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Huff-post - La prime Covid-19 pour les soignants ne fait pas l’unanimité

Mai 2020, par Info santé sécu social

Les pharmaciens et les médecins libéraux sont notamment exclus de ce dispositif.
Par Lucie Oriol

ASSOCIATED PRESS
La prime sera de 1.500 euros pour ceux ayant travaillé dans les 40 départements les plus touchés

Emmanuel Macron était en visite ce vendredi 15 mai à l’hôpital de la Pitiée Salpêtrière à Paris. Un déplacement miroir à celui effectué au tout début de la crise sanitaire en France, en février. Ce jour-là, le président de la République avait assuré aux soignants qu’il comptait sur eux et qu’ils pouvaient également compter sur lui. “Oui, vous pouvez compter sur moi, mais l’inverse reste à prouver”, lui avait rétorqué un neurologue.

De cette séquence, beaucoup gardent désormais une amertume et estiment que la promesse n’a pas été tenue, particulièrement au regard des modalités de la prime exceptionnelle parues ce jour au journal officiel.

Cette dernière sera de 500 euros pour tous les membres du personnel hospitalier et de 1.500 euros pour ceux ayant travaillé dans les 40 départements les plus touchés par l’épidémie. Parmi eux figurent notamment les départements du Grand Est, de l’Île-de-France et des Hauts-de-France.

Elle sera versée aux personnes ayant “exercé leurs fonctions de manière effective” dans les établissements publics de santé “entre le 1er mars et le 30 avril 2020″, infirmières et étudiants compris, précise le décret.

Une division entre les soignants “inqualifiable”
Une division qui a le don d’irriter, notamment au sein de la Coordination Nationale Infirmière, qui déplore un décret “inqualifiable”. “Depuis des mois, les agents ont fait preuve d’une résilience hors norme. Partout en France, tous ont su s’adapter, se réorganiser pour gérer la crise tout en se protégeant à minima face à l’incapacité de l’État de fournir le matériel nécessaire. Tous doivent aujourd’hui bénéficier d’une même reconnaissance, sans distinction”, dénonce le communiqué.

Ce dernier fait également écho aux reproches des syndicats de jeunes médecins et d’internes qui évoquent des modalités d’octroi “inacceptables”. ”C’est une prime politique, comme la fameuse médaille. Elle a été décidée sans concertation avec les organisations syndicales. Surtout, le décret permet aux directeurs d’établissement de choisir qui pourra toucher 1500 euros ou pas. C’est un bonbon qui laisse un arrière goût amer”, déplore Emmanuel Loeb, président du syndicat des Jeunes médecins contacté par Le HuffPost.

“Avec les 1,3 milliards d’euros de cette prime, on aurait aussi pu rénover et renforcer des établissements en personnel. Est-ce que comme pour ‘la prime Gilet jaunes’, c’est la sécurité sociale qui devra ajouter une ligne sur son budget”, s’interroge-t-il également.

Quant à la possibilité de faire des dons de congés payés ou de RTT, le médecin a dû mal à en voir l’opportunité : “Les soignants ont déjà du mal à prendre tous leurs jours de repos”.

“36 médecins libéraux sont morts”
De fait, le décret exclu un certains nombres de soignants de cette prime exceptionnelle, notamment les médecins libéraux qui ont pourtant œuvré en première ligne. Contacté par le HufffPost, Philippe Vermesch président du syndicat des médecins libéraux, ne décolère pas. “Nous sommes très amers. 36 médecins libéraux sont morts depuis le début de l’épidémie. Nous avons été envoyés au casse-pipe, sans masque, sans protection. Et il y a fort à parier que ce sera la même comédie pour les tests”, tonne-t-il.

Les pharmaciens d’officine non plus ne bénéficieront pas de cette prime, tout comme les établissements privés. Ces derniers ont pourtant eux aussi participé à l”effort de guerre, souligne le député de l’Ardèche, Hervé Saulignac. “De nombreux établissements privés sont sous contrat de service public. À Privas par exemple, nous avons un hôpital psychiatrique de ce type. Ils ont eu à gérer de nombreux patients atteints du Covid-19, beaucoup de personnels ont été touchés. Pour autant, ils sont complètement exclus de ce dispositif”, explique-t-il au HuffPost.

Des territoires oubliés ?

Cette exclusion qui touche les établissement privés, Hervé Saulignac la déplore également pour son département. Les soignants d’Ardèche, qui peuvent y prétendre, toucheront une prime de 500 euros et non de 1500 euros. Une véritable “incompréhension” pour le député au regard des chiffres du départements.

“Tous les indicateurs placent l’Ardèche en haut de la liste. Si l’on prend le taux de personnes positives au virus, il est de 7,7% par rapport à sa population. Dans le département la surmortalité liée au Covid-19 est de 29%. C’est incompréhensible” déplore-t-il. Il a notamment envoyé une lettre au ministre de la Santé, Olivier Véran, et à la préfète pour obtenir des explications. Sans réponse pour l’instant.

Le département de l’Ardèche ne dispose pas de lit de réanimation est-ce l’une des pistes d’explication ? “Le personnel a dû envoyer de nombreux de patients dans des services plus performants dans la Drôme voisine, mais nous étions pareillement exposés. Comme tous les agents, nous sommes venus travailler la peur au ventre. Et puis un hôpital ne fonctionne pas sans sa buanderie, sans son personnels techniques. Eux aussi sont oubliés”, répond Patrick Trintignac, secrétaire Force ouvrière de l’hôpital de Privas et infirmier aux urgences, contacté par Le HuffPost.

Comme Hervé Saulignac, il s’interroge sur les critères retenus dans le décret : “Il y a 8 jours, nous étions entre le rouge et le orange sur les cartes du déconfinement”.

Si tous les interlocuteurs contactés déplorent une prime pansement, plutôt qu’un vrai plan de revalorisation des carrières et de renforcement du personnel, Emmanuel Macron leur a partiellement répondu lors de sa visite ce vendredi à la Pitiée. Reconnaissant une “erreur” dans la réforme du système de santé engagée il y a deux ans, il a dit vouloir mettre fin” à la “paupérisation” de l’hôpital. À n’en pas douter, il sera pris au mot.