Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart -Dix à table et un virus au milieu. A l’Elysée, les irresponsables de la République

Décembre 2020, par Info santé sécu social

17 DÉCEMBRE 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Le président de la République a été testé positif au Covid-19. Mercredi soir, à la
table de l’Élysée, ils étaient dix « à table », enfreignant les règles. Aucune campagne de dépistage n’est pourtant prévue au sommet de l’État : le discrédit est total. Mais comment espérer que les Français suivent les consignes sanitaires quand leurs dirigeants ne les appliquent pas ?

Qui a bien pu penser, quelque part sous les ors de la République, qu’il restait assez de crédit politique pour le dilapider en un dîner nocturne ?

Dans l’épuisant chaos de cette gestion de crise, il y avait un message plutôt clair, répété avec une certaine constance depuis quelques semaines : « pas plus de six à table », a dit Emmanuel Macron le 14 octobre au 20 heures, les yeux dans les yeux des Français. C’est une « règle dont je voudrais que chaque citoyenne et citoyen se l’approprie pleinement ».

Le président de la République a été testé, ce jeudi matin, positif au coronavirus. Or hier soir, révèle Le Point, il dînait avec des membres de la majorité et de sa garde rapprochée : le premier ministre Jean Castex, le secrétaire général Alexis Kohler, le président du groupe LREM à l’Assemblée Christophe Castaner, le président du Modem François Bayrou, etc. Ils n’étaient pas 6 à table, mais « une dizaine ». Ce dîner n’était pas à l’agenda du président, et s’est terminé « à minuit et demi », enfreignant au passage le couvre-feu fixé à 20 heures.

Ce n’était même pas un écart. Alors que les Français s’apprêtent à se priver d’une partie de leur famille le soir de Noël, mardi, le président de la République a déjeuné avec les 9 présidents de groupe à l’Assemblée. Ils étaient 11 à table, puisque le président de l’Assemblée Richard Ferrand était également présent, comme au dîner de mercredi soir, en habitué.

Lundi, Emmanuel Macron a encore déjeuné avec le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez, le président du conseil européen Charles Michel, et Angel Gurría, le secrétaire général de l’OCDE.

« La crise de confiance tient moins aux discours qu’au décalage entre les discours et les actes », vient pourtant d’oser affirmer Emmanuel Macron, dans un entretien de haut vol qu’on peinerait à résumer, où il évoque son rapport à la langue française et au discours politique.

« Si vous […] ou moi-même nous tombons malades demain, c’est que nous n’aurons pas fait aussi attention que nécessaire […]. C’est une question de responsabilité », sermonnait, quelques semaines plus tôt, Richard Ferrand, quatrième personnage de l’État.

Les prenant au mot, on peut affirmer qu’il y a des irresponsables à la tête de la République.

Les femmes et les hommes politiques, en raison de leurs nombreux contacts, présentent de haut risque de contracter et de propager le virus. Au printemps, le coronavirus a circulé à l’Assemblée nationale, le député Les Républicains du Haut-Rhin Jean-Luc Reitzer en a réchappé de justesse.

Il circule de nouveau au cœur de l’État, de déjeuners officiels en dîners officieux, de conseils de ministres en conseils européens. En tout autre lieu, une urgente campagne de dépistage serait conduite, au plus vite.

Las ! L’Élysée s’en tient à la définition, très lâche, du cas contact : un contact à moins d’un mètre, quelle que soit sa durée, ou de 15 minutes dans un lieu confiné. Les palais de la République autorisant la distance sociale, seuls Jean Castex, Richard Ferrand et Alexis Kohler sont considérés comme des cas contacts, a communiqué l’Élysée.

Pendant ce temps, tous les habitants du Havre sont invités par le maire et ancien premier ministre Édouard Philippe à la première campagne de dépistage massif, financée par l’État. Jusqu’ici, ils n’affluent pas.

Pourquoi suivraient-ils les tristes consignes sanitaires quand leurs dirigeants ne se les appliquent même pas ? Comment alors éviter une nouvelle explosion épidémique avec les fêtes de fin d’année ?

