L’hôpital

France Info : "On ne veut pas attendre un drame" : pourquoi les urgences pédiatriques sont au bord de la crise sanitaire

Janvier 2020, par infosecusanté

France Info : "On ne veut pas attendre un drame" : pourquoi les urgences pédiatriques sont au bord de la crise sanitaire

Depuis mars 2019, les services d’urgence exsangues réclament plus de moyens. Aujourd’hui, ce sont les services de pédiatrie qui tirent la sonnette d’alarme
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Depuis dix mois, les personnels soignants s’inquiètent de l’état de santé de l’hôpital public, notamment dans les services d’urgences en grève. Nouveau signe de cette montée de tension, ils sont à nouveaux mobilisés pour une journée de manifestations, un peu partout en France, lundi 20 janvier. La crise s’étend aujourd’hui à tous les étages de l’hôpital : les fermetures de lits et le manque de personnel touchent également les services d’urgences et de réanimation pédiatriques, qui sont contraints de transférer des enfants "en détresse" à des dizaines de kilomètres du domicile de leurs parents.

En ce début d’année, et en plein pic de maladies hivernales, les équipes pédiatriques alertent les pouvoirs publics sur la dégradation de leurs services et le possible risque d’une crise sanitaire. Médecins, infirmières et parents témoignent d’un quotidien alarmant.

Tous les jours, quand le père de Marie* pousse la porte du service de réanimation néonatale de l’hôpital Bicêtre (Val-de-Marne) pour y voir sa fille "grande prématurée", il peut lire, sur une affiche placardée, le nombre d’enfants refusés à cause du manque de personnel. Depuis fin novembre, lui et sa compagne enchaînent les allers-retours au chevet de leur enfant hospitalisé depuis sa naissance. L’accouchement était prévu à l’hôpital Trousseau à Paris, qui est plus proche de leur domicile. Mais la saturation de celui-ci et les complications de santé de Marie, les ont menés à plus d’une heure trente de chez eux. "Cela aurait été l’enfer à gérer si ma fille avait été hospitalisée plus loin", admet le papa.

Certains parents n’ont pas eu le soulagement de trouver une solution à proximité. "Entre octobre et mi-décembre, nous avons dû transférer vingt-cinq nourrissons à plus de 150 km du domicile de leurs parents, faute de place en pédiatrie dans un des trois hôpitaux habilités d’Ile-de-France" constate Stéphane Dauger, chef du service des urgences pédiatriques de l’hôpital Robert-Debré. En plein pic hivernal de bronchiolite, les hôpitaux de Bicêtre, de Garches et de Necker ont dû fermer des lits.

Même constat en province : le 1er janvier, le centre hospitalier du Mans (Sarthe) a dû fermer son service de réanimation pédiatrique faute de médecins, obligeant parents et enfants à aller à près de 100 kilomètres de là, à Tours ou Angers.

"Ce transfert de nouveaux-nés est une sonnette d’alarme pour notre système", constate Sophie Branchereau, cheffe du service de chirurgie pédiatrique à Bicêtre. Soulignant non seulement le risque vital accru pour l’enfant transféré, mais aussi la précarité économique dans laquelle les parents peuvent se retrouver lorsqu’ils doivent assurer une présence loin de leur travail et de leur domicile.

Depuis l’arrivée du Dr Branchereau en 1995, le service de chirurgie pédiatrique de Bicêtre est passé de vingt-quatre à seize lits. "En période de vacances, nous passons à huit lits pour une seule infirmière, alors que nous devrions être plutôt à six lits par infirmière", se désole la chirurgienne. La gestion quotidienne des lits en pédiatrie est devenue "compliquée", obligeant le personnel à travailler en mode "dégradé." "On touche le fond", regrette la cheffe de service."Si j’ai une infirmière malade, je dois fermer un lit et refuser des transferts."

Une tension accentuée par la difficulté des services d’urgences pédiatriques à gérer le flux des arrivées. Contrairement aux urgences générales, les urgences pédiatriques sont peu nombreuses en France. En 2015, le ministère des Solidarités et de la Santé a recensé 723 services des urgences en métropole et dans les départements et régions d’outre-mer, dont seulement 13% spécialisés en pédiatrie. "Par manque de place, les urgences pédiatriques sont obligées de tempérer en invitant les parents d’enfants malades à retourner chez eux, après plusieurs allers-retours", explique Barbara*, infirmière dans un service de réanimation pédiatrique en Ile-de-France. "Mais la situation peut vite se dégrader chez un enfant souffrant. Les parents appellent alors le Samu ou les pompiers, qui nous les amènent directement en service de réanimation pédiatrique." Ce dernier s’est retrouvé "saturé" en décembre, n’arrivant plus à évacuer les enfants hospitalisés par manque de lits dits "d’aval", ces lits disponibles dans les autres services.

Des parents devenus des lanceurs d’alerte

Cette situation amène les soignants à dépasser régulièrement le nombre de bébés par infirmière, raconte Isabelle*, aide-médicale en néonatalogie dans le Grand Est. La semaine dernière, elle a dû accueillir en urgence un grand prématuré alors qu’elles n’étaient que deux pour huit nouveaux-nés. "Le temps passé avec chacun est ridicule. On s’assure que le bébé est propre, qu’il a mangé et reçu ses soins, au détriment de son bien-être. Nous n’avons plus le temps d’accompagner les parents, et c’est frustrant. On ne travaille pas d’une bonne façon", se désespère l’infirmière.

