Retraites complémentaires

Fondation Copernic - Retraites complémentaires : la régression continue (octobre 2015)

Novembre 2018, par Info santé sécu social

Par Christiane Marty

Un accord de principe sur les retraites complémentaires Agirc et Arrco a été conclu le 16 octobre dernier entre le patronat (Medef, CGPME et UPA) et trois syndicats (CFDT, CFE-CGC et CFTC).

L’objectif était de rétablir l’équilibre financier de ces caisses. Suite à la crise, leurs comptes sont devenus déficitaires après 2008 du fait de la dégradation de l’emploi et de la stagnation des salaires. En 2014, le déficit est de 3,1 milliards d’euros.

Mais les caisses Agirc et Arrco ont des réserves, respectivement 14,1 et 61,8 milliards d’euros (résultats 2014) dont la fonction est précisément de faire face à une conjoncture défavorable.

La dramatisation des difficultés pour assurer le financement futur des retraites est un classique pour mieux faire accepter des réformes régressives.

Concernant les retraites complémentaires, les cycles de négociation entre patronat et syndicats de salarié-es [1] se sont succédés depuis une vingtaine d’années. Ils ont organisé une baisse continuelle du niveau relatif des pensions complémentaires servies, comme des pensions à venir à travers la baisse du rendement du point (voir annexe sur le fonctionnement des régimes complémentaires). Ainsi en 19 ans, de 1990 à 2009, le taux de remplacement des pensions complémentaires a baissé de plus de 30 % dans chacun des régimes, ce qui est une baisse encore plus sévère que dans le régime de base !
La constante de la part du Medef est son refus de voir sa cotisation augmenter et sa volonté de reculer l’âge de départ.
L’objectif sous jacent vise à favoriser le déplacement des cotisations vers l’épargne et les assurances privées. La négociation actuelle poursuit et aggrave la tendance des accords précédents.

Les efforts sont loin d’être partagés !
Les mesures prévues dans l’accord devraient dégager une économie annuelle de 6 milliards d’euros en 2020… qui pèsent quasi exclusivement sur les salarié-es et retraité-es. Le patronat a bien fini par accepter une (légère) hausse de sa cotisation, sa contribution est ainsi estimée entre 500 et 700 millions d’euros… soit autour de 10 % seulement du montant total de l’économie. De plus, le Medef s’est vanté d’avoir obtenu la garantie que l’État compensera une partie significative de cette contribution par une baisse des cotisations accident du travail et maladies professionnelles ! L’accord est un marché de dupes.

La principale mesure d’économie, la sous-indexation des pensions, devrait rapporter 1,3 milliard en 2017 et 2,6 milliards en 2030. La revalorisation des pensions sera inférieure d’un point au taux de l’inflation jusqu’en 2018 inclus, sans toutefois pouvoir être négative. Cette mesure reconduit donc pour trois ans supplémentaires la sous-indexation (dite) temporaire pour 2014 et 2015 qu’avait instaurée le précédent accord signé en mars 2013… et qui contribue à la perte régulière de pouvoir d’achat des pensions actuelles.

De plus, la date de revalorisation des pensions est décalée du 1er avril au 1er novembre, soit 7 mois de report. Ces deux mesures cumulées, sous indexation et report de la date, représentent une économie pour les caisses de 4,1 milliards en 2030, et donc un manque à gagner équivalent pour les retraité-es…

Autre mesure mise en œuvre dès 2016, la baisse du rendement des cotisations de retraite, opérée par une augmentation du prix d’achat du point (voir annexe). Le rendement brut [2] est aujourd’hui de 6,56 %, pour l’Agirc comme pour l’Arrco. L’objectif est de l’abaisser à 6 %, soit une nouvelle baisse de 8,5 % du niveau relatif des pensions complémentaires par rapport à aujourd’hui (cf. tableau ci-dessous, dont les données pour 1993 et 2014 sont extraites du rapport de la Cour des comptes de décembre 2014, Garantir l’avenir des retraites complémentaires). Le gain attendu est de 1,1 milliard en 2030. Ce sont les droits futurs des salarié-es à la retraite qui continuent à être dégradés.

