Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Du côté de la science - La pandémie de COVID-19 n’est pas terminée : quelle stratégie pour aujourd’hui et pour demain ?

Mai 2022, par Info santé sécu social

La pandémie de COVID-19 semble terminée : politiques et médias n’en parlent plus. La campagne présidentielle aurait pu être l’occasion de faire un bilan. Mais pas un mot, rien ou presque, à tel point que l’on pouvait avoir le sentiment étrange que la crise sanitaire n’avait jamais eu lieu. Après avoir vécu pendant deux ans à travers le prisme du COVID-19, ne plus en parler serait une façon non seulement de tourner la page, mais de l’arracher du livre.

Après chaque vague épidémique, on avait déjà observé un phénomène similaire de déni de la situation pandémique. Mais cette fois-ci, l’occultation prend un tour massif.

De fait, la situation a changé. Nous ne sommes plus en 2020, avec une population naïve et sans protection face à ce nouveau coronavirus, et les scientifiques du monde entier mobilisés à la recherche de vaccins et de traitements. Nous ne sommes pas non plus en 2021, avec une couverture vaccinale qui augmentait très progressivement, et des variants plus virulents que la souche originelle, qui tentaient de contourner la protection vaccinale. La situation a changé. Les mesures prises en 2020 pour contenir la circulation virale (confinements, couvre-feu…) seraient aujourd’hui disproportionnées.

Le variant Omicron moins virulent que Delta et la large couverture vaccinale (80 % dont 59 % avec dose de rappel) ont conduit à revoir à la baisse les mesures barrière. Pour autant, il ne s’agit pas de les abandonner, car la pandémie n’est pas terminée. Les vacances scolaires et les conditions météorologiques plus favorables s’accompagnent actuellement comme en 2020 et 2021 d’une amélioration des indicateurs. Néanmoins, plusieurs dizaines de milliers de cas positifs au SARS-CoV-2 sont encore détectés chaque jour. On a toujours plus de 7000 malades avec un diagnostic COVID-19, dont 700 en soins critiques, hospitalisés chaque semaine depuis plusieurs semaines. Les hospitalisations en cours ne sont pas descendues en dessous de 20 000 depuis début janvier, les soins critiques en cours oscillent entre 1400 et 1600 depuis un mois et demi. Le nombre de décès n’est jamais descendu en dessous de 100 par jour depuis début décembre dernier. Quant aux symptômes prolongés 3 mois après COVID-19 (Covid long), leur nombre n’est pas encore connu avec certitude.

Le rapport entre le nombre d’infections et les formes graves a considérablement diminué, mais les deux restent corrélés, avec des sous-variants beaucoup plus contagieux : plus il y a de cas, plus il y a de formes graves, mais aussi de formes prolongées. Les formes symptomatiques non hospitalières ont fortement augmenté du fait de l’importante contagiosité des variants Omicron en circulation (BA.1 puis BA.2), entraînant de considérables perturbations dans les activités professionnelles, économiques ou scolaires, en lien avec les absences pour maladie. Ce bilan actuel ne permet pas de décréter la fin de la pandémie.

Selon nous, plusieurs enseignements doivent être tirés des deux années qui viennent de s’écouler.

Le premier enseignement est que nous devons développer une véritable culture de prévention, allant jusqu’à la précaution dans les situations d’incertitude. La précaution, c’est ne pas faire comme si l’on savait, lorsqu’on ne sait pas. Personne ne peut prédire comment la situation va évoluer ces prochains mois, si les nouveaux variants seront plus ou moins virulents, combien Omicron entraînera de Covid longs, s’il y aura ou non de nouvelles vagues, si nous développerons des vaccins plus efficaces contre la transmission. Décréter la fin de la pandémie, en proclamant une endémie salutaire, ou en imaginant que les futurs variants seront toujours moins virulents, revient à manquer de précaution. Nous ne plaidons pas pour l’alarmisme, pas plus que nous ne faisons commerce de la peur : il s’agit simplement d’être cohérent et d’agir rationnellement quand les connaissances sont encore parcellaires et en évolution.

Bien qu’encore limitées, nos connaissances se sont améliorées depuis deux ans. Nous savons que le SARS-CoV-2 se propage principalement par voie aérienne. Nous savons également qu’il se propage plus facilement dans les lieux clos peu ou mal aérés. Des particules virales peuvent être excrétées dans l’air que nous expirons, s’accumuler dans les lieux mal ventilés, et être inspirées par d’autres. Or, nous savons comment limiter ce phénomène : par le renouvellement de l’air, qui réduit l’accumulation de particules virales, et par le port du masque, qui filtre l’air expiré (masque chirurgical) et/ou l’air inspiré (FFP2).

Supprimer l’obligation du port de masque en lieux clos en mars 2022 a entraîné un large abandon de cette mesure, malgré le maintien d’une forte recommandation. Aucune mesure d’envergure n’a été prise pour améliorer la qualité de l’air, notamment dans les écoles, avant l’automne prochain. Rien n’est fait pour préparer la population et le système de santé dans le cas de l’arrivée d’un nouveau variant plus virulent Les autorités politiques et sanitaires devraient mettre en place des protocoles de continuité des soins et de l’activité économique afin de diminuer l’impact sur la société dans son ensemble en cas de nouvelle vague. Ce n’est plus le temps qui manque comme lors de la découverte de la transmission aérosol en juillet 2020, c’est désormais la volonté.