Faute d’avoir su éradiquer le virus, à l’image de la plupart des pays asiatiques, la France ne parvient qu’à freiner sa circulation, en limitant les contacts à risque. Or les repas jouent un « rôle central » dans la propagation du virus, comme l’ont montré de nombreux exemples de super-contaminations à l’étranger, et comme le confirme enfin la première étude française sur les lieux de contamination au SARS-CoV-2, publiée par l’institut Pasteur.

C’est une étude d’ampleur, réalisée avec l’assurance-maladie, Santé publique France et l’Institut Ipsos, auprès de 30 000 Français testés positifs entre les 17 et 29 octobre derniers.

Elle rappelle à quel point le virus est contagieux, se joue des gestes barrières au moindre relâchement, passe inaperçu chez de nombreuses personnes. 35 % des cas positifs interrogés ne savent pas comment ils ont été contaminés. 44 % connaissent la personne source et 21 % suspectent un événement particulier.

L’importance des contaminations à l’intérieur des familles est confirmée. Quand la personne source est connue, elle est, dans 35 % des cas, à l’intérieur du foyer, et la plupart du temps ce sont les conjoints. Quand la contamination a eu lieu à l’extérieur des foyers, elle survient dans un tiers des cas « dans le cercle familial (33 %), puis dans le milieu professionnel (29 %), puis dans le milieu amical (21 %) ». Et « les repas jouent un rôle central dans ces contaminations, que ce soit en milieu familial, amical, ou à moindre degré professionnel », insiste l’Institut Pasteur. « Les bureaux partagés sont également importants en milieu professionnel. »

L’utilité du masque est confirmée. Il « n’a été ni porté par la personne source ni par le cas index dans 93 % des cas de contamination dans la sphère privée et 45 % dans la sphère professionnelle ». Mais dans 55 % des cas, dans la sphère professionnelle, le masque n’a pas empêché la transmission du virus. L’étude rappelle aussi l’importance d’aérer : « Le contact a eu lieu en intérieur (fenêtres fermées) dans environ 80 % des cas. »

L’étude évalue également le risque d’être contaminé. Certaines professions sont plus à risque : les cadres administratifs, les professions de la santé, les ouvriers de l’industrie, les chauffeurs. Avoir participé à une réunion professionnelle ou familiale est aussi un facteur de risque, comme la fréquentation des bars, restaurants, et salles de restaurants.

Le risque augmente avec le nombre de personnes vivant dans le foyer, ou encore avec la pratique du co-voiturage.

Revient ce même paradoxe avec les enfants : ils sont rarement identifiés comme des sources de contamination. Pourtant, vivre avec des enfants qui fréquentent la crèche, l’école primaire ou maternelle, le collège ou le lycée représente un sur-risque d’être infecté. Pour les auteurs, cela prouve une nouvelle fois que les enfants sont peu ou pas symptomatiques. Mais ils peuvent transmettre, n’en déplaise au ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer.

D’une manière étonnante, le personnel enseignant parvient à se protéger du virus : il est moins à risque que le reste de la population. Cela montre l’efficacité du port du masque, mais aussi leur respect des gestes barrières.

Plus surprenant encore : les étudiants sont eux aussi moins exposés. Pourtant, les jeunes ont été très touchés par le virus cet été. Les auteurs ont une explication : quand l’étude a été réalisée, à l’automne, les universités étaient fermées, ce qui « a permis de contrôler la circulation du virus dans cette population ».

Manque dans l’étude le personnel politique. Mais l’agenda des derniers jours d’Emmanuel Macron montre qu’il persiste dans de nombreux comportements à risque.

Le président de la République clôt donc à l’isolement cette année tragique, parachevant le riche bêtisier politique. La séquence est symptomatique de la conduite politique de cette crise sanitaire : des mesures drastiques prises au pied du mur. Puis le déni, l’oubli, le désir de « vivre avec le virus », qui est le désir du monde d’avant.