Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Huffpost - Pourquoi les projections sur les vagues de Covid sont de plus en plus compliquées

Juillet 2022, par Info santé sécu social

Si l’immunité liée au vaccin et aux infections naturelles a grandement diminué le risque de forme grave, le suivi du coronavirus s’en trouve perturbé.

Par Grégory Rozières

Le pic de la 7e vague de Covid-19 a été atteint, mais l’avenir est difficile à prédire pour les modèles.

Démarrée début juin, on peut dire ce mardi 26 juillet que la 7e vague de Covid-19 en France a atteint son pic. Du côté des cas positifs comme des hospitalisations, les indicateurs sont à la baisse, comme vous pouvez le voir dans le graphique ci-dessous.

Une bonne nouvelle (si la tendance continue), car ce pic lié au variant BA.5 a tout juste égalisé celui lié à BA.2, bien loin de la première “vague Omicron”, provoquée par BA.1. Une bonne nouvelle aussi car, même si la situation au Portugal et en Afrique du Sud permettait de ne pas trop s’alarmer, c’était la première vague pour laquelle le Conseil scientifique (et donc le gouvernement) n’avait pas de modélisation sur laquelle s’appuyer.

Et pour le moment, l’Institut Pasteur n’a pas de modèle non plus pour les futures vagues qui arriveront sans doute dès que l’été sera passé et que notre immunité aura doucement diminué.

Cela n’a pas empêché le Conseil scientifique, dans son dernier avis rendu le 19 juillet et détaillé dans une conférence de presse, de travailler sur trois scénarios pour l’automne. Mais ces trajectoires sont très génériques : un retour des variants existants, un variant descendant d’Omicron ou bien, pire, un variant très différent et possiblement bien plus dangereux.

Des modèles devenus trop complexes

Mais pourquoi le Conseil scientifique n’a-t-il plus de projections lui permettant d’anticiper ? “Cette vague BA.5 était la première où nous n’avions pas de modèle, car au cours des deux dernières années, nous avons démarré avec des modèles simples, qui se sont complexifiés progressivement pour intégrer l’impact sur l’épidémie des variants, des vaccins, ainsi que la décroissance de l’immunité”, explique Simon Cauchemez, modélisateur à l’Institut Pasteur et membre du Conseil scientifique. “Ces modèles trop complexes sont aujourd’hui incertains”.

Pour faire des projections sur les courbes du Covid-19 (plus de détails dans cette interview de Simon Cauchemez datant de 2020), on formule des hypothèses sur le virus (sa contagiosité, la durée de l’infection, la gravité, etc.), et sur la population cible (le nombre de personnes contaminables, le nombre de contacts à risque, l’âge, etc.).

Au début de l’épidémie, les choses étaient (malheureusement) simples : presque tout le monde pouvait attraper le Covid-19. Même après la première vague qui ne toucha que 5% de la population. Il n’y avait que deux moyens d’atteindre le pic. Soit laisser le virus se propager jusqu’à ce qu’il n’y ait plus suffisamment de personnes susceptibles d’être contaminées (en laissant donc des dizaines, voire centaines de milliers de personnes mourir). Soit prendre des mesures limitant nos contacts à risque afin de casser les chaînes de transmission du coronavirus.

Mais depuis, les choses ont évolué de bien des manières. D’abord, grâce aux vaccins, qui nous ont amené une protection très importante contre les formes graves et, de manière plus légère et plus éphémère, contre l’infection. Il y eut également les variants à intégrer aux modèles. Ce nouvel ensemble de mutations rendait-il le virus plus contagieux ? Moins virulent ? Capable d’échapper au vaccin ? À une infection antérieure ?

“On connaît mal l’immunité croisée entre les variants”
Tous ces paramètres ont complexifié les projections, mais les modélisateurs y voyaient toujours clair. “Jusqu’alors, vous pouviez simplifier en mettant les gens dans des cases. Les personnes vaccinées avec une dose, deux doses, un rappel, celles infectées disposant d’une immunité naturelle”, détaille Samuel Alizon, directeur de Recherche au CNRS, spécialiste de la modélisation des maladies infectieuses. “Mais les vagues Omicron ont fait exploser les catégories”.

Avec l’arrivée du très contagieux variant Omicron, la plupart des pays occidentaux, largement vaccinés, lassés par les confinements à répétition et incapables de mettre au point des mesures de freinage non coercitives, ont choisi de laisser filer l’épidémie. En faisant cela, nous avons accepté une vague très importante de cas, d’hospitalisation, mais avec un bilan bien moindre que pour les précédents variants sur une population non vaccinée. Il y eut également le vague et dérisoire espoir que cette vague serait la dernière, provoquant une “immunité collective”, empêchant le coronavirus de circuler.

Mais la réalité a, encore une fois, très vite rattrapé les minces espoirs. Cette immunité naturelle, on le savait déjà, ne dure pas éternellement. Elle diminue et s’efface au fil du temps (même si celle contre les formes graves semble se stabiliser après trois doses ou trois infections).

Et c’est en grande partie cela qui pose problème. “Si l’immunité vaccinale est facile à contrôler et à suivre, l’immunité naturelle est moins connue”, explique Samuel Alizon. Surtout avec la multiplication des variants et des situations. Dans quelle case mettre une personne vaccinée, contaminée 3 mois après, puis qui a eu un rappel en janvier ? À quel point son immunité est-elle comparable à une personne infectée en 2020, vaccinée 2 fois en 2021, puis réinfectée par BA.1 en janvier 2022 ? Ou par BA.2 en mars ?

“On connaît mal l’immunité croisée entre les variants, on a par exemple vu que BA.5 peut contourner une partie de l’immunité provoquée par une infection à BA.1”, illustre Samuel Alizon. Toutes ces cases deviennent donc très difficiles à gérer pour qu’un modèle épidémiologique puisse proposer des projections précises sans risquer de totalement se fourvoyer.

Simplifier sans dénaturer
Pourtant, il est toujours nécessaire d’anticiper au maximum. “La pandémie n’est pas terminée. Nous sommes face à un virus qui a une évolution génétique difficile à prédire”, a mis en garde Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, en guise de préambule pour présenter son dernier avis.

Mais peut-on seulement adapter les calculs à cette nouvelle situation ? “Les modèles d’aujourd’hui sont trop complexes et donc instables. Il faut trouver un compromis avec des modèles plus parcimonieux, en prenant en compte ces différents profils d’immunité. C’est un travail en cours”, explique Simon Cauchemez.

Dans un article prépublié le 15 juin, Samuel Alizon et deux collègues ont testé un nouveau concept afin de tenter de prendre en compte la baisse de l’immunité. “L’idée, c’est d’inclure dans le modèle depuis combien de temps les individus sont dans tel ou tel état, par exemple à combien de jour remonte leur dernière dose de vaccin”, explique-t-il. “Un des résultats est que même en l’absence de nouveau variant, on peut observer des vagues annuelles de grande ampleur liées à l’hiver et à la diminution (limitée) de l’immunité”.

Chose étonnante, les scénarios où l’on vaccine toute la population en même temps chaque automne entraînent un pic plus prononcé que si l’on ne propose un rappel qu’aux personnes âgées et fragiles (même si plus on vaccine, moins il y a de décès). La raison avancée par les chercheurs : en vaccinant tout le monde en même temps, le niveau d’immunité se synchronise. En clair, on a d’un coup de nombreuses personnes qui redeviennent susceptibles d’être infectées. Autre enseignement de l’étude, note le chercheur : “De plus, les interventions dites non-pharmaceutiques (amélioration de la qualité de l’air, port du masque, etc.) peuvent avoir une efficacité comparable à des campagnes vaccinales annuelles. Au final, la meilleure efficacité est obtenue en combinant ces interventions et des rappels vaccinaux.”

Évidemment, ce type de projection générale a des limites. “Plus on se projette dans le temps long, plus le modèle devient qualitatif”, précise Samuel Alizon. Or, ce que les autorités sanitaires souhaitent, ce sont des projections “quantitatives”. Pour faire simple, disons qu’un modèle qualitatif tente d’imaginer la tendance générale de la courbe du Covid-19 à long terme en fonction de diverses hypothèses. Le modèle quantitatif, lui, va essayer d’anticiper le nombre de personnes contaminées ou hospitalisées. “Mais dès que l’on dépasse le mois, ces modèles quantitatifs deviennent délicats au vu des nombreuses inconnues, et on doit quand même explorer des scénarios différents”.

Pour conclure, il faut rappeler que nous ne sommes évidemment pas démunis dans le suivi de cette pandémie. “Il nous faudra être vigilants par rapport aux prochaines émergences, car il est très difficile de dire les dates et l’ampleur des pics. Aujourd’hui, on observe ce qui se passe chez nos voisins et c’est très instructif”, rappelait lors de la conférence de presse Arnaud Fontanet, épidémiologiste et membre du Conseil scientifique. Encore faut-il que le futur variant dominant n’émerge pas en France. “Si nous sommes en première ligne, ça sera difficile, il faudra garder en tête la possibilité d’une émergence un peu plus disruptive”.