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Gauche anticapitaliste (Belgique) - Pension à point : c’est le fondement de la sécurité sociale qui est attaqué !

Décembre 2017, par Info santé sécu social

Par Gauche anticapitaliste (ex LCR belge) | 21/12/2017

Le projet du gouvernement Michel d’introduire une pension « à points » constitue une attaque frontale contre le système belge de sécurité sociale mis en place en 1944. Si ce projet passe, le montant de la pension sera inconnu des intéressé-e-s jusque trois ans avant la retraite et sera ajusté automatiquement en fonction de divers facteurs tels que le déficit du budget de l’Etat, notamment. Ainsi, une nouvelle étape serait franchie dans l’intégration du budget de la Secu au budget de l’Etat, rendant encore plus facile à la droite de dire qu’il n’y a plus d’autre endroit où faire des économies, comme l’affirme Bart De Wever.

Ce serait la fin de deux principes clés qui sont à la base de notre sécurité sociale : le principe d’assurance, d’une part, et le principe d’une sécurité sociale fondée sur la solidarité au sein du monde du travail et contrôlée par ses représentants, d’autre part. Ce serait aussi la fin du régime de pension du secteur public (dans lequel une retraite plus avantageuse que dans le privé compense des traitements historiquement plus bas). Entre-temps, ces arriérés de salaires ont été largement dépassés (grâce à la lutte syndicale). En fait, les pensions du secteur public sont les seules qui peuvent être qualifiées de « normales » aujourd’hui. Par contre le niveau très bas des pensions légales dans le secteur privé est carrément honteux.

Depuis le milieu des années ’70, le patronat mène contre la sécurité sociale un travail de sape visant à faire passer les cotisations qu’il verse au système pour des « charges sociales » exerçant une « pression fiscale » nuisible à l’emploi. En réalité, les cotisations patronales de sécurité sociale ne sont pas un impôt mais du salaire socialisé et différé. « Baisser les charges sociales », ce n’est donc pas diminuer la part de la richesse versée au fisc : c’est baisser le salaire collectif du monde du travail, la part de ses revenus qu’il décide de consacrer à la solidarité avec les pensionné-e-s, les malades, les chômeur-euse-s, etc.

Bien que la campagne sur les « charges sociales » soit basée sur un mensonge éhonté, tous les gouvernements qui se sont succédés depuis quarante ans ont agi selon les recommandations patronales, de sorte que les « baisses de charges » cumulées au fil du temps atteignent plus de 6,3 milliards d’Euros (en 2008), c’est à dire une dimunition avec 11,37%.(1) Réductions de cotisations sociales patronales et subsides salariaux fédéraux et régionaux cumulés :
16 milliards d’euros/an. Soit 2/3 du budget total des pensions et 22% du budget total de la Sécu.
Autrement dit, si les patrons payaient leurs cotis, on pourrait augmenter toutes les allocations sociales (maladie, pension, chômage) de 22%.

Il ne suffit pas de déplorer que cette somme n’a pas créé d’emplois : il faut dire que c’est un hold-up commis au détriment des travailleuses, des travailleurs, des chômeuses et chômeurs, des malades, invalides et pesionné.e.s. Un hold up tellement énorme qu’il déséquilibre financièrement la sécurité sociale, ce déséquilibre servant à son tour de prétexte pour imposer de nouvelles mesures contre les protections sociales. C’est un cercle vicieux.

La sécurité sociale représente un énorme budget : 69,482 milliards pour un PIB belge de 395 milliards d’euros. La Sécu pèse donc près d’un cinquième du PIB. Les Pensions comptent pour 24 milliards d’euros annuels. Ce budget échappe en grande partie à la gestion capitaliste pour le profit. En fin de compte, l’objectif du patronat et de ses laquais néolibéraux est d’en finir avec ce système basé sur les cotisations et de le remplacer par un système d’assurances privées, dans lequel les flux financiers deviennent des flux de capitaux en quête de profit. Inutile de préciser que, dans ce système privé, les inégalités sont appelées à exploser.

Le système des pensions est la cible privilégiée de cette offensive, à travers le développement des soi-disant « deuxième » et « troisième » piliers de pension. Le vieillissement de la population sert de prétexte. Une gigantesque campagne de propagande est menée depuis des années pour inquiéter la population en lui disant qu’il n’y aura bientôt plus assez de jeunes actifs pour payer les pensions des seniors. Cette campagne aussi est mensongère : puisque la productivité du travail augmente, moins d’actifs peuvent supporter plus d’inactifs ; le problème n’est pas qu’il n’y a pas assez d’argent pour cela, mais que les gains de productivité sont versés aux actionnaires, qui refusent de les partager.

De plus, il existe toujours un chômage structurel important (11,9%).(2) Le vieillissement de la population active permettrait de l’absorber au maximum. Mais c’est précisément un problème pour les capitalistes. Ils veulent qu’une grande « armée de réserve » reste sur le marché du travail, car cela exerce une pression à la baisse sur les salaires. L’âge de la retraite est augmenté pour cette raison : maintenir le chômage de masse et donc la pression à la baisse sur les salaires.

Dans ce cadre, l’adoption du projet du gouvernement Michel représenterait une victoire stratégique pour le patronat, le gouvernement de droite et les autres forces néolibérales. Il faut tout faire pour l’empêcher.