"Boule au ventre", "fatigue", "peur de faire une erreur", le personnel travaille à la limite du possible et redoute l’accident. "Notre force reste notre entraide", se rassure Barbara. Jour et nuit, elle et ses collègues veillent à "l’équilibre émotionnel" des enfants, mais aussi à celui des parents.

Dans les couloirs de la réanimation néonatale de Bicêtre, le père de Marie observe le va-et-vient incessant des infirmières et des aides-soignantes au chevet de ces "grands fragiles" qui peuvent à tout instant voir leur oxygénation ou rythme cardiaque chuter.

Avec une "énergie" et une "passion sans égale", rapporte le père de Marie, les infirmières font "le tampon" entre les parents inquiets et stressés et leur quotidien qui se dégrade. "Vu leur niveau de responsabilité et leur degré d’investissement à ce niveau de salaire, je comprend leurs revendications", admet le père de Marie. "L’hôpital public est un trésor qu’il faut absolument garder et, au sein de celui-ci, il y a un joyau : la réa pédiatrique."

C’est sans hésiter qu’il a signé la pétition "Sauvons la réanimation pédiatrique : l’appel des parents", lancée par un collectif de parents qui ont eux aussi connu les services pédiatriques. La pétition a récolté plus de 40 000 signatures en une semaine. Pauline Lavaud, l’une de ses corédacteurs, se dit "vraiment inquiète" car ni les soignants ni les médecins n’arrivent à se faire entendre auprès du gouvernement. "Alors, nous parents, on devient des lanceurs d’alerte car on ne veut pas attendre un drame."

Cette mère, qui a perdu son fils quelques temps après sa naissance, sait combien chaque minute compte quand la vie ne tient qu’à un fil. "On ne peut pas passer à un niveau de risque supplémentaire par faute de place", clame-t-elle. Citant dans la foulée un des derniers témoignages qu’elle a reçus sur la page Facebook du collectif, où une maman raconte avoir emmené sa fille de 6 semaines aux urgences pédiatriques de l’hôpital Necker pour une bronchiolite sévère, fin octobre. "N’ayant pu être prise en charge sur place, sa fille a été transférée à Poissy, où sa situation s’est dégradée. Elle a du être à nouveau transférée en réanimation à Orléans pendant une semaine." Ou encore cette autre mère dont le bébé s’est retrouvé en détresse respiratoire à la naissance. L’hôpital où elle venait d’accoucher n’était pas équipé pour le prendre en charge. "Les équipes médicales ont dû appeler onze hôpitaux avant de lui trouver une place."

Qui opérer en priorité ?

Les instances administratives, comme l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France et l’AP-HP affirment être "conscientes du problème". Tous les jours, leurs responsables effectuent un point sur la situation. "En alerte maximale sur les tensions d’effectifs au sein de l’hôpital", l’ARS dit mettre en œuvre des solutions temporaires "faciles" à déployer dans un délai court, comme le décalage des opérations non urgentes, l’ouverture ponctuelle de lits en soins intensifs ou le recours à l’intérim.

Des solutions qui présentent des limites selon le docteur Sophie Branchereau pour qui reporter les opérations, en pédiatrie, est "quasiment impossible." "On ne peut pas anticiper car souvent au moment de l’opération l’enfant est malade. Rhume, gastro... 30% de nos interventions sont ainsi annulées." Avec ses équipes, elle travaille à une réorganisation permanente, "en flux tendu." Les arrivées de patients s’enchaînent, les salles d’opérations et les lits sont constamment occupés, ne laissant que "très peu de marges". "Hors les marges, c’est la sécurité", insiste la cheffe de service.

Quant au choix contraint, faute de place et de personnel, de devoir choisir quelle opération effectuer en priorité entre une péritonite, un cancer ou une maladie rare, c’est un exercice "compliqué moralement", relève la chirurgienne. En situation de crise, ses équipes annulent ce qui ne relève pas de l’extrême urgence. "Mais un cancer pédiatrique peut vite devenir une urgence", rappelle-t-elle. Alors, régulièrement, les directeurs d’hôpitaux font appel à du personnel intérimaire "payé plus cher" et "ça détruit l’ambiance déjà tendue", note la cheffe de service.

Autre ombre au tableau pour l’urgence pédiatrique : le recours au secteur privé s’avère impossible.

Alors l’hôpital public se tourne vers l’ambulatoire pour libérer des lits : les malades sont renvoyés chez eux avec un protocole à suivre. Mais ce ne pas forcément adapté à tous les cas. "Plus vous avez une population en souffrance sociale, avec des problèmes de logement, de langue, d’accessibilité à un hôpital en cas de besoin, moins vous pouvez le faire", critique la chirurgienne. "Nous ne sommes pas contre l’ambulatoire mais il faut pouvoir accueillir ceux qui ont besoin d’être accueillis."

De son côté, le père de Marie reconnaît que lui et sa compagne n’auraient pas pu assumer les soins prodigués à leur fille née prématurée. "Quand elle sortira de l’hôpital, mi-février, la facture tournera autour de 300 000 euros je pense", calcule le jeune papa. Avant de conclure, reconnaissant : "C’est la solidarité nationale qui a sauvé notre enfant."

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés