Les retraites

Huffpost - Pourquoi la conférence de financement des retraites réussirait-elle là où deux ans de concertation ont échoué ?

Janvier 2020, par Info santé sécu social

Entre l’exigence de justice sociale, les débats autour de la pénibilité et le désir du gouvernement de financer sa retraite... l’équation est complexe pour les partenaires sociaux. Rien n’indique pour l’instant qu’ils trouveront la solution miracle.

Par Anthony Berthelier

Conclure en trois mois ce qu’il a été impossible de faire en deux ans. Voilà la mission ô combien périlleuse donnée aux partenaires sociaux à partir de ce jeudi 30 janvier.

C’est au Cese que les responsables des principales organisations salariales et patronales sont invités à se réunir pour trouver des solutions au financement de la future réforme des retraites à point voulue par le gouvernement. C’est en ce même lieu qu’Édouard Philippe avait d’ailleurs perdu une première bataille en poussant la CFDT dans la rue à cause de l’annonce d’un âge pivot à 64 ans le 11 décembre dernier.

Un mois et demi plus tard, Édouard Philippe introduira cette conférence de financement, réclamée par Laurent Berger, dans ce qui ressemble fort à un match retour contre le patron de la CFDT. Le Premier ministre qui avait “franchi” la ligne rouge lors de sa première allocution ne peut désormais se permettre de braquer les syndicats réformistes.

Mais quelle recette miracle peut-on trouver en trois mois ? Les organisations vont effectivement devoir s’attacher à composer la solution ultime au financement du futur régime, solution qui a justement fait défaut à la longue concertation menée par Jean-Paul Delevoye. Deux ans qui se sont soldés par la mobilisation d’un front syndical uni -bien que plus ou moins modéré- contre le projet de loi du gouvernement.

Une conférence pour quoi faire ?
Rien n’indique pour le moment qu’ils vont réussir leur mission. Si les principaux partenaires sociaux ont confirmé leur présence, de la CGT à l’Unsa en passant par la CFDT et le Medef, toutes ont visiblement des attentes différentes.

Pour Laurent Berger, le but de cette conférence de financement est de trouver une alternative à l’âge pivot imposé par le gouvernement pour garantir l’équilibre financier de sa réforme. “Ce que l’on demande, c’est que l’on prenne le temps de réfléchir au financement du système de retraite, au calendrier de l’équilibre recherché et que l’on regarde toutes les possibilités sur la table, mais qu’on ne s’inscrive pas dans une volonté d’équilibre de court terme qui consiste à travailler plus longtemps”, expliquait-il à l’annonce de la mise en place de cette conférence.

Un prérequis qui pourrait bien braquer le Medef d’entrée de jeu. L’organisation patronale avait effectivement immédiatement fait savoir par communiqué qu’il “s’engagerait pleinement dans la conférence de financement”, précisant que les conditions posées par Édouard Philippe de ne toucher ni au niveau des pensions ni au niveau des cotisations le satisfaisaient entièrement. Dans ce texte, le syndicat patronal se disait prêt à “trouver les mesures d’âge justes assurant l’équilibre financier du système de retraites à court, moyen et long terme.”

Des mesures d’âge ? Autrement dit, l’organisation patronale plaide pour le recul de l’âge de départ à la retraite ou… l’instauration d’un âge pivot.

Pas certain que cet avis soit de nature à convaincre la CFDT qui se bat justement contre cette “ligne rouge”, ni la CGT qui compte se servir de cette conférence pour pousser à une “hausse des salaires” et “plus de cotisations.”

Travailler sur quelles bases ?
Les difficultés sont autant sur le fond que sur la forme. Bon nombre d’organisations syndicales se demandent effectivement sur quelles bases les discussions vont se tenir. Surtout après l’avis très sévère du Conseil d’État sur la mouture présentée par le gouvernement.

Invité de la matinale d’Europe1 dimanche 26 janvier le “monsieur retraites” de l’Unsa s’est notamment inquiété de l’opacité autour de la réforme. “Il y a d’un côté des concertations en cours avec des décisions qui ne sont pas prises et de l’autre côté une conférence des financements qui va avoir lieu. Il va bien falloir qu’à un moment donné, il y ait une intersection et que nous ayons des chiffres consolidés pour pouvoir travailler sereinement”, a ainsi déploré Dominique Corona pointant une situation “inconfortable et très incommodante.”

Même son de cloche du côté de la CGT. Philippe Martinez a confessé mardi 28 janvier sur franceinfo qu’il naviguait à vue sur cette conférence de financement. “C’est très compliqué de savoir comment ça va se passer”, a-t-il indiqué avant de poursuivre : “Qui sera là ? On n’en sait rien. (…) J’ai rencontré Jean-Jacques Marette [ancien directeur général de l’Agirc-Arrco, NDLR] qui est l’animateur de cette conférence et qui n’en sait pas beaucoup plus que moi, on a juste rendez-vous jeudi au CESE.”

“Tout mettre sur la table”
Reste que les différences entre les deux années de concertations et les quelques mois de conférence de financement à venir apparaissent ténues. D’autant que les organisations syndicales ont promis de “tout mettre sur la table” et de ne pas se borner au financement.

C’est notamment le cas de la CFDT et de l’initiateur de ce nouveau rendez-vous social Laurent Berger. Le patron du premier syndicat français a ainsi prévenu mercredi 29 janvier qu’il ne discuterait pas financement avant d’avoir obtenu “les avancées de justice sociale” que son syndicat réclame sur la pénibilité ou le minimum de retraite.

“Il faut d’abord qu’on réponde aux exigences de justice sociale, c’est une condition sine qua non pour avancer dans la conférence de financement”, a martelé Laurent Berger lors d’une conférence de presse. “Ce n’est pas concomitant. Nous discuterons (dans la conférence) après avoir eu des assurances en termes de pénibilité, retraite progressive, minimum contributif et transitions pour les agents publics”, a-t-il insisté.

“Nous mettrons tout sur la table”, confirme de son côté Dominique Corona de l’Unsa, citant les cotisations des employeurs, les cotisations déplafonnées pour les cadres supérieurs à 10.000 euros ou encore les fonds de réserve des retraites.

Une façon en réalité d’organiser un nouveau round de négociations autour d’une réforme toujours contestée dans la rue. Mais alors dans ces conditions, qu’en est-il des discussions autour du financement ? Philippe Martinez se dit perplexe quant à l’opportunité d’aborder le sujet alors que tous les détails de la réforme sont loin d’être réglés : “Par exemple sur les questions de pénibilité, cela va normalement coûter de l’argent. Comment peut-on réfléchir au financement si on ne sait pas les modalités de la pénibilité ?”

De son côté, Laurent Berger exige une “totale transparence” sur les chiffres de besoin de financement avec des “experts indépendants” pour parvenir à “un diagnostic partagé”.

Après l’heure du diagnostic, viendra donc celle de la (nouvelle) négociation. Et entre les sujets de pénibilité, l’exigence de justice sociale formulée par les syndicats et la détermination du gouvernement à financer sa réform, elle s’annonce presque plus complexe que les précédentes.