Le financement de la Sécurité sociale

Frustration - Surprise : depuis 2013, le CICE a créé seulement 100 000 emplois… qui ont chacun coûté 900 000 euros au contribuable

Septembre 2020, par Info santé sécu social

Surprise : depuis 2013, le CICE a créé seulement 100 000 emplois… qui ont chacun coûté 900 000 euros au contribuable

17 septembre 2020

En 2012, quelques mois après l’arrivée au pouvoir du “socialiste” François Hollande, un technocrate de renom nommé Louis Gallois, ex-PDG de la SNCF et d’Airbus de son état, publie un rapport qui “brise les tabous” et appelle à augmenter la “compétitivité” des entreprises françaises en baissant le “coût du travail”. Ses préconisations, saluées par le MEDEF, sont aussitôt exaucées par le gouvernement l’année suivante, et le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) est mis en oeuvre. Chaque année, 20 milliards d’euros sont octroyés aux entreprises françaises sous la forme de crédits d’impôts, calculés en fonction de la masse salariale : les grandes entreprises sont donc les principales bénéficiaires du dispositif. Pierre Gattaz, le président du MEDEF, se pavane avec son badge “1 million d’emploi”, la promesse des patrons si on leur donne de l’argent public et que l’on casse le Code du travail, voeux qui sera exaucé par la loi El Khomri quelques années plus tard.

Double jackpot en 2019
En 2018, le mouvement des gilets jaunes réclame l’abrogation du CICE, car 20 milliards d’euros par an partent en fumée sans effet notable sur l’emploi. Il y a de quoi écoeurer les gens à qui l’on demande des comptes sur l’usage de leurs aides sociales de quelques centaines d’euros. Hélas en vain : le projet de loi de financement de la Sécurité sociale de l’automne 2018 (voté pendant le mouvement des gilets jaunes donc) comporte une “transformation” du CICE en exonération pérenne de cotisations sociales patronales. “Le CICE n’existe plus”, disent alors les macronistes en réponse aux gilets jaunes. Sauf que le principe est exactement le même : 20 milliards d’euros sont distribués chaque année aux entreprises privées, non plus sous forme de crédit d’impôt mais d’exonérations de cotisations sociales. Ce qui, dans le fond, est encore pire, car on permet aux employeurs de ne plus cotiser pour la Sécurité sociale de leurs salariés. Tout un symbole.

L’année 2019, c’est bien celle du double jackpot. Les entreprises ont touché les 20 milliards du CICE, pour la dernière fois, PLUS les 20 milliards du dispositif qui le remplace. C’est un peu comme si, après avoir retrouvé du travail, vous touchiez à la fois votre nouveau salaire et toujours vos allocations chômage (et encore, cet exemple n’est pas pertinent puisque l’indemnité chômage est plus basse que le salaire). Autant vous dire que cet argent ne resterait pas longtemps sur votre compte en banque et que vous vous prendriez une belle sanction… Les patrons, eux, ont eu droit à davantage de champagne.

Ayez confiance, car la loi n’encadre… rien du tout
Vous trouverez ça fou, de dilapider l’argent public sans contrôle sur l’usage qui en est fait pour les entreprises ? Ce qui vous semble être de la “folie”, est en fait de la “confiance dans les entreprises”, nous disent les “experts” et les politiques depuis le début du CICE. Grâce à cet argent, les entreprises vont “investir” et “embaucher”.

Pour quel résultat ? En février 2018, l’entreprise Michelin utilisait les 4.3 millions de CICE reçus pour son site de La Roche sur Yon afin “d’investir” dans huit nouvelles machines… et renvoyer vers des usines à l’étranger six de ces machines, sans même faire semblant de les déballer. “Rends l’argent !”, ont désormais l’habitude de dire les salariés d’usine fermées par leurs propriétaires alors qu’ils ont reçu des milliards d’aides en tout genre, CICE compris. A l’usine Ford de Blanquefort, qui va être liquidée sans ménagement, c’est le mot d’ordre. “Légalement, on n’a pas d’instrument juridique pour demander à Ford de reverser les subventions”, explique un fonctionnaire territorial à Alternatives Economiques.

Voilà pour “l’investissement”. Et côté emploi ? France Stratégie, ancien commissariat au Plan devenu, début des années 2000, un centre d’évaluation des politiques publiques (géré et payé par le gouvernement donc), a sorti ses conclusions pour la période 2013-2013 : en cinq ans, le CICE a créé 100 000 emplois. C’est mieux que rien, non ?

De quoi combler 25 fois le déficit de la Sécu
Sauf que cinq ans de CICE, c’est 100 milliards d’euros. Soit entre 900 000 et 1 millions d’euros l’emploi. On aurait pu recruter des soignant.e.s, du personnel pour les EPHAD, investir dans nos écoles, nos hôpitaux – et on aurait été moins dans la merde face à l’épidémie de coronavirus, au hasard… Mais non. On a créé avec ça de l’emploi potentiellement précaire, inutile voire nocif (combien de responsables des ressources humaines et de chefs de produits marketings ?). On aurait pu créer des emplois afin de réaliser une réelle transition écologique massive. On aurait pu également sortir toute une partie des gens de la misère. On aurait pu financer une réduction du temps de travail. On aurait pu combler 25 fois le déficit annuel de la Sécu, ce fameux “trou” dont on nous rebat les oreilles pour nous dire que c’est terrible parce qu’il n’y a pas “d’argent magique” et qu’on doit donc tailler dans les effectifs et réduire les prestations sociales.

On reprend les mêmes arguments pourris, et on recommence
Et vous savez quel est le pire, dans l’histoire ? Alors qu’on sait désormais que ce fric a été littéralement jeté par les fenêtres, et que nous avons, avec nos impôts, financés des délocalisations, des dividendes d’actionnaires déjà riches, la montée des inégalités – bref, que nous avons toutes et tous payés pour notre propre misère future – eh bien le gouvernement remet le couvert cette année, avec la même logique et les mêmes arguments : le “plan de relance” à 100 milliards.

Au fait, il fonctionne comment, Bruno Le Maire, ce “plan de relance” ? Va–ton contrôler son usage, le conditionner à des investissements, de l’emploi, de la “relocalisation” de la production, histoire de ne pas reproduire les erreurs commises avec le CICE ? “Je fais confiance aux entreprises pour qu’elles jouent le jeu”, a-t-il répondu début septembre. Il leur fait tellement confiance que même le dispositif de chômage partiel pour faire face au Covid – dont six milliards sont partis en fumée suite à une fraude massive des entreprises privées – a été déconditionné : le gouvernement pense en effet qu’il n’est pas bien d’interdire de licencier à des entreprises dont la masse salariale est directement payée par le contribuable via le chômage partiel. Ok, d’accord.

« La définition de la folie, c’est de refaire toujours la même chose et d’espérer des résultats différents », aurait dit Albert Einstein. Mais ce n’est pas tout à fait de cela qu’il s’agit ici : la définition de la politique bourgeoise, c’est de refaire toujours la même chose et d’espérer le même résultat – son enrichissement – sans que la classe laborieuse ne finisse par s’en rendre compte et se révolte. La folie, c’est d’oublier cette récurrence et de se résigner face à de tels scandales.

Nicolas Framont