L’hôpital

France Info : Epuisement des soignants, difficulté de recrutement... On vous explique pourquoi un lit sur cinq est fermé dans les hôpitaux publics

Octobre 2021, par infosecusanté

France Info : Epuisement des soignants, difficulté de recrutement... On vous explique pourquoi un lit sur cinq est fermé dans les hôpitaux publics

Article rédigé par Guillemette Jeannot France Télévisions

Publié le 28/10/2021
.
Selon une enquête du Conseil scientique, 20% des lits seraient actuellement fermés dans les hôpitaux faute de personnel. (ARIEL SKELLEY / DIGITAL VISION)
Selon une enquête du Conseil scientique, 20% des lits seraient actuellement fermés dans les hôpitaux faute de personnel. (ARIEL SKELLEY / DIGITAL VISION)
Selon une enquête menée par le Conseil scientifique Covid-19, environ 20% des lits d’hôpitaux sont actuellement indisponibles. La conséquence d’un manque croissant de personnel et d’une politique de réduction des lits qui ne date pas d’hier.

Un constat alarmant : les soignants sont à bout de souffle et de nombreux lits sont fermés dans les hôpitaux publics. Dans un contexte de tension hospitalière et de début d’épidémies virales hivernales, la situation inquiète le Conseil scientifique Covid-19. Le groupe d’experts chargé d’éclairer le gouvernement depuis le début de la crise sanitaire a fait état, dans son avis daté du 5 octobre (PDF), d’"un pourcentage important de lits fermés, chiffré à environ 20%", selon une enquête flash menée par le professeur Jean-François Delfraissy. Et ce, malgré un "recours déjà important et en augmentation aux heures supplémentaires et à l’intérim", rappelle le Conseil scientifique dans sa publication.

Ces 20%, le ministre de la Santé les conteste. "Pour l’instant, le seul chiffre dont je dispose, c’est sur un échantillon très parcellaire de 16 CHU. Avec tous les biais qu’on peut reconnaître, sur 16 CHU, la dernière donnée qui m’est remontée, c’est 5% de lits de médecine temporairement fermés. On serait donc assez loin de 20% du parc hospitalier général", a assuré Olivier Véran mercredi lors d’une audition à l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances 2022.

Afin de vérifier les chiffres avancés par le Conseil scientifique, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a annoncé qu’une enquête sur le nombre réel de lits fermés avait été lancée. En attendant le recomptage gouvernemental, franceinfo tente de comprendre pourquoi l’hôpital public fait face à un manque croissant de personnel, entraînant des fermetures massives de lits.

Parce que l’épuisement des soignants réduit la capacité de prise en charge
Si le ministre de la Santé réfute le taux de fermeture avancé par le Conseil scientifique, il reconnaît que "la situation est compliquée" dans les hôpitaux. "On constate une hausse de près d’un tiers des postes vacants chez les paramédicaux par rapport à l’automne 2019", a t-il déclaré dans une interview à Libération (article abonnés) publiée mercredi.

Car la crise sanitaire met à rude épreuve le personnel hospitalier depuis de longs mois. "Beaucoup de nos soignants sont épuisés par la charge mentale et le rythme de travail de la crise", souligne Olivier Véran. Elle a d’ailleurs laissé de nombreuses traces chez les blouses blanches. Et cet épuisement des soignants "réduit [leur] capacité de prise en charge des patients", souligne le Conseil scientifique dans son avis du 5 octobre.

Une situation également décrite par le porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), Thierry Amouroux, qui chiffre l’augmentation de la charge de travail en un an et demi à "30%". "Lors du premier pic, nous avions six patients atteints du Covid-19 pour un infirmier en soins intensifs, détaille-t-il. Lors de la dernière vague, nous étions déjà à huit patients par infirmier."

Parce que la politique de fermeture de lits se poursuit
La fermeture des lits a commencé bien avant l’épidémie de Covid-19, avant de récemment s’accélerer. Lors des sept dernières années, et en vertu de décisions politiques, le nombre de lits "d’hospitalisation complète" a baissé de 6,5%, note la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) dans un rapport publié en septembre (PDF). Avec une moyenne annuelle de 0,9%, ce sont pas moins de 27 000 lits d’hospitalisation complète qui ont été fermés sur tout le territoire depuis 2013, rappelle cette étude (pour un total de près de 387 000 aujourd’hui). Or ce phénomène s’est accentué avec la crise sanitaire, passant à un taux de fermeture de 1,5%, entre la fin 2019 et la fin 2020, où 5 700 lits d’hospitalisation complète ont été fermés.

