Le droit à la santé et à la vie

Haut Conseil à l’Egalité - « La santé et l’accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité »

Juillet 2017, par Info santé sécu social

Publié par le site Alencontre le 8 juillet 2017

Par le Haut Conseil à l’Egalité (France)

Dans son rapport « Santé et accès aux soins : une urgence pour les femmes en situation de précarité », dont la rédaction a été terminée le 29 mai 2017 – remis le 7 juillet 2017 à Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes au sein du Conseil des ministres du gouvernement d’Edouard Philippe (II) – le Haut Conseil à l’Egalité s’est intéressé aux femmes en situation de précarité, ces femmes « hors radar, dont la santé est dégradée et l’accès aux soins entravé ».

Nous publions ci-dessous une synthèse de ce rapport qui nous semble de la plus haute importance sous l’angle d’une bataille sociale et égalitaire afin de construire un bloc social apte à faire face aux options de Macron-Philippe. (Rédaction A l’Encontre)

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Synthèse

La France et les pays de niveau socio-économique équivalent ont connu une importante amélioration de l’état de santé de leur population, comme en attestent des indicateurs de santé publique : allongement de l’espérance de vie, net recul de la mortalité infantile, etc. Pourtant, les progrès accomplis ne profitent pas à toutes et tous et les inégalités sociales de santé perdurent.

Jusqu’alors, celles-ci ont été peu abordées dans une perspective de genre, c’est-à-dire avec une analyse de l’impact différencié selon le sexe es déterminants sociaux et des politiques publiques.

S’il est souvent rappelé l’espérance de vie supérieure des femmes (85,4 ans en 2016) [1] par rapport à celle des hommes (79,4 ans), les spécificités des femmes concernant certaines pathologies et les obstacles, dans l’accès aux soins, rencontrés par celles traversant une situation de précarité, sont encore peu étudiées.

Contrairement aux idées reçues, les femmes constituent aujourd’hui la majorité des personnes en situation de précarité, que l’on retienne le critère :
•des revenus : elles représentent 53% des personnes pauvres, 57% des bénéficiaires du revenu social d’activité ;
•des conditions de travail et du type d’emploi : elles constituent 70% des travailleur.euse.s pauvres, occupent 82% des emplois à temps partiel et 62% des emplois non qualifiés ;
•de la situation familiale : les femmes représentent 85% des chef.fe.s de familles monoparentales et une famille monoparentale sur trois vit sous le seuil de pauvreté.


La précarité est un phénomène multidimensionnel qui ne se réduit pas au seul aspect financier. Dans son Avis de 1987 sur la « Grande pauvreté et précarité économique et sociale », le Conseil Economique, social et environnemental définit la précarité ainsi :

« La précarité est l’absence d’une ou plusieurs sécurités notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même dans un avenir prévisible. »


Afin d’analyser l’effet combiné de la précarité et du sexe sur la santé et l’accès aux soins des femmes en situation de précarité, le Haut Conseil à l’Egalité s’est attaché à adopter une approche intersectionnelle qui permet d’analyser comment certaines situations sont la conséquence de systèmes d’oppression multiples, par exemple la classe sociale, le sexe ou l’origine, et ne peuvent être comprises isolément. Selon la définition retenue par le HCE, « cette approche des discriminations ne vise pas à additionner plusieurs critères de discriminations mais bien d’en analyser les effets conjugués, tant dans leurs processus que dans leurs effets. Les personnes concernées peuvent ainsi subir des formes multiples ou aggravées de discrimination. » [2]

