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Huffpost - Crèche : Les professionnels de la petite enfance alertent sur le recrutement de personnes non qualifiées

Août 2022, par Info santé sécu social

Face à la pénurie de personnel, un arrêté paru le 4 août permet le recrutement en crèche d’encadrants sans les diplômes et certifications normalement requises.

Par Lucie Hennequin

À partir du 31 août 2022, les établissements pourront désormais user d’une dérogation leur permettant de recruter des personnes non titulaires des qualifications requises jusqu’à maintenant.

PETITE ENFANCE - Ce dispositif était très attendu par les professionnels de la petite enfance pour parer le manque d’effectifs. Un arrêté a finalement été publié le 4 août. Le hic : il permet aux crèches de recruter des personnes sans les diplômes et certifications normalement requises. Ce qui pourrait mettre en péril le bon encadrement des enfants, selon les syndicats et associations dédiés à la petite enfance.

Un article en particulier, dans l’arrêté qui doit entrer en vigueur le 31 août, inquiète. « Il autorise, dans un contexte local de pénurie de professionnels -donc autrement dit, ça peut être partout dans le pays-, de déroger à la liste des diplômes et certifications requis », explique à Franceinfo Emilie Philippe, du collectif « Pas de bébés à la consigne ».

Le texte précise que « des dérogations aux conditions de diplôme ou d’expérience fixées peuvent être accordées en faveur d’autres personnes, en considération de leur formation, leurs expériences professionnelles passées, notamment auprès d’enfants, leur motivation à participer au développement de l’enfant au sein d’une équipe de professionnels de la petite enfance et de leur capacité à s’adapter à un nouvel environnement professionnel ».

1650 euros net mensuels
Pour le syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE), ce n’est pas la réponse attendue face à la pénurie de personnel qualifié. Selon une enquête de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) publiée début juillet, 48,6% des 8 000 établissements répondants déclarent un manque de personnel auprès des enfants.

« Quand vous êtes trois ou quatre professionnels pour vous occuper de 15 bébés de moins d’un an, je ne suis pas sûr que tout le monde soit prêt à faire ça du jour au lendemain sans qualification », peste auprès de RMC Cyrille Godfroy, co-secrétaire général du SNPPE.

« Le message envoyé à la société, c’est une catastrophe dans le sens où travailler avec des jeunes enfants, ça s’apprend. Ça ne peut pas être donné à n’importe qui. S’il y a des formations, c’est bien qu’il y a une raison », tonne Jérôme Dumortier, directeur d’une crèche à Villeneuve-d’Ascq auprès de Franceinfo.

Les professionnels de la petite enfance alertent depuis des années sur le turn-over, les tâches administratives et les horaires à rallonge qui s’aggravent. En général, un éducateur de jeunes enfants, c’est un travailleur social avec un Bac+3. Selon une enquête du syndicat de la petite enfance réalisée en 2021 auprès de ses adhérents, une puéricultrice de crèche gagne, en moyenne, 1650 euros net mensuels.

Accompagnement pendant 120 heures
Une autre dérogation inquiète le collectif « Pas de bébés à la consigne » : l’accompagnement des personnes dans l’emploi pendant 120 heures. Le texte prévoit « un accompagnement individualisé durant au minimum les trente-cinq premières heures d’activité par un à deux membres de l’équipe présents au sein de l’établissement depuis au moins un an ».

La personne pourra ensuite « être prise en compte pour le calcul des effectifs à compter de la deuxième semaine d’arrivée en poste après au moins 35 heures d’intégration, dès lors qu’elle travaille en présence d’au moins un professionnel ainsi qu’au minimum d’un autre personnel de l’établissement ».

Cette dérogation est décriée. « On va demander à des professionnels qui sont déjà en sous-effectif de devenir des formateurs et des formatrices pour des personnes qui n’y connaissent rien au développement de l’enfant », déplore Émilie Philippe auprès de Franceinfo. Avec le risque que ces règles ne soient pas respectées faute d’effectifs suffisants.

Déléguée générale à la Fédération Française des Entreprises de Crèches (FFEC), un réseau représentant 2 300 crèches privées en France, Elsa Hervy nuance : ces dérogations ne concerneraient au maximum qu’une personne par crèche, alors que ce n’était auparavant pas encadré. « Il pouvait y avoir cinq personnes dans ce cas-là dans un établissement, tient-elle à rappeler dans Ouest France. C’est pourquoi, je considère que ça va désormais être nettement plus encadré qu’avant, et c’est une bonne chose. »

Arrêts maladie et départs non remplacés
Les salaires et les conditions de travail expliquent en partie les difficultés croissantes à recruter du personnel qualifié. « Avant, j’avais un vivier de CV sur mon bureau » pour des postes en crèche. « Je n’ai plus rien, c’est une alerte », témoignait en juillet auprès de l’AFP Clotilde Robin de l’Association des maires de France (AMF).

« On se retrouve parfois seules pour donner les repas, stressées et obligés de faire plus vite, plus désordonné et donc c’est moins serein et consciencieux », résumait également à l’AFP Cathy Ligère, du Syndicat national de la petite enfance, avant le drame survenu dans une crèche privée de Lyon, où une auxiliaire puéricultrice est poursuivie pour meurtre après le décès d’une fillette de 11 mois.

Cathy Ligère énumère les arrêts maladie et départs non remplacés et des employés de fait contraints de « jongler entre les couches, les biberons et des tâches annexes comme des commandes de matériel », loin de la prise en charge « optimale et bienveillante des enfants » pour laquelle ils disent avoir signé.

« Rendre le métier plus attractif »
Déjà en mars, le Conseil économique, social et environnemental s’inquiétait qu’« en dépit du fort investissement des communes et des financements déployés par la branche famille de la sécurité sociale et par l’État, la politique d’accueil du jeune enfant est loin de satisfaire les exigences d’égalité, d’accessibilité, de continuité sur le territoire ».

Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le gouvernement a annoncé en juillet avoir créé « un service public de la petite enfance » afin d’ouvrir 200 000 places d’accueil supplémentaires pour répondre au besoin actuel de solutions de garde des jeunes enfants. « On peut continuer à construire des places, mais les structures resteront vides. Il faut surtout former du personnel et rendre le métier plus attractif », commente auprès de l’AFP, Elsa Hervy, de la fédération française des entreprises de crèches.