Si ces fermetures "reflètent la volonté de réorganiser l’offre dans un contexte de virage ambulatoire", elles sont également le résultat des "contraintes de personnel ne permettant pas de maintenir les lits", écrit la Drees (rattachée au ministère de la Santé) dans son rapport. Pour Thierry Amouroux, c’est un "cercle infernal" que le gouvernement a amorcé en continuant "de fermer des lits et de réduire les budgets des hôpitaux" en période de crise sanitaire.

Parce que l’absentéisme et les démissions augmentent
En 2020, le taux d’absentéisme dans les hôpitaux français a connu une augmentation d’un point. Il se situait en moyenne entre 9,5% et 11,5% selon les chiffres de l’enquête de la Fédération hospitalière française (FHF), contre un niveau oscillant entre 8,5% et 10% en 2019, avant la crise du Covid-19. Quant à l’absentéisme pour défaut de vaccination obligatoire, même si des désorganisations de services sont encore possibles, elles devraient s’amenuiser car seul "0,6% du personnel" n’était pas vacciné mi-octobre.

Le ministre de la Santé reconnaît également que les démissions "augmentent plus significativement entre 2020 et 2021 qu’entre 2019 et 2020". Mais elles "restent néanmoins dans des proportions modérées", a-t-il assuré à Libération. Lors d’un point presse à l’hôpital de Blois, jeudi 28 octobre, le ministre a précisé que "chez les infirmiers, il y a 1 300 démissions enregistrées." Une analyse que ne partage pas Thierry Amouroux, pour qui il y a "une vague de départs très importante depuis le 1er juin". Le porte-parole syndical ajoute que "plus il y a de départs, plus les conditions de travail se dégradent et plus vous avez de nouveaux départs."

Dernier point : jusqu’en septembre 2020 – l’étude de la FHF s’arrêtant à cette date –, les départs à la retraite n’ont pas été intégralement couverts par les recrutements, laissant 1 152 postes d’infirmiers et 816 d’aides-soignants vacants. Ce qui fait osciller le taux de poste vacants au sein des hôpitaux et des établissements médico-sociaux publics entre 2% et 5%.

Parce que la profession attire moins
Les difficultés de recrutement pèsent également sur la fermeture des lits. Pas moins de 80% des quelque 300 établissements de santé publique (80%) qui ont participé à l’enquête menée par la FHF ont déclaré rechercher activement à renforcer leurs effectifs et la grande majorité d’entre eux rencontraient des difficultés. Un exemple pour illustrer cette pénurie de soignants, celui de Marseille, où 448 lits sur 2 700 sont fermés, soit 16% de la capacité, selon les chiffres fournis par la direction de l’AP-HM à France Télévisions. A l’hôpital de la Timone, qui souhaitait recruter six infirmières de nuit au mois d’octobre, pas un seul poste n’a été pourvu.

Quant à la formation, bien que le gouvernement ait débloqué une enveloppe de 200 millions d’euros (PDF) dans le cadre du Ségur de la santé pour ouvrir 16 000 nouvelles places d’ici 2022 au sein des instituts de formation (dont 6 600 pour les infirmiers et 6 600 pour les aides-soignants), tous les étudiants infirmiers ne restent pas. Un peu plus d’un millier d’entre eux ont "démissionné avant la fin de leurs études" entre 2018 et 2021, précise d’ailleurs le ministre de la Santé dans Libération. "Une enquête sera lancée pour qu’on en comprenne les raisons", a-t-il ajouté.

Le gouvernement espère également stimuler l’attractivité de la profession avec, entre autres, la revalorisation des salaires actée lors du Ségur de la santé, en juillet 2020. Mais si le plan du gouvernement (19 milliards sur dix ans pour le système de santé) pallie les "investissements qui n’ont pas eu lieu", sur le fond, "la gouvernance des hôpitaux n’a pas changé", jugeait dès le mois de mars dernier le collectif Inter-hôpitaux. Et les conditions de travail (et d’accueil) à l’hôpital public continuent donc de se dégrader face au manque croissant de personnel.