Outre la baisse du rendement, il est prévu à partir de 2019 une augmentation du taux d’appel des cotisations (voir annexe sur le fonctionnement), qui passera de 125 à 127 %. Ce qui rapportera 1,2 milliard en 2030.

L’accord prévoit aussi une augmentation des cotisations des cadres, avec une répartition différente selon les tranches de salaire, accompagnée d’une modification du partage de la cotisation avec l’employeur. Il entérine la fusion future des régimes Agirc et Arrco, moyennant une négociation future pour (re)définir un statut de l’encadrement.

Remarque :
la compensation entre Agirc et Arrco joue comme un dispositif anti-redistributif
Depuis 1996, le système de compensation existant entre les deux caisses prend la forme d’un transfert financier récurrent et croissant de l’Arrco vers l’Agirc. En 2014, ce transfert s’est chiffré à 1,2 milliard d’euros. Le principe de solidarité entre caisses est juste et nécessaire. Simplement, la compensation qui en découle ici fait contribuer de manière répétée les non-cadres – statut d’ouvriers et employé-es – pour financer le régime des cadres, voire des hauts cadres. Elle s’avère être un dispositif antiredistributif. Il serait donc utile de voir comment le corriger, à travers notamment l’assiette et les taux de cotisation sur les différentes tranches de salaire.
Un système d’abattement et de bonus : c’est la mesure la plus significative, même si ce n’est pas la plus « rentable ». Elle aboutit à repousser d’un an l’âge où une personne peut toucher sa pension (base et complémentaire) sans aucun abattement. Comment s’appliquera-telle ? À partir de 2019, une personne qui a atteint l’âge légal de départ à la retraite (62 ans) et qui a la durée de cotisation exigée pour bénéficier du taux plein se verra appliquer un abattement de 10 % sur sa pension complémentaire, et ceci pendant trois années (deux années fermes, l’application la troisième année sera éventuellement rediscutée en 2021). Pour éviter l’abattement, la personne devra rester en emploi un an de plus, jusqu’à 63 ans donc.
Plus généralement, à partir de 62 ans, toute personne qui arrive au moment où elle obtient la durée de cotisation exigée jusqu’à présent pour la pension de base à taux plein devra travailler un an de plus pour ne pas subir d’abattement sur sa pension complémentaire (l’abattement ne s’applique plus à partir de 67 ans). Le principe de cette mesure est donc à la fois de reculer d’un an, de 62 à 63 ans, l’âge d’ouverture du droit à la retraite à taux plein, mais aussi d’allonger d’un an la durée de cotisation ouvrant le droit au taux plein pour la pension complémentaire !Certes, il est prévu un abattement réduit (5 %), voire nul, pour les retraité-es dont la pension est assez faible pour être éligible au taux de CSG réduit ou nul. La CFDT se félicite de cette clause qui, dit-elle, « exonère de cette contribution un tiers des futurs retraités, les plus modestes » (l’abattement est en effet nommé « contribution de solidarité » par les partisans de l’accord). La CFDT assure aussi que « tous les salariés partant à la retraite avec moins de 1100 euros ne seront pas concernés par l’effort de solidarité [3] ». Il semble que pour justifier l’accord, ce syndicat s’avance sur des données infondées (voir ci-dessous).Remarque : Qui sera exonéré de l’abattement sur la pension ?

L’accord prévoit que seront exonérés d’abattement les retraités exonérés de CSG, et que l’abattement sera réduit à 5 % au lieu de 10 % pour les retraités soumis au taux réduit de CSG. Ce qui est précis mais pas très parlant. Combien seront concernés ? La CFDT affirme qu’un tiers des futurs retraités seront exonérés d’abattement. Difficile de trouver la source de ce chiffre [4], que le syndicat ne donne pas. Cela signifierait qu’un tiers des nouveaux retraités auront une pension suffisamment faible pour être éligible au taux nul de CSG. Examinons la situation actuelle, en termes de proportion de personnes concernées et de seuil de pension qui permet l’exonération de CSG.

