Maternités et Hopitaux publics

Hospimedia - Marisol Touraine s’exprime après le suicide de cinq infirmiers tandis que l’ordre annonce une étude

Septembre 2016, par Info santé sécu social

Cinq suicides et toute une profession bouleversée. Cet été, cinq infirmiers se sont donné la mort, certains sur leur lieu de travail. Professionnels, syndicats et ordre national ont réagi avec émotion à ces disparitions, dénonçant les conditions de travail, mais aussi le silence des tutelles. La ministre de la Santé a réagi ce 1er septembre.

Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, était ce 4 septembre l’invitée du Grand Jury RTL/LCI/Le Figaro. "Que des hommes et des femmes qui doivent soigner et sauver des vies portent atteinte à leur vie, c’est évidemment extrêmement préoccupant", a-t-elle confié. Elle a renouvelé son souhait de voir la "culture du bien-être au travail" exister aussi à l’hôpital et rappelé les mesures prises depuis 2012 en ce sens, avant de confirmer l’annonce d’un "plan" à l’automne prochain.

Un infirmier qui se donne la mort dans son service au CHU de Toulouse (Haute-Garonne), une infirmière du CH du Havre (Seine-Maritime), puis un cadre infirmier de l’hôpital de Saint-Calais (Sarthe) et plus récemment deux infirmières du service médical interprofessionnel de la région de Reims (Smirr, Marne) qui imitent ce geste désespéré. Ces cinq suicides survenus durant l’été ont ému toute une profession. Car, pour trois d’entre eux au moins, le geste est accompagné de témoignages de détresse professionnelle. De quoi faire réagir vivement le monde infirmier. Plusieurs syndicats sont d’ailleurs montés au créneau pendant l’été. L’Ordre national infirmier (Oni) leur a emboîté le pas. Car au drame s’ajoute le silence, celui des tutelles, dénoncé parfois de manière virulente. Un silence que Marisol Touraine a brisé ce 1er septembre via un communiqué.

Maltraitance institutionnelle et injonctions contradictoires

"Maltraitance institutionnelle". C’est en ces termes que le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) a dénoncé, le 23 août, les conditions de travail des infirmiers. Pour le syndicat, ces gestes sont la conséquence "des drames humains causés par les restructurations sauvages de certaines directions d’établissements". Le SNPI estime que ces réorganisations sont en rupture avec les valeurs soignantes. "Entre injonctions paradoxales, recherche de rentabilité immédiate, rationalisation des flux des patients en groupe homogène de malades (GHM) et standardisation des procédures de soins, les professionnels de santé sont en grande souffrance", détaille le secrétaire général du SNPI, Thierry Amouroux. Une maltraitance institutionnelle qui se développe "à grande échelle". Elle est également dénoncée par la Coordination nationale infirmière (CNI). Le 31 août dernier, sa présidente, Nathalie Depoire, prenait la plume pour demander des "mesures correctrices et une barrière de soutien sur laquelle les soignants pourront s’appuyer pour soulager leur détresse psychologique et endiguer le malaise qui s’amplifie dans les couloirs de nos établissements de soins".

L’Ordre national infirmier annonce une enquête

Des gestes forts. Voilà ce qu’exige l’Ordre national infirmier (Oni). Son président Didier Borniche évoque un sentiment de malaise qui s’amplifie. "Nous avons beaucoup de remontées, via les réseaux sociaux notamment, qui se sont emparés de ce sujet, depuis plusieurs mois. Ce mal-être est lié au manque de considération", confie-t-il ce 2 septembre. C’est pourquoi l’ordre demande un accompagnement des infirmiers. "Nous avons rencontré le cabinet de la ministre en juillet, et allons demander une deuxième rencontre", poursuit Didier Borniche. L’Oni s’y présentera, fort de l’étude qu’il s’apprête à lancer, a annoncé le président à Hospimedia. Cette étude sera menée auprès des quelque 200 000 professionnels inscrits au tableau de l’ordre. Un questionnaire leur sera envoyé par mail dans les prochaines semaines. "Nous ne pouvons pas nier la liaison entre le travail, ses conditions, et ce qui s’est passé ces dernières semaines. Le personnel soignant est au cœur des restructurations. Avec des conséquences qui pèsent sur son bien-être mais aussi sur la qualité des soins", souligne Didier Borniche. "L’ordre sera vigilant et continuera de saisir les tutelles sur cette question du mal-être au travail", prévient-il.

Le "silence des tutelles" dénoncé

Ce "ras-le-bol" infirmier tranche avec le silence du ministère des Affaires sociales et de la Santé. "Quel quota de décès chez le personnel soignant faut-il pour que les pouvoirs publics s’intéressent enfin au malaise soignants ? s’interroge Nathalie Depoire. Combien de drames faudra-t-il encore pour que la ministre de la Santé s’empare enfin du problème et se préoccupe de la santé des professionnels dont elle a la charge ?" Le SNPI dresse lui un parallèle entre le mal-être profond des infirmiers — "pas un mot de la ministre" — et la médiatisation des "vitres cassées du CHU Necker dès le lendemain, avec un déplacement sur place du Premier ministre". Ce sentiment d’abandon est aussi dénoncé par l’Oni.

Après plusieurs semaines de silence, la ministre Marisol Touraine a finalement réagi ce 1er septembre. "J’ai bien évidemment été profondément attristée d’apprendre le décès par suicide de plusieurs infirmiers au cours des dernières semaines. J’ai tenu à exprimer à leurs collègues et amis, ainsi qu’aux communautés hospitalières concernées, mon soutien et ma solidarité dans l’épreuve douloureuse qu’ils traversent aujourd’hui", détaille-t-elle. Et Marisol Touraine d’ajouter : "Il y a les paroles, mais il y aussi les actes !" La ministre de la Santé affirme ainsi s’être assurée qu’un "accompagnement approprié était proposé à ceux qui en exprimaient le besoin dans ces circonstances exceptionnelles". "Et j’ai tenu à ce que tout soit entrepris pour mieux comprendre les raisons de ces actes dramatiques, car tout suicide est évidemment une situation particulière, complexe et multifactorielle par nature", souligne-t-elle.

Des mesures à l’automne... pour tous les professionnels

Marisol Touraine reconnaît toutefois que cette "thématique a été trop longtemps sous-estimée au sein des établissements". Elle annonce "une amplifi[cation] des efforts" et des mesures pour l’automne. Ces mesures s’appuieront sur les travaux actuellement menés par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), destinés à mieux prendre en charge les risques psychosociaux pour les professionnels de santé et à renforcer en particulier la prévention et la détection des facteurs de risques. "Ce plan sera l’aboutissement du travail de fond que j’ai souhaité engager sur cet enjeu qui nous concerne tous", précise Marisol Touraine, qui détaille en outre les mesures prises depuis 2012. Partenariat avec l’Agence nationale d’amélioration des conditions de travail (Anact), instruction spécifique en 2014 ou encore formation obligatoire aux risques psychosociaux pour les membres des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Des mesures qui ne concernent finalement pas spécifiquement les infirmiers.

Clémence Nayrac