Luttes et mobilisations

HuffPost - Quelle est cette "grève du codage" observée dans plusieurs hôpitaux ?

Novembre 2019, par Info santé sécu social

Quelle est cette "grève du codage" observée dans plusieurs hôpitaux ?
Avec cette méthode, les médecins grévistes entendent taper le système au portefeuille.

Par Romain Herreros

C’est une méthode qui prend plus en plus d’ampleur. Alors que médecins et personnels hospitaliers se mobilisent ce jeudi 14 novembre pour “sauver l’hôpital public” en battant le pavé, plusieurs praticiens luttent depuis plusieurs semaines via une méthode bien particulière : la “grève du codage”.

Lancé par des hôpitaux parisiens, le mot d’ordre a fait des émules dans d’autres villes, comme à Marseille ou Clermont-Ferrand. L’idée pour les médecins : arrêter la transmission informatique des données permettant à l’Assurance maladie de facturer les actes qu’ils réalisent. En d’autres termes, taper au portefeuille l’administration, dont le budget est calculé en fonction du nombre d’actes réalisés.

Capacité de nuisance
Dans une tribune publiée dans Le Monde au mois de janvier, Michel Canis, professeur de gynécologie obstétrique au CHU de Clermont-Ferrand, jetait les bases de ce mode de protestation en proposant de “remplacer le code de l’acte réalisé par celui de l’acte le moins onéreux”. “Cette grève ne changerait rien pour les patients, nos actes seraient facturés. Mais le système serait touché dans ce qu’il a de plus ‘cher’”, expliquait-il. Mais neuf mois plus tard, cette “grève du codage” va désormais plus loin, puisqu’il ne s’agit plus de mal transmettre, mais de ne plus rien transmettre du tout.

La raison ? Le besoin de retrouver une capacité de nuisance pour les médecins. Il ne viendrait en effet à l’esprit de personne de bloquer un hôpital et de mettre en danger la vie des patients, d’autant que la loi oblige une continuité des soins. À part le traditionnel “en grève” inscrit sur la blouse ou autres brassards pour signifier son mécontentement, le personnel hospitalier n’a donc pas vraiment de levier pour faire pression sur les décideurs, autre qu’un énième défilé dans la rue.

Le professeur Jean-Luc Jouve, chef du pôle pédiatrie de l’AP-HM à Marseille, ne dit pas autre chose à La Provence : “On ne travaille pas à la SNCF, pour se faire entendre, on ne peut pas arrêter les trains (...) On doit changer de méthode pour obliger le gouvernement à nous écouter, les médias à nous suivre”. Au Monde, Stéphane Dauger, le chef du service réanimation pédiatrique de l’hôpital parisien Robert-Debré, soulignait l’efficacité de la manœuvre. “Le mouvement prend de l’ampleur, ça commence à les faire flipper au ministère”, expliquait-il fin octobre.

Inquiétudes
Reste que cette méthode touche davantage l’hôpital en question que le système. C’est en tout cas ce que souligne le directeur de l’AP-HP, Martin Hirsch, qui a adressé une lettre aux médecins pour les alerter en ce sens. “Toutes les données montrent que plus on facture tard, plus le taux de recouvrement baisse. Toutes les perturbations à l’automne 2019 auront donc des conséquences immédiates sur nos recettes de l’année… Ceci expose donc fortement au risque, dans les années qui viennent, d’avoir à prendre des mesures d’économies pour compenser cet effet retard”, écrivait-il.

Au HuffPost, un responsable d’un cabinet d’audit travaillant sur les systèmes de facturation des hôpitaux livre la même analyse. “Comme le budget d’un hôpital dépend des actes déclarés, cette grève va automatiquement réduire les recettes espérées, l’assurance maladie ne pouvant pas deviner les actes qui ont été faits et payer en conséquence”, explique cet expert, qui poursuit : “la grève met ainsi en jeu la capacité de l’hôpital à financer ses coûts et son fonctionnement et, plus largement, à fournir des soins de qualité”.

Mais pour les médecins grévistes, l’essentiel est ailleurs. “Ceux qui font la grève du codage contestent en réalité cette logique comptable de la tarification à l’acte, qui a d’ailleurs provoqué dans des certains hôpitaux une inflation de l’activité pour s’assurer des financements”, souligne notre source. Soit en d’autres termes ce qu’ont expliqué des médecins grévistes à La Montagne : “cette démarche ne vise pas la direction du CHU mais bien la politique gouvernementale”.