Le deuxième enseignement, c’est qu’en période de circulation élevée d’un virus très contagieux, nous devons viser un objectif de diminution de la circulation virale. Moins le virus circule, moins il cause de dégâts. Attraper le Covid comporte un risque, et n’apporte pas d’immunité durable. Porter un masque dans les lieux clos, et aérer ces lieux, sont des mesures simples pour limiter le nombre de personnes infectées. Les principaux lieux propices à la propagation virale sont connus : bars/restaurants et autres lieux de restauration collective, collectivités d’enfants et lieux d’enseignement (crèches, écoles, collèges, lycées, universités…), lieux d’activités professionnelles… À l’exception des lieux de restauration (pour des raisons évidentes), et tant que la circulation virale reste forte, le port du masque devrait continuer d’être fortement recommandé dans ces lieux. Dans les lieux de restauration, le renouvellement de l’air devrait être mesuré par des capteurs de CO2 et assuré par l’ouverture des fenêtres, en privilégiant quand c’est possible les terrasses en extérieur. Ces mesures permettraient d’assurer le maintien de ces activités sociales et économiques en réduisant la circulation virale. A terme, des investissements dans des systèmes efficaces de renouvellement de l’air dans les lieux clos devraient être déployés. De même que nos sociétés ont investi dans la propreté de l’eau à la suite des travaux du médecin John Snow et des développements de l’infectiologie, la première moitié du 21e siècle devrait être celle de la propreté de l’air. De tels investissements conduiraient, par ailleurs, à réduire la nécessité des masques dans certains lieux clos en période épidémique.

Les mesures conjoncturelles doivent être déclenchées ou suspendues en fonction d’indicateurs épidémiologiques. Elles supposent un suivi fiable de la circulation virale, avec un recours plus soutenu au dépistage, et surtout une mesure de celle-ci par des études épidémiologiques indépendantes des tests réalisés par la population, comme au Royaume Uni. Le suivi des indicateurs hospitaliers et en établissements sociaux et médico-sociaux (EHPAD…) reste également important pour estimer les conséquences de la circulation virale, mais ils sont plus tardifs et ne permettent pas d’anticiper les évolutions épidémiques. Le niveau de circulation virale à partir duquel on peut lever l’obligation du port du masque dans tel ou tel type de lieu doit être déterminé avec les épidémiologistes, en expliquant clairement à la population les conséquences attendues et acceptées.

Rappelons que les vaccins actuels réduisent les risques d’infection et de transmission, mais que leur efficacité majeure porte sur les formes sévères de la maladie (hospitalisation, réanimation, décès). Or, si 80% de la population bénéficie d’un schéma de vaccination dit complet, ce n’est pas le cas de près de 7% des personnes âgées de 60 ans et plus (plus d’1 million de personnes), et plus spécialement de 12% des 80 ans et plus (500 000 personnes). Près de 3 millions de personnes âgées de 60 ans et plus n’ont par ailleurs pas eu recours à une dose de rappel. Malheureusement les sous-variants d’Omicron ont contourné en partie la protection liée au vaccin et trois à quatre mois après une injection l’efficacité vaccinale contre l’infection diminue, même si le patient reste protégé très efficacement contres les formes sévères

Nous devons également protéger les enfants contre la Covid-19. 95% des 5-11 ans, soit plus de 5,4 millions, ne sont pas vaccinés. Ce sont en outre près de 3,7 millions d’enfants de 0 à 4 ans qui n’ont pas accès à la vaccination. Au total, plus de 9 millions d’enfants ne sont pas protégés par la vaccination. Or, depuis janvier, près de 10 000 d’entre eux âgés de moins de 10 ans ont été hospitalisés, et 18 sont décédés ces 4 derniers mois, contre 15 entre mars 2020 et décembre 2021. La campagne vaccinale pédiatrique est en France un échec, et les autorités politiques et sanitaires devraient être pro-actives sur ce sujet, d’autant que les études révèlent qu’être infecté par Omicron sans vaccination antérieure n’entraîne pas d’immunité durable.

L’extension de la couverture vaccinale chez les personnes non-vaccinées, et les doses de rappel au moins pour les personnes dont les facteurs de risque sont particulièrement prononcés (personnes immunodéprimées et immunosénescentes), apparaissent également comme un objectif prioritaire, afin de favoriser la réduction des hospitalisations et des décès, mais aussi potentiellement de contribuer à celle des Covid longs. Un nombre non négligeable de patients les plus à risque : dialysés, transplantés, ou atteints d’un cancer, sont insuffisamment protégés par un schéma vaccinal incomplet, ce qui pose la question de l’information qui leur a été transmise par les soignants qui les prennent en charge.

Enfin, la pandémie a rappelé ce qui est une évidence en santé publique depuis la fin du 19e siècle : les épidémies sont des phénomènes populationnels. Leur gestion ne peut être laissée aux seuls individus, et encore moins aux seuls vulnérables. Invoquer sa liberté individuelle contre les mesures non-pharmaceutiques, ou considérer que le port du masque est de l’ordre de la seule responsabilité individuelle des sujets fragiles, c’est faire comme si on pouvait sérieusement envisager d’isoler les seules personnes immunodéprimées, aussi bien sur le plan moral que sur le plan opérationnel. Il est important d’identifier les spécificités médicales et vaccinales des personnes qui meurent actuellement pour renforcer la prévention individuelle autour de ces personnes ; néanmoins, cela ne saurait justifier un abandon de la prévention collective. La société s’incarne dans les relations et interactions sociales, qui constituent les voies de transmissions des virus respiratoires. Les mesures à prendre sont donc collectives, et par conséquent de la responsabilité des pouvoirs publics.