Pour le mouvement syndical, cela implique de procéder à un examen de conscience sans concessions. Depuis la fin des années septante, les directions de la CSC et de la FGTB mènent une politique d’accompagnement du néolibéralisme dont elles tentent d’atténuer les effets destructeurs en faisant pression sur leurs « amis politiques » dans la social-démocratie et la démocratie-chrétienne. Cette politique a mené le monde du travail de recul en recul. En particulier, les directions de la CSC et de la FGTB ont été incapables d’empêcher les attaques lancées contre la Sécu par les gouvernements à participation PS : abolition des droits individuels aux allocations de sécurité sociale, « pacte des générations », mesures du gouvernement Di Rupo sur les fins de carrière, notamment.

Face au gouvernement de droite dure MR-NVA, on a pu espérer un instant que les responsables de la CSC et de la FGTB se ressaisiraient. Entre septembre et décembre 2014, un plan d’action en front commun a été adopté sur base de quatre axes revendicatifs qui semblaient amorcer une lutte sérieuse pour une autre politique. Une énorme manifestation a réuni 130.000 personnes dans les rues de Bruxelles et plusieurs journées de grève ont été organisées.

Malheureusement, l’espoir a été de courte durée. En décembre 2014, au lieu de s’appuyer sur cette mobilisation réussie dans les deux parties du pays pour aller plus loin et battre le gouvernement, les directions de la CSC et de la FGTB ont arrêté la lutte pour « donner une chance à la concertation ». Cette concertation n’a évidemment rien donné, au contraire : elle a permis au gouvernement de se sauver en divisant le public et le privé. Par la suite, les syndicats ont appelé à un simulacre de plan d’action pour tenter de sauver la face et de reporter la responsabilité de l’échec sur le manque de mobilisation de la base. Mais personne n’était dupe.

La direction de la CSC porte sans aucun doute une responsabilité majeure dans cette politique. Marc Leemans a tout fait pour démobiliser, afin de ne pas mettre en danger ses amis du CD&V au gouvernement et dans l’espoir d’obtenir une solution pour les coopérateurs d’ARCO. Mais la FGTB n’est pas innocente pour autant. Mi-décembre 2014, Marc Goblet déclarait à la presse qu’il ne demandait pas le retrait des mesures mais seulement « une vraie concertation ».

Depuis lors, la droite attaque sans discontinuer. Tout son programme passe comme une lettre à la poste, et cela lui met l’eau à la bouche. L’attaque contre le système des pensions est le résultat de cette situation. L’indignation que cette nouvelle agression suscite pourrait créer les conditions d’une relance de la mobilisation contre la régression sociale. Mais dans quel but ? La concertation ? On a vu le résultat. Favoriser le retour au gouvernement de la social-démocratie, comme en 1987-88 ? On sait d’expérience que ça ne peut déboucher que sur de nouvelles défaites. Il faut une alternative d’ensemble.

Depuis la formation du gouvernement Di Rupo, fin 2011, nous défendons la même proposition stratégique pour sortir de l’impasse :

La politique de concertation est morte, on ne la ranimera pas parce qu’il n’y a plus de miettes à partager ; le patronat et les gouvernements à son service ne l’utilisent que pour diviser le monde du travail ; les syndicats doivent rompre d’urgence avec cette politique.
Au lieu d’accompagner les politiques néolibérales, le syndicalisme devait les combattre et collaborer avec les autres mouvements sociaux dans le but d’élaborer un plan d’urgence anticapitaliste en faveur d’une alternative sociale et écologique, qui comprends entre autre (1) le retrait de tous les mesures néolibérales (aux moins depuis la crise financière de 2007), (2) développent et renforcement de la sécurité sociale, (3) refinancement des services et entreprises publique, (3) diminution radicale et immédiate des heures de travail, sans pertes de salaires et avec des embauches compensatoires, (4) instauration d’une plan de travail large pour l’isolement des bâtiments, (5) imposition d’une taxe de crise progressif et substantiel sur les 10% des habitants les plus riche de la Belgique ;
L’indépendance syndicale ne signifie pas l’apolitisme. Au lieu d’essayer en vain de faire pression sur des « amis politiques » complètement convertis au néolibéralisme, le mouvement syndical doit agir pour mettre au pouvoir par la lutte un gouvernement qui appliquera son plan d’urgence, en s’appuyant sur la mobilisation sociale.
Depuis la formation du gouvernement Di Rupo, fin 2011, nous lançons la même mise en garde : la politique de concertation est sur le point de nous mener à un démantèlement majeur de la Sécurité sociale, le plus grand acquis de notre mouvement syndical et de ses luttes. Il n’y a pas de preuve plus évidente du caractère néfaste de cette politique.

Faute d’opter pour une stratégie de rupture qui se donne les moyens de mobilisation, de conscientisation et de lutte à la hauteur de ses ambitions, notre puissant mouvement syndical deviendra chaque jour d’avantage un colosse aux pieds d’argile, rongé de l’intérieur par les divisions, gangrené par l’individualisme et la désignation de boucs émissaires. Des centaines de syndicalistes, des milliers peut-être, sont conscients de cet enjeu. A elleux de s’organiser, de se coordonner par-dessus les frontières (linguistiques et d’organisation) et de faire entendre leur voix.