En effet, les problématiques en santé et dans l’accès aux soins des femmes en situation de précarité tiennent à la fois à des inégalités sociales de santé et à des spécificités liées au genre :
•Depuis 15 ans, les maladies professionnelles, les accidents de travail et de trajet sont en forte augmentation chez les femmes, en particulier dans des secteurs à forte précarité : notamment celui de la santé, du nettoyage et du travail temporaire dans lesquels les accidents du travail ont augmenté de 81% et les accidents de trajet de 43% depuis 2001 ;
•Les femmes, en général, sont plus exposées que les hommes aux troubles psychologiques et ces troubles sont renforcés pour celles confrontées à une situation de précarité : à un même niveau de précarité (quintile 5 du score EPICES), le pourcentage d’anxiodépressif.ive.s est de 41,7% chez les femmes et de 34,4% chez les hommes ;
•Les femmes en situation de précarité ont un moindre suivi gynécologique : elles ont moins recours à une contraception (6,5% des ouvrières sont sans aucune contraception contre 1,6% des femmes cadres), ont plus souvent de grossesses à risque et ont moins souvent recours aux dépistages du cancer du sein et du col de l’utérus que l’ensemble des femmes (31% des femmes vivant au sein d’un ménage ayant des revenus inférieurs à 2000 € par mois n’ont pas réalisé de frottis dans les 3 dernières années, contre 19% pour les femmes appartenant à un ménage ayant des revenus compris entre 2000 et 4000 €) ;
•La mortalité prématurée liée à des maladies cérébro-cardiovasculaires chez les ouvrières est en moyenne 3 fois supérieure à celle des cadres et professions intermédiaires, ce qui s’explique par des risques accrus liés aux conditions de vie (tabac, alcool, obésité, risques pyschosociaux au travail), une prise en charge plus tardive chez les femmes en général (55% des accidents cardiaques sont fatals pour les femmes et 43% pour les hommes) et un moindre dépistage chez les précaires en particulier.

Parce qu’elles traversent une situation de précarité, ces femmes connaissent une santé dégradée et un moindre accès aux soins : selon une étude de juin 2016, les femmes représentent 64% des personnes ayant reporté ou renoncé à des soins au cours des 12 derniers mois [3]. Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté fait le constat que la France est l’un des pays où les inégalités sociales de santé sont les plus fortes. Multifactorielles, elles relèvent des conditions d e vie et de travail mais aussi de l’accessibilité et de l’utilisation du système de soins :
•Les conditions de travail des femmes précaires — principalement dans le secteur tertiaire, avec des horaires fractionnés, en tant qu’assistantes maternelles, aides à domicile, employées de maison, hôtesses de caisse — sont pénibles et stressantes et les exposent à des risques, psychosociaux notamment, des maladies professionnelles, des accidents du travail et de trajet. Or, ces enjeux sont encore trop souvent absents des dispositifs de prévention et de compensation des risques et de la pénibilité au travail ;
•Le manque de moyens financiers constitue la première cause de renoncement aux soins et a directement des conséquences sur leur alimentation (plus faible en qualité, en quantité et en diversité), l’accès à un logement digne et à des activités sportives et culturelles, éléments constitutifs d’une bonne santé définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme un « état de bien-être psychique, mental et social » ;
•Les freins culturels et symboliques éloignent également les femmes en situation de précarité du système de soins. Elles vont recourir plus tardivement et plus difficilement aux professionnelles de santé, soit parce qu’elles ont bien d’autres préoccupations à gérer au quotidien que leur santé, soit parce qu’elles ont des difficultés de compréhension et de connaissance du milieu médical.

Parce qu’elles sont des femmes, les femmes en situation de précarité subissent donc pleinement les conséquences du sexisme, encore présent dans la société en général :
•Dans leur quotidien : la prépondérance du sexisme continue de faire peser sur elles la charge mentale liée à l’organisation des charges domestiques et familiales qui entrave leur accès aux soins par manque de disponibilité et par priorisation du soin des enfants et proches. Elles sont également susceptibles d’être exposées aux violences dans leur vie familiale et professionnelle, avec des conséquences sur leur santé psychique et physique ;
•Dans leurs démarches de santé : l’androcentrisme de la médecine (recherches, diagnostics, protocoles de soin…) peut nier certaines spécificités des femmes, au détriment d’un dépistage et d’un traitement efficaces de certaines pathologies cérébro-cardiovasculaires notamment.

En matière de santé, les obstacles liés à la précarité et au sexe se conjuguent donc et peuvent s’aggraver pour les femmes migrantes, les femmes en situation de handicap ou pour les femmes résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les territoires ruraux. Afin de mieux prendre en compte et combattre ces inégalités sociales et sexuées, le Haut Conseil à l’Egalité émet 21 recommandations à l’attention des pouvoirs publics, articulées en 3 axes et selon une double approche d’intégration du genre dans les politiques publiques de lutte contre les inégalités sociales de santé et de développement des dispositifs spécifiques pour répondre aux problématiques des femmes en situation de précarité.


[1] Insee, statistiques de l’état civil et estimations de population, 2016.

[2] HCE, rapport EGATER, juin 2014, p.40.

[3] ODENORE/PACTE/CNRS, Diagnostic quantitatif du renoncement aux soins des assurés de 18 Caisses primaires d’assurance maladie, 2016, p.11.