenter, pour ces contrats, d’au moins 5% sur 3 ans (soit 1,5 % par an environ), et plus encore pour les contrats les moins protecteurs. Pour limiter l’inflation des dépenses, nous espérons qu’un contrat de confiance entre les pouvoirs publics et les professionnels de santé s’installe.

Capital : Qu’entendez-vous par là ?
Albert Lautman : C’est-à-dire que la réforme soit déployée par les professionnels de santé auprès du plus large public possible. Pour éviter tout surcoût de primes, nous avons ainsi calculé qu’au moins 20% des lunettes vendues doivent être issues du panier de soins sans reste à charge. Ces produits, de très bonne qualité par ailleurs, ayant vu leur tarif plafonné, le remboursement des mutuelles permettra aux assurés de n’avoir aucun reste à charge. Un objectif similaire été fixé pour les audioprothèses.

Capital : Une autre réforme de longue date, la création de la complémentaire santé solidaire, sera effective dès le 1er novembre. Là encore, cette réforme est-elle conforme à vos attentes ?
Albert Lautman : Le but de cette réforme est d’améliorer le taux de recours de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de l’Aide à la complémentaire santé (ACS). L’objectif est donc louable et je rappelle que des mutuelles sont d’accord pour gérer ce dispositif, tant que le choix est laissé au particulier. Cependant, la question des coûts de gestion reste en suspens, et les mutuelles ne recevront que 30 euros par dossier traité. Or, les bénéficiaires de ces aides ont besoin d’un accompagnement renforcé, notamment pour la constitution du dossier. Sans parler du suivi du bénéficiaire, qui nécessite selon nos calculs, entre 12 et15 conversations téléphoniques par an, et parfois même des rencontres physiques. Tout ceci coûte bien plus que 30 euros ; entre 45 et 60 euros selon nos simulations.

Capital : Cette charge n’est donc pas tenable ?
Albert Lautman : Admettons qu’elle le soit. Où se trouvent les instruments pour l’accès aux droits ? Les complémentaires devront-elles assumer la charge de la communication autour du dispositif ? Ce n’est tout simplement pas possible d’un point de vue financier. Nous saluons la création de cette complémentaire santé solidaire, mais elle doit s’accompagner d’un financement adéquat et d’une pédagogie auprès des potentiels bénéficiaires car je rappelle que les mutuelles financent déjà l’intégralité de la CMU-C et de l’ACS par des taxes prélevées sur les cotisation de complémentaire santé.

Capital : Le 1er décembre 2020 entrera en vigueur la résiliation, à tout moment, des contrats de complémentaire santé. Vous avez longtemps contesté cette mesure, mais n’est-ce pas une avancée pour l’assuré ?
Albert Lautman : Je ne le crois pas. Le marché des complémentaires santé, avec plus de 400 acteurs, est déjà extrêmement concurrentiel. Or la concurrence entre les établissements peut augmenter les coûts, notamment par les résiliations plus fréquentes qu’elle induit et la communication accrue pour acquérir des clients. Selon les chiffres de la Dress, (organisme de statistiques du ministère de la Santé, ndlr), les organismes qui appliquent les tarifs les plus élevés sont ceux dont les coûts de gestion sont les plus importants. Je parle ici des “bancassurances”. Donc l’idée de dire que l’on va baisser le coût des assurances avec davantage de compétition, nous n’y croyons pas. Les taux de redistribution des mutuelles en matière de complémentaire santé sont d’ailleurs meilleurs que ceux des bancassurances, toujours selon la Dress.


Capital : La loi Hamon, qui permet de résilier plus facilement son assurance auto, emprunteur et habitation, n’est-elle pas un exemple à suivre ?

Albert Lautman : Justement non ! Car les prix n’ont pas baissé pour ce type d’assurance, bien au contraire. Et le taux de résiliation n’a pas bondi. Considérer que les assurances santé sont des produits de consommation similaires à l’assurance de biens est quelque chose de dangereux comme l’avait déjà expliqué Thierry Beaudet (président de la Mutualité Française, ndlr). Enfin, le dernier danger est de segmenter la population : d’un côté les jeunes en bonne santé cotisant peu, et de l’autre les seniors payant des factures sans cesse plus lourdes.

Capital : Les mutuelles s’étaient également engagées à rendre plus lisibles les contrats, souvent difficiles à déchiffrer. Les acteurs se sont-ils mobilisés comme prévu ?
Albert Lautman : Nous communiquerons bientôt en compagnie du gouvernement et de l’Unocam (Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire, ndlr). Chez la Mutualité, tous les grands acteurs - MGEN, Harmonie, Aesio, Matmut - ont mis en oeuvre l’engagement de lisibilité qui vise à faire mieux comprendre les postes de protection pour les assurés. Les intitulés sont maintenant uniformisés et publiés sur les sites des mutuelles, avec des exemples communs de remboursement, affichés désormais en euros. Notre devoir a donc été rempli. A l’occasion de l’envoi des tarifs 2020, nous communiquerons également le montant des frais de gestion pour les assurés, comme le prévoit notre engagement.

Propos recueillis par Alexandre Loukil