Quelle proportion ?
En 2012, 31 % des personnes retraitées étaient exonérées de CSG [5]. Mais ce pourcentage concerne l’ensemble des personnes à la retraite et non le flux des nouveaux retraités, c’est-àdire les « liquidants » de l’année. En 2004, cette même proportion était de 38 %, soit supérieure de 7 points. Elle décroit régulièrement au fil du temps. Chaque année en effet, il y a un renouvellement avec de nouvelles générations qui arrivent à la retraite et qui remplacent de plus anciennes ayant de plus faibles pensions [6] (effet dit de noria). En tout état de cause donc, si la part des retraités exonérés de CSG est de 31% pour l’ensemble des retraités actuels, on voit mal comme cette part pourrait être de 33 % pour les futurs retraités chaque année. À moins d’anticiper de nouvelles réformes régressives… De plus, il faut remarquer que les conditions d’attribution des taux réduit et nul de CSG sur les pensions viennent d’être modifiées en 2015. Aucune statistique n’est donc encore disponible sur la part des retraités exonérés de CSG (ou à taux réduit) avec la nouvelle règle, ni sur ces données pour le flux des nouveaux retraités de 2015. Ce qui rend hasardeuse toute projection…

Quel seuil de pension ?
Le nouveau critère pour bénéficier d’un taux réduit ou nul de CSG sur la pension est basé sur le revenu fiscal de référence [7] (RFR). Pour une personne seule, le RFR en dessous duquel est appliqué un taux nul de CSG a été fixé à 10 633 euros. Ce qui correspond à un revenu de 11 814 euros [8], soit une pension mensuelle maximale de 985 euros. Le taux réduit de CSG s’applique pour un RFR compris entre 10 633 et 13 899 euros. Une personne dont la pension est de 1100 euros ne sera donc pas exonérée d’abattement, comme l’affirme pourtant la CFDT, mais elle sera soumise à l’abattement de 5 %.

Pour les couples, le taux nul de CSG est appliqué si le revenu fiscal de référence est inférieur à 16 311 euros (et le taux réduit jusqu’à 21 322 euros). Le problème est que les couples mariés ou pacsés étant imposés de manière conjointe, le RFR est le même pour les deux conjoints, quel que soit le niveau respectif de leur revenu. Or dans la grande majorité des couples, la femme a un salaire ou une pension inférieure à celle du conjoint. Ainsi, même si la pension de la femme est éligible à un taux nul de CSG, et donc éligible à un abattement nul, elle risque fort de se voir tout de même concernée par l’abattement de 10 % du fait d’un revenu plus élevé de son conjoint qui fera passer le RFR au dessus du seuil… Par exemple, si une femme a une pension de 750 euros – ce qui devrait l’exclure de tout abattement potentiel – et si son conjoint a une pension de 1250 euros, la femme sera concernée par l’abattement de 10 % sur sa pension personnelle. Il semble que ce problème n’ait pas été pris en compte. Au détriment de nombreuses femmes…

Un bonus est aussi instauré. Les personnes qui prolongeront leur activité pendant un, deux ou trois ans après avoir atteint les conditions requises – à la fois l’âge de 62 ans et la durée de cotisation – pour bénéficier du taux plein profiteront d’un bonus respectif de 10 %, 20 % ou 30 %… Toutefois, ce bonus sera appliqué pendant un an et non trois comme l’abattement.

Les chômeurs et les femmes plus pénalisés
Ce système de malus et bonus permettra, selon le patronat, d’agir sur le comportement des salarié-es à qui il reviendrait ainsi de décider de poursuivre ou de cesser leur activité, selon le niveau de pension souhaité. La fameuse retraite à la carte ! On mesure la tromperie de cet argument lorsqu’on sait que 56 % des personnes ne sont plus en emploi au moment où elles liquident leur retraite. Que signifie alors les inciter à travailler plus longtemps ? Pour l’instant, dès que les chômeurs atteignent la durée de cotisation exigée (les périodes de chômage indemnisé valide une durée de cotisation), ils sont mis d’office à la retraite selon le règlement actuel de l’assurance chômage. Subiront-ils alors l’abattement ?
Comme dans les réformes du régime de base, l’augmentation de la durée de cotisation et le report de l’âge d’ouverture des droits pénalisent davantage les femmes car elles ont toujours aujourd’hui des carrières plus courtes. Leur pension moyenne en 2014 ne représente que 60,5 % de celle des hommes, pourcentage qui tombe même à 40,2 % pour la pension servie par l’Agirc. Elles liquident leur retraite plus tard que les hommes (8 mois plus tard en moyenne à l’Arrco). En outre, même si une femme a une pension très faible, elle ne sera pas pour autant exonérée de l’abattement, car le critère retenu renvoie en réalité au revenu du couple (voir encadré ci-dessus). L’accord prévu va donc à l’encontre de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes, quoiqu’en disent ses partisans. Rappelons qu’une étude de la CGT a montré que si l’égalité salariale entre les femmes et les hommes était réalisée, une grande part du déficit des caisses de retraite serait comblée.

Régimes complémentaires, champions de la régression ?
Le système d’abattement et de bonus devrait rapporter 800 millions à l’horizon 2030, soit relativement peu par rapport aux 6 milliards prévus. L’affrontement rude qui a eu entre les syndicats et le patronat sur cette question témoigne du caractère idéologique de la mesure. Le Medef peut être satisfait, les régimes complémentaires vont constituer un point d’appui pour repasser à l’offensive sur l’âge légal de départ à la retraite. Ces régimes deviennent même à la pointe de la régression sur les retraites, puisque l’accord recule de fait à 63 ans l’âge d’ouverture des droits à la retraite à taux plein (sans passer par la loi !) et qu’il augmente d’un an la durée de cotisation, au-delà de l’augmentation instaurée par les réformes passées sur la retraite de base !

Contrairement au régime général, il n’y a pas dans les régimes complémentaires de taux de remplacement (pension sur salaire) fixé à l’avance et les salarié-es n’ont aucune visibilité sur ce que sera le montant de leur pension. L’ajustement de l’équilibre financier des caisses se fait de manière négociée entre « partenaires sociaux », en réglant divers paramètres comme le taux d’appel, le rendement du point, etc. et donc maintenant, vont s’y ajouter le niveau d’abattement (5 %, 10 %) et la durée pendant laquelle il sera appliqué ! Tout cela est complexe, reste obscur pour la plupart des personnes et n’occupe pas en général le devant de la scène médiatique. Pourtant les enjeux sont importants. Il faut rappeler que des solutions justes existent pour financer nos retraites : augmenter les cotisations (la baisse programmée des pensions vise non pas à limiter le niveau de cotisations salariales, mais à les déplacer du système public de retraite vers la finance privée), et bien sûr réduire le chômage, améliorer l’emploi, réaliser l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, organiser un autre partage des richesses.
Pour télécharger l’article :

[1] A la différence de la caisse nationale d’assurance vieillesse CNAV gérant la pension de base, les caisses complémentaires sont de droit privé et gérées paritairement à 50% par des organisations patronales (Medef, CGPME, UPA) et 50% par les représentants des organisations syndicales
[2] Le rendement brut effectif est défini comme le rapport entre la valeur du point et le salaire de référence majoré du taux d’appel. Concrètement, il correspond à l’inverse mathématique du nombre d’années de retraite au bout desquelles la somme des pensions reçues atteint le montant des cotisations versées au cours de sa carrière. Exemple pour un taux de 6% : 1/6 = 16,7 années. Attention : un euro cotisé aujourd’hui a une valeur bien supérieure à un euro qui sera reçu plus tard pour la pension.
[3] Tribune de J.C. Malys, secrétaire national de la CFDT, parue sur le site de Marianne le 17 octobre.
[4] La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) déclare ne pas publier de statistiques sur les nouveaux liquidants et le taux de CSG.
[5] Données de la Drees, Échantillon interrégimes EIR 2012 et EIR 2004.
[6] L’effet positif de ce renouvellement par des retraités ayant des pensions supérieures à celle des générations plus anciennes est à ce jour encore supérieur à l’effet négatif des réformes passées qui aboutissent à diminuer les droits à pension des salarié-es d’aujourd’hui. La pension brute moyenne de droit direct a ainsi augmenté de 1029 euros en 2004 à 1306 euros en 2013.
[7] Le nouveau critère répond à l’objectif de prendre en compte l’ensemble des revenus et non plus le niveau d’impôt.
[8] Le fisc applique en effet un abattement de 10 % sur le revenu déclaré.